Chapitre 16
J’ai peur de patienter pour être torturée par la suite, ou pire. Je ne sais plus qui écouter. Je dois avouer que m’enfuir serait la solution à privilégier, mais ce message m’intrigue. Quel type d’agresseur enverrait ce genre d’avertissement ?
Il y a même un moment où j’ai cru connaître son identité. Qui sait que j’aime les céréales le matin ? Bien sûr, il pourrait s’agir d’une coïncidence, mais le doute persiste. Par contre, les raisons de mon enfermement seraient totalement floues si ma théorie s’avérait exacte.
Je sais que je pourrais continuer à taper contre la vitre et espérer me sortir de ce calvaire, mais une partie de moi-même réfléchit et se demande s’il n’est pas plus judicieux d’attendre. Il y aura toujours une solution en cas de danger.
Après être allée aux toilettes, je m’allonge sur mon lit et pense aux derniers évènements, à défaut de ne pouvoir faire autre chose. Un mauvais pressentiment pointe le bout de son nez dans ma direction.
Tout ceci cache forcément quelque chose. Il y a des informations que j’ignore. Qui est le réel criminel ? Pourquoi suis-je en danger ? Quels secrets doivent m’être révélés ?
Je décide de trifouiller un peu partout dans ma chambre. Peut-être que j’obtiendrais des réponses.
Premièrement, je regarde rapidement dans ma table de chevet. À part quelques livres, BD et d’anciens souvenirs, je ne trouve pas grand-chose de croustillant.
Deuxièmement, j’examine mon bureau. Les tiroirs sont remplis de cours, de photos et de notes en vrac. Alors que je pense passer au crible le meuble de la télévision, mes yeux sont attirés par un album photo que je n’ai pas ouvert depuis plusieurs années.
Je remarque plusieurs pochettes plastiques vidées et froissées, ce qui peut expliquer qu’il y a eu davantage de clichés à une certaine époque. Peu importe, certaines étaient sans doute trop vieilles ou peu intéressantes pour être gardées.
En faisant défiler les cinq premières pages sur la trentaine que contient l’album, je m’aperçois que la qualité diffère d’une image à une autre. Avec le recul, je m’aperçois que certaines des photos affichant ma mère et moi sont agrandies ou rognées. C’est vrai que je ne m’en suis pas rendu compte autrefois. Je ne possédais pas les connaissances en informatique que j’ai aujourd’hui.
Sur la huitième et dernière page, une image y est découpée proprement. Celle-ci m’intrigue plus que les autres. Je vais vous la décrire.
On y voit ma mère, un grand sourire aux lèvres avec des beaux cheveux blonds, vêtue d’une robe de soirée argentée. Elle me porte dans ses bras. Je devais être âgée de dix mois, pas plus. La partie gauche est manquante.
J’ai l’impression qu’un secret se cache derrière tout ça. Comment ma mère m’avait justifié ce problème à l’époque ?
C’est un très bon ami qui se tient à côté de moi. Il ne voulait pas apparaître dessus, donc je l’ai détouré au ciseau. Bon, tu viens, on va manger.
Excuse passable, mais pas top. Je me souviens ne pas avoir insisté. J’aurais dû.
Ce qui me rend dubitative, c’est la direction de la main de ma mère. Je m’explique. Son bras gauche me porte jusqu’à son cou, mais l’autre est à moitié sectionné. Deux questions me taraudent : pourquoi mettre ses doigts si éloignés de son corps si ce n’est pour tenir quelque chose ou quelqu’un ? Et, si effectivement elle empoignait la main de son soi-disant ami, pourquoi si basse, et pour quelles raisons ? Je ne connais personne qui est aussi tactile avec son confident. C’est tout de même un geste fort qui n’a rien à faire dans une relation amicale sans ambiguïté ! Et à l’époque, elle évitait les relations, c’est ma grand-mère, donc la mère de ma mère, qui me l’a avoué il y a quelques mois lors d’un repas de famille.
Soudain, mon regard passe devant mon meuble de télévision. Un stress imprévu m’envahit. Je repose la photo et range l’album sous mes classeurs de cours, dans le tiroir.
Lorsque j’ouvre le placard, un vieux lecteur DVD me fait face ainsi que des disques en tous genres et des câbles tordus dans tous les sens. Un léger pincement au cœur me pique quand j’entrevois la forme de mon ancien smartphone dans un coin.
Mon agresseur a pensé à me démunir de mon téléphone portable actuel, mais n’a pas fouillé dans mes affaires. Il ne me permet pas d’appeler qui que ce soit vu qu’il ne possède pas de carte sim, mais il est capable d’accéder à internet. J’attrape un des trois chargeurs que je possède et le branche à la prise emmurée à côté de mon lit.
Au bout de cinq minutes, je l’allume.
Bingo ! Ça fonctionne !
