Retrouvailles

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Je décide enfin de me lever de mon lit au prix de ce qui me semble être un effort surhumain. La première fois, les gargouillis de mon estomac et les crampes m'ont forcé à quitter mon nid pour avaler quelque chose. Les pâtes à moitié cuites ont été très vite expédiées pour satisfaire mon corps avant de replonger sous les couvertures.

Je n'ai pas la force de faire quoi que ce soit, aujourd'hui. La pluie qui bat contre le battant de mon volet et le froid qui règne dans mon appartement bien que le chauffage soit au maximum ont un effet dévastateur sur mon moral.

Malgré tout, une partie de moi, celle qui lutte pour nager afin de garder la tête hors de l'eau et de ne pas se noyer, ne veut pas se résigner à me laisser dans un tel état. C'est comme ça que je me retrouve sur mes deux pieds. Le sol frais me fait regretter mon geste mais je ne flanche pas. J'ouvre ma fenêtre et rabat mon volet le plus vite possible pour échapper au vent mordant. Première étape réussie. Je vais dans la salle de bains et me regarde dans le miroir : les poches sous mes yeux rougis manquent de les avaler. Mes lèvres gercées me tiraillent. J'avise le robinet et grimace, je sais que je ne vais pas aimer ce qui va suivre. Pourtant, je le tourne, plonge mes mains dans l'eau qui en sort avant de les plaquer contre mon visage. J'étouffe un hoquet et m'empresse de me sécher. Je n'ai pas meilleure mine mais au moins, je suis bien réveillé. Au point où j'en suis, pourquoi ne pas prendre une douche ? Je me dégonfle et la repousse à plus tard.

Je retourne dans le salon et m'approche de mon armoire. Je troque mon t-shirt et mon short de nuit pour un gros pull et un vieux jogging que je n'ai pas dû laver depuis plusieurs mois. Semaines. Un regard en direction de la cuisine et de l'évier plein à craquer. Je soupire et m'en approche en traînant des pieds. Une idée me vient en tête et j'ouvre un tiroir pour saisir une tasse. Je farfouille un peu pour trouver la seule casserole encore propre et je la remplis d'eau que je mets au feu. En attendant que l'eau bouille, je lave la vaisselle. J'aime faire la vaisselle. Mon corps passe en mode automatique tandis que mon esprit divague au gré des pensées qui m'assaillent. Voir que la pile de saleté disparaît peu à peu et que tout redevient propre, je ne sais pas, ça m'apaise. J'aurais aimé que ce soit également le cas pour mon cerveau. Qu'il se purge de la noirceur, qu'il s'épure.

Je prends un torchon et commence à essuyer les assiettes. Ça, j'aime moins. C'est chiant. Ça ne va jamais assez vite, j'ai l'impression que ça ne finira jamais. Généralement, c'est à ce moment que mon cerveau quitte le monde des rêves et se reconnecte à la réalité. Cette fois-ci n'échappe pas à la règle et je dois me faire violence pour finir ma tâche. Pendant un temps, je n'avais pas à le faire. On le faisait à ma place, et j'attendais sagement à côté pour ranger la vaisselle. Je m'arrête brusquement, ne comprenant pas pourquoi ma vision se brouille. Suis-je en train de devenir aveugle ? Je comprends alors et passe ma main sur mes yeux. En colère, j'expédie plus vite que prévu ce qu'il me reste à essuyer. Ça n'a qu'à sécher tout seul.

L'eau commence à bouillir dans la casserole. J'éteins ma plaque de cuisson et saisis la tasse que j'ai laissée sur le plan de travail.

Soudain, un bruit strident résonne dans l'appartement et me fait sursauter. Mon corps se serre, comme à chaque fois que la sonnette retentit. Je ne comprends pas pourquoi ce son me surprend toujours, c'est stupide. Le stress remplace la surprise. Qui sonne à ma porte ? Je n'attends pas de colis et encore moins quelqu'un. Je m'approche lentement de ma porte d'entrée, ma tasse toujours à la main. J'hésite un instant, peut-être que c'était une erreur et que c'était personne. La sonnette retentit une nouvelle fois trop fort à mon goût. Je grimace, ça n'aurait pas pu être une erreur. Je n'ai plus le choix. Je déverrouille la porte et l'ouvre, priant pour que ce ne soit pas une connaissance. Je n'ai pas la force de faire la conversation.

Un bruit mat explose à mes oreilles lorsque mes doigts laissent échapper la tsse.

La première chose dont je prends conscience, c'est la couleur de ses yeux posés sur moi. Verts. Ce vert particulier, ni trop sombre, ni trop clair, avec une touche de marron qui fait penser à la couleur de la forêt après une journée pluvieuse. Les mêmes yeux verts qui hantent mes rêves et mes cauchemars.

Et puis, je le vois en entier. Lui.

