Cauchemar
Ce soir, la nuit est dense et sombre. Mes oreilles prennent le pas sur mes yeux devenus aveugles. Il faut bien s’orienter dans cette noirceur terrifiante. Les petits bruits de la forêt foisonnent autour de moi. Je flippe mais moins que je n’angoisse à espérer le retrouver sain et sauf.
Allez, cherche! Cours! Crie! Fais quelque chose bon dieu! Il est là quelque part, dans ce cauchemar. Un hululement de chouette, un piaillement d’oiseau, le glissement furtif d’un écureuil sur une branche, j’entends tout! Sauf lui.
Quel est ce battement? Mon coeur? Mes tempes? Ma vie? Mais qu’importe ma vie si je ne le retrouve pas! Et puis, enfin, j’entends! J’entends le plus horrible des cris! Un hurlement animal de douleur, de torture, dans lequel je reconnais sa voix. Nooon!
Je m’extirpe de ma paralysie et vole vers ce cri odieusement cruel. Non, mon petit, mon enfant! Il a à peine sept ans! Mais que m’est-il passé par la tête lorsque je lui ai proposé d’aller camper! Moi, la fille des villes, moi qui ne suis jamais allée plus loin que la nature de mon jardin. Je l’entends encore! Je devine un « maman » de désespoir!
- Oh tiens bon, mon coeur, mon ange. Sois courageux, j’arrive!
J’arrive. Oui mais trop tard. Le silence, pesant et angoissant, reprend possession de la forêt. La bête immonde s'est éloignée au rythme de mes pas. Peu m’importe où elle se cache, mon trésor est là. Je le distingue sous la clémence de la lune qui m’offre son clair. Il est allongé sur un lit de feuilles mortes. Son blouson cache sa face. Son short est lacéré de toute part, ses jambes, potelées, minuscules ne sont que charpies. Il saigne. Il se vide même!. Je tremble. J’espère encore.
En un quart de seconde, je suis près de lui. Il semble dormir. Je le retourne doucement de peur de lui faire mal, l’espoir tapote mes tempes. Espoir perdu à la vue d’horreur qui m’agresse. Il me regarde sans me voir. De ses yeux rieurs, il ne reste que le calme d’un souffle figé. Je distingue, dans sa bouche, grande ouverte, ses petites quenottes toutes blanches, celles-là même qu’il me montrait lorsque, tout sourire, il riait. Ce rire que je n'entendrai plus, balayé par son agonie hurlante. En lui caressant les cheveux, je continue mon inspection. Des larmes inondent mes joues. Je râle en découvrant la plaie béante traversant son cou. Il n’y a plus rien à faire. Je mets doucement son petit visage, si pâle, contre mon cœur et je le berce tendrement. Mon petit garçon n’est plus. Il ne rirait plus, il ne jouerait plus, il ne m’embrasserait plus. Il n’est plus qu’un pantin désarticulé qu’une bête sauvage avait massacré.
Derrière moi, un grognement. Je sens sa présence. Elle est revenue. Je ne bouge pas. Je reste là, prostrée, mon trésor contre mon cœur. A quoi ça sert de bouger? A quoi ça sert de se battre? Ce pourquoi je vis est, ici, dans mes bras. Et il n’est plus. Je sens son souffle réchauffer ma nuque. Elle est à quelques centimètres de ma tête. Puis, elle s’éloigne.
Comment? Elle ne veut pas de moi? Je ne sens pas suffisamment la peur pour qu’elle veuille me trucider? Est-elle repue d’avoir dévoré les entrailles de mon soleil!? Je serre plus fort la dépouille de mon petit garçon et me retourne vers cette bête immense. Je lui crie:
- Hé! Es-tu donc si cruelle de me laisser vivre sans lui?
Ses yeux noirs me fixent un instant. Je n’y lis aucune cruauté, aucune méchanceté, juste l’envie de tuer, juste l’instinct de vivre. J'aperçois les filets de chair et de sang entre ses immenses canines. La bête s’approche alors de moi, d’abord doucement. Puis, férocement, elle m’attrape par le bras. Mais je ne le lâche pas. Non, je ne lâcherai pas mon bébé, peu importe la douleur! C’est atroce d'être dévorée à petit feu. J’entends ses dents qui claquent contre mes os. Elle m’arrache un bout d’épaule et s’attaque ensuite à ma poitrine. Le sang gicle. Je hurle de douleur. Je l’entends même déglutir entre ses grognements. Je ne lutte pas. Je ne me débats pas. Vous comprenez, rien n’est plus terrible que de perdre son unique enfant. J’ai moi-même choisi de mourir sous sa gueule. Ma chair se mêle à celle de mon fils. Mon sang m’aveugle un peu plus. Cette odeur de mort est plus présente que jamais. Je sais que c’est la fin car je ne ressens plus rien. Alors, je cherche ses yeux, qui encore ce matin, riaient. Et dans un dernier soupir je mets mes lèvres sur les siennes. Oui, ce soir, la nuit est bien sombre mais je suis avec lui, je l’ai retrouvé, un peu tard mais je l’ai retrouvé.
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