Par chance, la wifi n’est pas coupée et la box est la même depuis plusieurs années. Le code est donc déjà enregistré. Le téléphone reconnaît directement la ligne internet et s’y connecte. Que puis-je taper sur Google pour obtenir un début de réponse ? Une idée me vient. De toute évidence, j’étais trop petite pour savoir quoi que ce soit. Vu mon jeune âge, la photo a dû être prise au début des années deux mille.
Commencer par entrer mon nom de famille me paraît être une bonne chose. Dans le moteur de recherche, je tape les mots-clés suivants : Famille Sinclair années 2000.
Je ne pensais pas qu’autant d’articles possédaient notre nom en gros titre.
Que me cachez-vous ?
Je regarde rapidement chaque site et constate que nous ne sommes pas seuls à nous appeler ainsi. Je croise les résultats du baccalauréat de deux personnes qui portent le même nom que moi, mais que je ne connais absolument pas.
Je décide de corriger ma recherche en la rendant plus précise.
Famille Sinclair années 2000 Cormeray.
Cormeray est un village d’environ mille-six-cents habitants, situé à quinze kilomètres de Blois dans le Loir-et-Cher. J’y suis née et y habite encore aujourd’hui. Il ne doit pas y avoir des tonnes d’articles avec pour gros titre Sinclair.
Je tombe sur des sites présentant des offres d’emplois et redirigeant vers des boutiques en ligne. Lorsque les résultats sont approximatifs, c’est qu’il n’y a pas ou peu de réussite dans l’investigation.
Sur la troisième page, mon cœur fait un trois-cent-soixante. Je lis et relis le titre maintes fois avant de cliquer dessus. Mon pouce tremble.
Décès de Arnold Sabord : Cormeray est sous le choc ! La famille Sinclair au plus mal.
J’appuie et atterris sur le site de l’article. Je ne comprends pas ; mon père est décédé dans un accident de voiture peu de temps après ma naissance. Personne n’a démenti cette information. Pourquoi en faire un gros titre ? Des gens meurent tous les jours à cause de ces bolides à quatre roues.
Quand les images illustrant la page internet ont fini de charger, je bondis une seconde fois. J’aperçois avec effroi la photo que j’ai trouvée dans mon bureau, cette fois-ci complète.
Je découvre enfin à quoi ressemblait mon père quelques mois avant sa mort. Ma mère a toujours nié avoir gardé le moindre souvenir de lui. Elle m’a seulement montrée un portrait photographié juste après ses études, donc dix ans avant son décès. C’est la première fois que je le vois réellement comme il était.
Une tignasse brune renforce sa peau bronzée et ses yeux marron. Il paraît grand et fin. Ses jambes sont relativement longues. Il porte un jean bleu avec un polo blanc uni et une chaîne en argent autour du cou. Deux petites fossettes sont installées sur son visage guilleret.
Mes yeux s’embuent de larmes. Elles roulent le long de mes joues. Je suis fière d’être sa fille. Un si bel homme.
Mes sourcils se froncent quand j’analyse mieux le cliché. Le bras gauche de maman me porte bien jusqu’à son cou, mais le droit, que je ne voyais qu’à moitié tout à l’heure, agrippe la main d’un enfant de quatre ou cinq ans, pas plus. Mon père, à l’opposé de ma mère, et que je ne pouvais pas voir non plus, lui attrape l’autre main. Un léger rictus illumine son visage.
Qui est ce garçon ? Pourquoi ma mère m’a fait croire qu’il s’agissait d’un ami sur ce cliché ?
Je lis la petite légende avec une pointe d’anxiété. De la sueur perle le long de mon front.
La dernière photo familiale avant le drame.
Ma tête effectue un mouvement de recul en signe d’incompréhension. Je poursuis, la boule au ventre. Les mots s’emmêlent par moment.
C’est à l’âge de trente ans que Arnold Sabora, compagnon de Sandra Sinclair, mit fin à ses jours de manière brutale. En effet, c’est Tony Sinclair, l’aîné âgé de cinq ans, qui trouva son père allongé dans la baignoire au milieu d’une mare de sang. Arnold s’était ouvert les veines.
Mon téléphone chute sur la moquette. Premièrement, mon père n’est pas mort dans un accident de voiture. Et deuxièmement, j’apprends que j’ai un frère dont je n’ai jamais entendu parler. Où est-il aujourd’hui ? Qu’est-il devenu ? Pourquoi m’avoir menti, bon sang !
À la fin de l’article, quelques phrases de soutien sont écrites.
Espérons que la petite dernière, âgée d’à peine huit mois au moment des faits, puisse grandir sans son père.
Nous présentons nos plus sincères condoléances à la famille et adressons tout notre soutien.
Je suis médusée. Mon frère a quatre ans de plus que moi, donc vingt-deux ans actuellement. Pourquoi m’avoir cachée que mon père s’était suicidé ? Pourquoi personne dans le village ne m’a laissée le moindre doute quant à la vérité. Que s’est-il réellement passé ce jour-là ?
Mais surtout, et je répète ma question, où est mon frère ?
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