Chapitre 2 - La nuit vous étreint de son voile
Vincent arriva à l'orée du domaine de Pantalone plus vite que prévu ; il n'y était jamais allé, mais il avait calculé la distance et donc le temps moyen qu'il aurait mis en marchant dans les rues. Mais l'adrénaline, l'appréhension d'un butin plus grand que la somme gigantesque qu'il avait déjà perçu l'avait poussé à faire du parcours sur les toits, afin de s'échauffer et de tester son agilité.
Le domaine appartenait à un haut-noble, car le Ravissard avait dû déjouer les vigilances des Gardes Républicains, mais ces derniers n'étaient pas tous aussi entraînés qu'on le prétendait : seuls ceux d'origine noble ou les porteurs d'œil divin étaient soumis à un cursus spécial, passant tous par l'Université par des classes privées.
Tous étaient égaux sous la loi, mais pas dans la vie elle-même.
La porte du domaine était fermée, mais cela ne l'arrêterait pas ; il fouilla dans sa petite besace bien sanglée sous son manteau, pour en sortir un grappin et deux fioles contenant des liquides rouges et violet qui luisaient comme de petites lucioles : du Pyro et de l'Électro sous forme liquide. Dans le cellier de la maisonnée où Vincent n'était que Vincent, il avait découvert une trappe secrète menant à un ancien laboratoire d'alchimie, qu'il avait réaménagé avec sa paie journalière... et nocturne.
Plusieurs fois, il avait failli être découvert à cause du bruit de ses expériences ratées sur des Blobs, mais il y a de ça deux ans, il était arrivé à extraire leur essence élémentaire, la stockant dans de petites fioles qui lui permettaient de reproduire les réactions nécessaires. Là, il avait besoin de propulsion, et une Surcharge ferait parfaitement l'affaire.
Il posa les deux fioles sous son pied, se concentra pour s'orienter vers l'endroit le plus propice, et écrasa le verre ; immédiatement, une petite explosion retentit et il s'envola presque. Sa parabole atteint son extremum juste au dessus du mur, et d'un coup de poignet il réajusta sa chute et se réceptionna en roulade sur le sol.
Il se releva, s'épousseta rapidement, et sourit ; cela faisait déjà 8 ans qu'il était le Ravissard, et désormais il était aussi volatile qu'un rouge-gorge. Il vérifia qu'aucune des fioles attachées à son porte-flacons ne s'était fêlée, puis s'accroupit : un garde avait entendu quelque chose, aux aguets et son arme au clair.
La tenue de ce dernier était étrange, capé de la tête aux pieds et col de fourrure, ce qui n'était pas très logique sachant que l'hiver était dans quelques mois. Derrière son masque rouge luisait des yeux de feu, donc Vincent déduit que ce garde n'était pas originaire de Fontaine. Il fallait redoubler de prudence.
Vincent attrapa un caillou et l'envoya contre la tête du garde.
Ce dernier le reçut en pleine poire, et sonné, tourna rapidement la tête de droite à gauche, cherchant la source de ce projectile. Vincent en envoya un autre, juste pour faire bonne mesure, et le garde se précipita vers les buissons dans lequel il était caché. Quand il arriva à son niveau, Vincent sortit d'une traite du rhododendron...
- Fais dodo...
...et assomma le garde d'un bon coup sur la tempe, avec une petite matraque sortant de sa besace. Vincent enjamba le type au sol, ne prenant pas le temps de vérifier son pouls, et se faufila jusqu'à la fenêtre la plus proche. Il regarda à l'intérieur : d'autres gardes, un gros en bleu, un colosse en violet et une asperge en rouge, tous en mode "fourrure", festoyaient joyeusement autour d'une table. Sûrement parce qu'ils pensent que leur petit camarade peut tout gérer... pensa Vicent avec amusement.
Sachant qu'il serait idiot de se confronter à ces gardes, Vincent prit une fiole Hydro, une Pyro, une Cryo et une Anémo. Cela puisait dans ses stocks, mais pour un coup pareil, la démesure était de mise. Il balança avec force les quatre fioles qui éclatèrent, provoquant une réaction violente qui fit apparaître un brouillard dense et fit crier les gardes de surprise.
Vincent entra par la fenêtre dans la pièce où il entendait les pas hagards des gardes trop arrosés pour se repérer dans la purée de pois. Il tapota l'épaule d'un des leurs, et dit :
- Vous savez où je peux trouver votre maître.
Le garde cligna des yeux un moment, avant de hurler : "au voleur !" et d'envoyer un coup de poing maladroit vers l'importun. Mais le jeune brun esquiva le coup avec aisance, surtout parce que ce dernier était maladroit. Néanmoins, il fit un croche-pied au garde qui emporté dans son élan s'étala sur le gros bleu, créant l'étincelle de la panique.
Le brouillard commençait à se dissiper, donc Vincent fit un salut d'adieu aux gardes médusés (qui ne le voyaient guère, pourtant), et partit d'un pas fier à travers les couloirs. Curieusement, il ne croisa plus aucun garde, mais il se dit que le comte ne dépensait pas ses richesses dans des services : ce dernier raffolait apparemment d'art, vu tous les tableaux qui étaient accrochés sur chaque mur : des scènes de bataille, de couronnement, des paysages, des portraits...
