Chapitre 6 - Rivalité
- Encore un score maximum ? s'époumona Henry en se levant de sa chaise à une table de la cantine.
Il attira tous les regards autour de lui, et se rassit en reprenant contenance. Vincent sourit de toutes ses dents ; depuis qu'il était entré dans l'Université, les choses avaient beaucoup changé sous son regard : ses "amis" le regardaient se targuer de ses talents. Nul doute que ses exploits faisaient écho dans tout l'établissement.
Pourtant, une semaine était passée, et aucune demande stage de la part du Hall. Peut-être fallait-il changer de stratégie, pensa Vincent en regardant son omelette soufflée. L'amusement était assez secondaire quand on avait une mission importante.
- À quoi penses-tu ? lui demanda soudainement Annette, l'air inquiète.
- Pardon ?
- Tu as l'air soucieux depuis quelque temps, remarqua-t-elle. Est-ce que tu dors assez ?
- Arrête de jouer les mamans poules, râla Edmond en agitant sa fourchette avec peu de noblesse et d'élégance.
- Elle s'inquiète pour lui, Edmond, soupira Pascal. Honnêtement, je la rejoins sur son idée (il se tourna vers Vincent) Tu as l'air d'être ailleurs.
- Et vous savez quoi ? ajouta Henry au grand dam de Vincent. Je l'ai surpris à chanter sur le toit en regardant la mer.
Tous dardèrent un regard amusé sur Vincent, qui lança un air blasé à son ami aux longs cheveux bleus. Depuis qu'ils étaient entrés à l'Université, Henry avait développé plus de verve et s'était vu poussé deux bourses bien pleines. C'était bien qu'il ait de la répartie et ne se laisse pas marcher sur les pieds, mais il commençait vraiment à dépasser les limites.
En fait, la chose qui l'embêtait le plus, c'était Lumine à leur table.
Elle ne parlait que très peu, préférant répondre aux questions ou donner son avis si les autres lui demandaient. Et ça tapait sur les nerfs de Vincent ; à son instar, Lumine était la meilleure élève de sa classe. Henry en attestait à chaque fin de journée dans leur chambre respective, vantant les exploits de la jeune blonde au visage d'ange, sans jamais la dépeindre comme arrogante ou pédante.
Bref, c'était forcément un noble qui cachait son jeu.
Soudain, il eut une idée : lançant ce sujet comme une bombe sur la table, il parla d'une voix plus élevée que d'ordinaire, voulant se faire entendre par tout le monde :
- Et vous, où comptez-vous aller pour votre stage ?
Bien sûr, les réponses de ses camarades ne l'intéressaient guère. Un regard furtif vers elle, pour voir sa réaction. Malheureusement, elle le capta trop rapidement, ses yeux d'ambre semblaient lancer des éclairs. Vincent se retint de sourire ; Lumine n'appréciait manifestement pas qu'on l'inclue dans des discussions de groupe. Pourquoi tu nous colles comme un Blob Dendro, dans ce cas ?
- Je vais essayer de faire un stage sur un bateau de la marine, commença Pascal. De quoi récolter le maximum d'expérience !
- Je suis sûr qu'ils te trouveront parfaits ! lui assura Annette, arrachant un sourire à son ami géant. Moi je comptes sûrement travailler avec mes parents ; ce sera plus simple et un cadre de travail que je connais ne me stressera pas trop... Et toi, Edmond ?
- J'sais pas... (il parlait la bouche pleine, un peu dépassé par les propositions des autres) Faudrait que je demande à mon père, voir ce qu'il veut que je fasse... Haaa, j'ai hâte que ce soit les vacances...
- Tu devrais faire attention à ce que tes notes ne baissent pas ! le mit en garde Henry, arrachant un cri de souffrance exagéré au feignant de service. Moi je souhaites postuler dans la Garde !
- Ah oui ? Je peux demander à mon père de te recommander, si tu veux ! lui proposa Pascal.
- C'est...C'est vrai ?