Une boule se forme dans ma gorge, bloquant l'air dans mes poumons mais je ne ressens pas le besoin de respirer. Je lève une main tremblante et approche un doigt de son visage. Lorsque j'effleure sa joue, mon cœur accélère dans ma poitrine à m'en faire mal. Je trace un trait prudent sur sa peau, comme si ce simple geste ferait voler en éclats le mirage que mon cerveau a créé. Mais le piquant de sa barbe mal rasée et la pression qu'il exerce contre mon doigt après avoir fermé les yeux est bien réel. Il bouge la tête et mon doigt rencontre ses lèvres ouvertes dans un sourire angélique. Ces lèvres que j'ai si souvent rêvées d'embrasser à nouveau, ces lèvres pleines et rosées, ces lèvres que je n'ai jamais pu retrouver chez un autre.

Des larmes dévalent mes joues dans un déluge inarrêtable et je cligne des yeux pour éclaircir ma vue. Son souffle chaud qui s'enroule autour de mon doigt m'arrache un frisson.

Lorsqu'il ouvre les yeux, leur couleur est sublimée par le voile transparent apposé sur eux. Sans m'en apercevoir, je me suis approché de lui, de telle sorte que son visage emplisse mon champ de vision. Il est tel que dans mes souvenirs, tel que je l'ai toujours imaginé. Ses longs cils, sa fine barbe brune qui lui mange les joues et le menton et qu'il a toujours voulu garder car il aimait paraître plus vieux, sa moustache au dessus de sa lèvre inférieure, son nez que j'aimais faire semblant de manger parce que ça nous faisait rire tous les deux. Il est comme avant.

— Salut, toi.

Une nouvelle vague de larmes déferle et ma lèvre se met à trembler. Son accent m'avait tellement manqué.

— Je dois être tellement moche, parviens-je à articuler.

Il rit et je jure que je n'ai jamais entendu un son aussi beau. Il pose ses pouces sur mes joues et essuie mes larmes. Il m'attire alors contre lui et j'enfouis mon visage dans son épaule. Je serre les pans de sa veste dans mes poings et libère enfin toute la tristesse qui comprimait mon cœur depuis tout ce temps. Le bruit de mes sanglots intarissables se mêle à ses paroles chuchotées dans le creux de mon oreille. Sa main caresse mes cheveux dans un doux mouvement, comme s'il tenait une chose qui pouvait se briser à tout moment. Ce qui est le cas.

Il ne me lâche pas si lorsque j'ai fini par me calmer. Il me garde contre lui et je peux sentir son odeur qui m'avait tant manquée.

— Tu vas réussir à tenir si je te lâche ?

Je hoche la tête en lâchant un éclat de rire. Il me libère alors et plonge son regard dans le mien. À ce moment, je prends conscience de l'image que je dois renvoyer, de l'état dans lequel je suis : le visage rongé par la fatigue, les cheveux en pagaille et portant des vêtements hideux.

Comme s'il avait entendu ma pensée, il me regarde de haut en bas :

— Tu es toujours aussi beau.

— Menteur.

Il sourit.

— Tu me laisses entrer ?

Je m'écarte du passage en faisant attention à ne pas marcher sur les bouts de verre au sol. Il entre. Quand je referme la porte, je réalise qu'il est chez moi. De retour. Qu'après tout ce temps, il est revenu vers moi, malgré ce qu'il s'est passé, malgré mes doutes, malgré mes peurs. Je pensais ne jamais le revoir.

Alerté par le silence, il se retourne. Je pleure de nouveau. Alors que je lui avais promis que j'allais tenir. En deux enjambées, il est de nouveau devant moi et prend mon visage dans ses mains.

— Comment...

— Plus tard, les questions. Plus tard.

Le regard qu'il pose sur moi est profond, langoureux, torturé. Il franchit la distance et ses lèvres frôlent les miennes. Mon cœur explose lorsqu'elles se rencontrent. Mon corps se liquéfie, mes jambes ne me portent plus et je m’agrippe à lui pour ne pas tomber. Nos bassins se touchent et il passe un bras dans mon dos pour me retenir. Je m'abandonne entièrement dans ce baiser, ma colère, ma tristesse, ma rancœur et ma culpabilité, je lui transmets tout. Je suis à lui. Entièrement à lui. Je l'ai toujours été.

Je me rends compte que j’étais à bout de souffle quand il rompt le contact.

— Je suis là, maintenant. C'est tout ce qui compte.

Ses mains glissent le long de mes bras et serrent les miennes. Deux fois. Je refrène comme je peux les larmes qui manquent encore de déborder.

— Viens.

Il s'éloigne et je le suis prudemment. La peur de le voir se volatiliser n'est pas encore partie. Il s'approche de la cuisine et aperçoit la casserole d'eau chaude et le sachet de thé. Il se tourne vers moi et sourit.

— Et si on buvait un thé ?

Je hoche la tête, incapable de parler. Tout à coup, il regarde autour de lui.

— Il fait chaud ici, non ?

J'éclate de rire au moment où une avalanche de larmes s'abat sur mes joues.

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