Vincent en repéra un qui lui plaisait : le portrait de la maîtresse du domaine où il travaillait le jour... et bien entendu celle qui lui avait demandé de voler le fameux anneau la nuit. Cette dernière se nommait Ghislaine Jacquemoud, une noble de bas-étage qui aimait le pouvoir, les bonnes manières et l'argent.
Un joli brin de femme, que Vincent adorerait charmer pour lui ravir sa fleur, aux cheveux luxuriants et dorés comme les rayons du soleil, aux yeux saphirs aussi profonds que la mer, sur un visage d'ange qui s'apprêtait aux rougissements de pucelle. Sur cette toile, elle portait de beaux atours verts, hommage à son peuple, les fées, et un chapeau d'un blanc pur. Une noble de bas-étage, certes, mais au goût moderne exquis, ça il ne pouvait qu'approuver.
Il sortit un morceau de charbon dans sa besace, et traça son signe distinctif : un R stylisé qui montrerait à tous que le Ravissard volait autant dans les bas que les hauts quartiers. De quoi porter son succès et sa réputation au sommet... Rien que de penser à toute la gloire qui en découlerait, Vincent eut un frisson d'excitation.
Les bruits de pas des gardes se rapprochant, il relança sa marche avec une cadence plus haute, non sans laisser au sol, comme dans le conte du garçon abandonné par ses parents dans la forêt, des fioles élémentaires. Les gardes, dans leur précipitation, marcheraient dessus et provoqueraient des réactions en chaîne, ce qui les ralentiraient suffisamment pour laisser le temps à Vincent d'emprunter le bijou de famille.
Quand il arriva à la porte en chêne massif, il l'ouvrit avec fracas.
- Je suis navré ; je n'ai pas pris de rendez-vous, mais vos hommes se sont avérés... peu avenants.
Il vit que le seigneur du lieu était assis dans un fauteuil, face à la fenêtre. Entendant un soupir, Vincent le regarda se lever, et constata son immense stature. L'homme avait la peau blafarde, et des longs cheveux noirs descendaient en cascade sur ses épaules. Son visage était taillé à la serpe, et son nez était aquilin. Et ses yeux étaient d'un rouge profond, sanglant.
C'était un trait qu'il partageait avec la capitaine Leavitt, et Vincent sentit son cœur battre un tantinet plus vite.
Malgré le fait que Pantalone était en robe de chambre, sa grandeur n'en était pas moins diminuée : tout en lui respirait la patience, la noblesse... Et son regard n'était ni en colère, ni apeuré ; juste observateur. Quand il prit la parole, ce fut avec une voix mélodieuse mais distinguée :
- Et moi qui pensait que poster quelques agents allait me permettre de regarder le ciel de Fontaine en paix.
- Je vous comprends, répondit Vincent sur le ton de la conversation, s'appuyant contre un mur. On peut voir de si belles étoiles en cette période.
Le comte sourit, avant de se tourner vers un miroir valant sûrement des millions de Mora, et regarda son reflet. Puis, il tourna légèrement ses yeux pour croiser ceux de Vincent.
- Vous êtes là pour la bague, n'est-ce pas ?
Vincent tiqua, et le comte éclata de rire.
- Vous vous donné tant de mal pour une babiole aussi peu rentable...
- Je ne vends pas mes acquisitions, ânonna le Ravissard en haussant des épaules. Néanmoins, il semble que cet objet ne vous est guère précieux, donc je peux vous en délester...
- Mais faites donc, l'encouragea le noble.
Vincent faillit trébucher en se redressant ; il avait crû que le noble jouait un double jeu afin de lui faire perdre du temps, mais il semblait réellement se contreficher de la perte d'un objet. Vincent s'approcha lentement, jusqu'au comte qui montrait de la main un petit coffret sur une commode. Il l'ouvrit ; c'était bien la bague, toute rouillée qu'elle était, avec ses inscriptions élémentaires et antiques.
Méfiant, il se tourna vers le comte, et celui-ci continua :
- Je connais votre réputiation ; le "Ravissard", que tous craignent de voir le signe chez eux, terrorisant tous les riches. Vous donnez votre butin aux plus démunis ?
- Ça se pourrait, mentit Vincent.
- Avare et menteur, opina le noble. Mais talentueux : votre réputation vous précède, mais elle n'est pas infondée...
- Que voulez-vous ?
Pantalone sourit, puis alla se rasseoir sur son fauteuil. D'un coup d'œil, Vincent put voir son œil divin se balancer entre les plis de sa chemise de nuit.
- Je veux vous engager pour voler des documents dans le Hall de la Justice.
Vincent pouffa ; le Hall de la Justice ? C'était l'endroit le mieux gardé de la ville, là où se compilaient tous les textes de lois originaux, et tous les documents administratifs et judiciaires de la ville. Quiconque mettait la main sur l'un d'eux devenait le maître de la personne concernée, mais pour y entrer, c'était presque impensable.
