Chapitre Six
« C'est tout ce qu'on a récupéré quand on t'a trouvé. Peut-être qu'il y a tes affaires. »
Je jetais un coup d'œil dans la pièce circulaire, taillé à même le tronc, et où avaient été entreposés différents objets. Je repérais rapidement mon sac de voyage, que je serrais compulsivement contre moi. Puis je réalisais qu'il y avait beaucoup d'autres objets qui m'étaient familiers.
« On ne sait pas ce que c'est. Quand on trouve des choses qu'on peut utiliser, on s'en sert, mais la plupart du temps, on ne comprend pas leur utilité. » m'expliqua l'homme au sourire, qui nous avait rejoint dès notre retour au village. « Peut-être pourras-tu nous aider ? »
J'effleurais du doigt un boucle téléphonique abîmée. A côté, je soulevais ce qui me semblait être un vieux disque dur, beaucoup plus gros que les derniers modèles. L'endroit regorgeait d'objets insolites. J'en reconnaissais certains, bien qu'ils me semblaient d'une autre époque, mais la plupart m'étaient étrangers.
J'examinais un objet carré en plastique, avec une bande enroulée sur deux axes à l'intérieur.
« Ces objets fonctionnent pour la plupart avec une énergie que vous ne semblez pas posséder. Vous n'avez même pas d'adaptateur solaire. » Étais-je trop méprisante? Ou simplement fatiguée ? « Pour le reste, je ne sais pas trop de quoi il s'agit. On dirait de très vieux objets. Comment vous les êtes-vous procurés ? »
Ornélia s'approcha, un appareil photo hors d'usage entre les mains.
« On les retrouve parfois, là où tu as... atterrie. » Elle haussa les épaules. « On garde tout ce qu'on trouve, même si on ne sait pas s'en servir. »
- C'est un souvenir. » ajouta l'homme au sourire.
Je passais le reste de la journée à les aider à faire le tri entre les objets qu'ils pourraient utiliser, et ceux qui avaient besoin d'énergie pour fonctionner. Je le faisais comme un remerciement pour m'avoir sauvé la vie. Sans eux, je me serais très probablement vidée de mon sang, pendue la tête en bas. Je leur expliquais que les objets électroniques ne leur serviraient à rien sans prises pour les recharger, mais je récupérais l'appareil photo. Je les éclairais sur la fonction de la trousse pleine de flacons et de sparadraps, mais je doutais qu'ils en aient l'utilité. J'avais vu leur médecine à l'œuvre, elle était nettement plus efficace que ce à quoi j'étais habituée.
Au bout de quelques heures de tri, Ornélia se leva d'un bond. J'entendais un faible son au loin.
« L'heure de manger ! » m'annonça-t-elle avec enthousiasme.
Et effectivement, j'étais affamée. Je n'avais rien avalé d'autres que du bouillon au goût de plantes, et j'avais hâte de me mettre quelque chose de plus consistant sous la dent. Ornélia m'entraîna à nouveau dans son sillage, bondissante et enjouée.
Je pensais que nous mangerions en petit comité, mais je me trompais : tout le village s'était réuni autour d'un arbre décoré de petites boules lumineuses. Assis en cercle sur des nattes, il se passaient des plats copieusement garnis, et remplissaient de petits bols individuels posés devant eux. L'ambiance était chaleureuse, mais en voyant tout cette foule, je marquais un arrêt.
« Vous fêtez quelque chose ? »
Ornélia me jeta un regard étrange en s'asseyant.
« Non. Nous mangeons toujours tous ensembles. C'est plus agréable. » Et elle me tendit un bol et une cuillère, en bois, évidemment.
Agréable n'était pas le mot que j'aurais employé. C'était bruyant, même si les gens avaient tendance à chuchoter en me jetant des coups d'œil curieux. Et c'était si... primitif. Pas de chaises, pas de tables, des couverts en bois. Je m'installais aussi confortablement que possible (autrement dit, ça ne l'était pas du tout) sur une paillasse, et regardait Ornélia se servir ce qui ressemblait à des pommes de terre et des oignons, puis m'en verser une pleine louche. Elle arrosa le tout d'une sauce épaisse, et partit chercher un broc d'eau que je regardais d'un air méfiant. Se baigner dans un source d'eau chaude, c'était une chose ; c'en était une autre de boire de l'eau qui n'avait certainement pas dû être traitée.
« Elle est fraîche. » me précisa Ornélia, et sans plus de cérémonie, elle s'attaqua au contenu de son bol.
Je la regardais faire un moment, peu décidée à en faire autant, mais mon estomac n'était pas de cet avis. Méfiance ou pas, il voulait être nourri. Je plongeais ma cuillère dans le mélange et le portait à mes lèvres.
Au moment où je mordais dans un pomme de terre, et que le goût de la sauce se répandit dans ma bouche, j'oubliais tous mes doutes et me jetais sur la nourriture.
Ornélia ricana : « Gloutonne. »
Elle me tendit un panier en osier plein de petits pains ronds, puis un plat fumant d'où s'échappait une odeur qui m'était totalement inconnue. Je mordis dans le petit pain en premier. Il était rempli de graines qui craquaient sous mes dents.
« Qu'est ce que c'est ? » Je désignais du menton le plat fumant, un amas de piques en bois, sur lesquelles étaient plantées de petites formes noircis.
« Du poulet. » Elle me tendit une pique, puis remarqua mes yeux écarquillés et leva les sourcils.
« Vous mangez de la viande ? »
Ornélia se mit à rire.
- « Et bien, oui. Il nous faut bien des protéines, et les légumes et le pain n'en contiennent pas. » Elle rit encore, mais s'interrompit en voyant ma tête. « Tu ne manges pas de viande ?
- Je n'en ai jamais mangé. » Je la fixais, le bout de bois entre les mains, du jus de viande coulant le long de mes doigts. « Nous mangeons des substituts protéinés, parce que nous n'élevons pas d'animaux. Je n'ai jamais mangé de viande. »
Ornélia me regarda avec une certaine tristesse dans les yeux, puis retrouva le sourire : « Et bien, c'est l'occasion ! »
J'attrapais un morceau de poulet avec mes dents. La peau était craquante, avec un léger goût fumé, mais la chair était tendre et juteuse. Ornélia guettait ma réaction, anxieuse. Je la rassurais d'un sourire, et roulais des yeux en gémissant pour la faire rire.
Mais intérieurement, j'en aurais pleuré. Là d'où je venais, ce n'était pas par choix que nous ne mangions plus de viande. Nous n'arrivions plus à élever d'animaux pour notre propre consommation. Cela faisait des dizaines d'années que nous nous contentions de substituts afin de garantir un apport quotidien en protéines. Les personnes les plus défavorisées n'avaient malheureusement pas toujours les moyens de s'en procurer. Certaines villes-dômes parmi les plus pauvres voyaient leur population souffrir d'une baisse de la masse musculaire et de faiblesses du système immunitaire, et dans les cas les plus graves, de déficiences au niveau des fonctions cérébrales. Que disait ma mère, lorsque, enfant, je rechignais à prendre mes comprimés ? « Avale tes protéines, mon cœur, où tu deviendras bête et laide. » J'avalais mon poulet, mais ce repas me restait en travers de la gorge.
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