Le visage d'Henry était vraiment hilarant : ses yeux écarquillés brillaient d'une joie telle qu'on aurait pu les prendre pour des diamants. Pascal éclata de rire :
- Bien sûr ! Je suis persuadé qu'il te trouvera à la hauteur ! (Puis il se tourna vers Lumine : ) Et toi, Lumine, tu veux faire quoi ?
- Faire un stage au Hall de Justice.
Des sifflements d'admiration parcoururent la table. Mais ce fut un sifflement de bouilloire qui faillit jaillir des oreilles de Vincent. Quoi ? s'enragea-t-il en serrant ses poings. Pourquoi ? Son plan était parfait parce que personne n'était allé en stage au Hall depuis des lustres, les gens préférant le faire autre part avant de postuler pour le bâtiment, car on racontait que les stagiaires étaient aussi bien traités que les habitants de la basse-cour.
Tu ne pouvais pas t'en empêcher, hein ? pensa Vincent en coulant un regard virulent à la jeune fille.
Une fois encore, ses yeux d'ambre croisèrent son vert forêt ; il vacilla. Comment une fille pouvait-il lui faire autant d'effet. Il secoua sa tête, tandis qu'Henry avait l'air aux anges :
- Ça tombe bien : Vincent va aussi faire un stage là-bas !
- Ah oui ? s'étonna Lumine, mais Vincent déchiffrait aussi bien les expressions que les livres d'enfants ; c'était un faux air.
- Avec un peu de chance, vous serez peut-être dans la même section ! C'est pas génial, ça, Vincent ?
- Formidable, grinça ce dernier.
- Tu es sûr que ça va ? Tu n'as pas la pêche aujourd'hui... s'enquit Edmond.
Le regard qu'il s'attira était aussi froid que les neiges du Mont d'Albâtre.
- Mes amis, déclara Vincent en se levant, je m'excuse mais j'ai du travail à faire. Bonne fin d'appétit.
Il partit à grandes enjambées, plateau à la main, sous les regards étonnés de ses camarades. Déboussolé, Edmond se tourna vers eux et dit :
- J'ai fais une gaffe, hein ?
- Tu as trop forcé, grimaça Henry. Vincent peut sembler fort au premier abord, mai c'est un solitaire : il a beaucoup de mal avec les relations sociales.
- Je vais lui parler, fit Lumine.
Cela aussi, c'était une première au regard de la petite troupe attablée.
* * *
Un mot.
Un simple mot de la bouche d'un type qui ressemblait à un soldat avait fait ressurgir ces souvenirs qu'il s'était efforcé de chasse depuis sa plus tendre enfance. Comme une vague qui reflue, une seconde vient toujours en réponse à la première. La douleur qui naquit dans son ventre était un sentiment qu'il abhorrait par dessus tout.
Il marchait à grands pas, son visage tiré par la fureur effrayant les élèves sur son passage. Il sentit une mèche de cheveux tomber devant son regard ; son bout s'était embruni. Rageur, il repoussa la mèche d'un geste vif et fila vers sa chambre, sachant qu'il lui restait une heure avant la reprise des cours.
Il entra en trombe dans sa chambre, défaisant sa chemise avec des gestes tremblants. Il se plaça devant le miroir : son teint avait changé, il semblait plus cireux. Et comme il passait le plus clair de ses nuits à préparer son plan de vol du Hall, des cernes étaient apparues sous ses yeux. Il avait prit le soin de les maquiller, mais on ne peut pas longtemps cacher la fatigue à ceux que l'on côtoie chaque jour.
Son robinet ouvert, Vincent entreprit de laver son visage. Quand il releva la tête, on avait l'impression de voir une abomination au faciès dégoulinant. Il sourit : voilà sa véritable apparence.
- Tu n'es qu'un bon à rien ! J'aurais mieux fait de te jeter à la mer pour que t'y rejoignes la tienne !
Dans un festival de lumières et de bruis assourdissants, le sol tanguait. Des flammes. Une ville réduite en cendres. Un monde qui fut engloutit par l'océan froid et impitoyable, comme le visage brouillé de la silhouette qui tentait de l'envoyer dans les fonds.