En sortir ? Impossible.
- J'accepte le challenge, confirma Vincent, arrachant au comte un sourire. Mais je souhaite que vous allongiez la monnaie, mes services sont proportionnels au danger que je coure.
- Bien entendu, fit le comte. Vous serez payé chaque jour d'une somme six fois supérieure à ce que votre commanditaire, et le triple quand vous aurez terminé le travail. Je vous laisserais deux mois, pas plus.
Vincent s'étouffa presque ; il avait bien entendu ? Six fois ? Rien que la somme d'aujourd'hui l'avait étonné : 50 000 moras d'avance, et 120 000 une fois le travail terminé. Mais là, avec ça, il gagnerait assez pour pouvoir dilapider sa fortune pour le restant de ses jours ! Mille plaisirs qui s'offriraient à lui : les meilleurs mets, le vin le plus délicat, les filles les plus belles et les plus prisées...
- C'est étrange, tout de même... Vous attendiez vous à ce que je vienne ?
- Il est bon d'utiliser sa clarté d'esprit pour voir plus loin, considéra le comte. En effet, j'ai délibérément fait croire à nombre nobles que cet anneau ancien permettait d'attirer bonne fortune, et je me doutais bien qu'ils en appelleraient au meilleur voleur de la ville.
Devant l'air sceptique de son interlocuteur, le comte continua :
- Je ne souhaitais point vous quémander par les voies habituelles, car je savais que nombre nobles de la cour visent ma place et n'hésitent pas à payer les coursiers pour lire mes lettres. J'ai donc organisé ce stratagème pour vous amener ici afin de marchander.
- Plutôt malin, en effet... reconnut Vincent, une pointe d'admiration dans le regard. Et que voulez-vous que je vole ?
Le comte tourna sa tête de la fenêtre, dévisageant le Ravissard.
- Si vous voulez vraiment faire honneur à votre surnom, je veux que vous dérobiez des documents de l'Archon Yennaria elle-même.
Alors ça... C'était au delà de l'impossible, c'était carrément suicidaire !
- Vous savez comment me parler, Comte Pantalone.
Le comte plissa ses yeux, lâchant un sourire satisfait. Il se leva une nouvelle fois, et fouilla dans un des tiroirs d'une commode hors de prix pour en sortir une sorte d'objet étrange... J'ai déjà vu ça quelque part... Oh !
- Votre visage m'indique que vous êtes familier avec ce genre d'objet ; il s'agit bien d'un Reconnisateur, et la nature des documents est déjà enregistrée dans l'objet. Une fois dans le Hall de la Justice, de quelque manière que ce soit, vous activerez le dispositif et il vous mènera ensuite directement aux originaux.
Il le plaça dans la main gantée de Vincent, et la serra dans les siennes, bien plus grandes.
- Lorsque que les documents seront en votre possession, l'appareil enverra un signal vers le récepteur que je possède. Vous me retrouverez alors au plus vite à l'Amphithéâtre Marangon où se déroulera sûrement la pièce : "Pour une goutte d'espoir". Vous demanderez d'accéder au carré privé, et si le majordome vous demande votre carte de membre, vous lui direz : "La glace gèle nos pieds sous l'eau pourpre du sang des accusés".
- Plutôt sinistre.
- C'est un code connu de moi seul, sourit le comte. Avez-vous retenu toutes les informations ?
Vincent tapota sa tempe.
- Maintenant, tenez.
Le comte lui tendit un autre exemplaire de la bague, identique à tout point à cette dernière. Vincent ne saisit pas immédiatement, avant d'écarquiller les yeux.
- Cette bague sera pour votre commanditaire, afin qu'il n'ait point de soupçons.
- Pourquoi ne pas donner l'originale ?
- Et bien, regardez votre doigt.
Vincent baissa ses yeux, et sentit quelque chose poussait contre son gant. Il l'enleva et constata avec étonnement que la bague s'était glissée à son majeur gauche.
- C'est un ancien artéfact créé avant la guerre des Archons, expliqua le comte. Son origine est sûrement liée à Morax, le Dieu des Contrats de Liyue, car cette bague est spéciale : quiconque la porte après avoir passé un serment sera "châtié par la pierre" s'il parjure. Même si j'ignore la nature de la punition, je suis d'avis que vous deviez rester prudent.
Boudeur, Vincent observa son doigt emprisonné. Il n'aimait pas être lié par quelque chose d'autre que lui même.
- Comprenez ma prudence, se justifia Pantalone. Je ne souhaite pas vous voir échouer, pas plus que je ne souhaite perdre mon statut, et in finei ma fortune par la même occasion.
- Je saisis parfaitement pour la question de l'argent, c'est déjà suffisant.
Vincent se précipita à la fenêtre et sauta sur son rebord, non sans dire un dernier mot à Pantalone :
- Du coup, pourquoi vous voulez ces documents ?
- Pour sauver l'Archon d'un complot de la couronne.
Une pierre deux coups, en somme, pensa Vincent en sautant sous la nuit étoilée, déployant son deltaplane.
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