Le jeune homme agrippa sa tête ; elle le lançait, les souvenirs tentant de prendre le dessus. Il gronda, chassa les réminiscences et leva son regard.
Elle était là, quelque peu essoufflée.
Il ne tenait plus ; une semaine à jouer la comédie, c'était trop. Lentement, un sourire déformé par la folie aux lèvres, il se tourna vers Lumine. Surprise, elle recula d'un pas.
- Tu as peur, hein ? lui lança Vincent d'un ton moqueur.
Elle le soutenait de son regard d'ambre. Son regard qui était aussi énervant que le visage de cet homme. Vincent s'approcha d'elle jusqu'à arriver à son niveau ; il faisait une tête de plus qu'elle, la dominant de toute sa taille et lui donnant clairement les vestiges de son visage qui en découvrait un plus sombre, plus retors.
Il sortit un couteau d'une de ses poches et le plaqua contre sa gorge.
- Je pourrais en finir avec toi maintenant, murmura-t-il à son oreille. Ton cadavre sera facile à dissimuler... Et je m'enfuirais loin, parce que rien ne me rattache à cet endroit...
-...Tu souffres.
Hein ?
Lumine glissa ses mains sur son visage, essuyant sur le côté le reste du maquillage, caressant les cicatrices qui le défiguraient. Son contact était à la fois délicieusement abject et terriblement envoûtant, si bien qu'il n'esquissa pas un geste quand elle plongea son regard dans l'océan de malheur qui le tourmentait.
- Tu souffres tellement...
- LA FERME !!! hurla-t-il en tentant de trancher sa gorge.
Tout ce qu'il se passa fut si rapide qu'il se demandait si la blonde n'utilisait pas de la magie ; elle disparut de son champ de vision, et Vincent fut plaqué au sol. Cette fois, c'est elle qui murmura à son oreille :
- Tu cherches à te venger de quelque chose (il tenta de se débattre, mais la force de la jeune fille était démentielle), seulement ton désir n'est pas assez grand. Tu caches ta véritable ambition derrière une façade.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
Soudain, la pression disparut, et il put enfin se redresser. Lumine le regardait avec l'air qu'il détestait le plus : un mélange de pitié et de déception. Elle se retourna pour s'éloigner, et, avant de fermer la porte...
- J'obtiendrais ce stage d'ici la fin de la semaine. Sois prêt à riposter, mais ne tente rien tant que tu n'as pas trouvé ton véritable désir.
La porte se referme sur ses mots avec un bruit aussi glas qu'effrayant. Vincent, assis sur le sol, avait les poings si serrés que ses jointures blanchirent.
Son véritable désir...
Non. Pour l'instant, je me concentrerais uniquement sur une chose : trouver un moyen d'entrer au Hall avant elle.
* * *
Lumine regardait Fontaine se coucher.
L'après-midi s'était déroulée sans encombre, mais Vincent ne lui avait pas adressé la parole comme à son habitude pendant le cours de droit. Le jeune homme l'intriguait de plus en plus ; au début, elle ne voyait en lui qu'un énième génie un peu chanceux. Mais désormais, son véritable visage avait été révélé, dévoilant un être de ténèbres enfermé dans une spirale de douleur.
Un être qui n'était que le jouet des dieux.
Lumine serra les dents sous l'effet de la colère ; les souvenirs de Khaenri'ah remontèrent à son esprit, la ville en flammes englouties par les cubes noirs et rouges de cette déesse qui l'avait séparé de son frère. Aether lui manquait ; la dernière fois qu'elle l'avait vu, il était en compagnie de ce Dainsleiff, un ennemi de son ordre. Bien que Lumine ait parvenu à chasser ce gêneur aux confins d'un autre royaume, elle n'avait cessé d'observer les réussites de son jeune frère.
Ses premiers déboires en Teyvat l'avaient amusé : il ne cherchait qu'à la retrouver, mais son grand cœur avait petit à petit prit le dessus et il avait libéré Dvalin des griffes de la malédiction du sang de son ennemi juré, Durin. Sauver la ville de Mondstat avait posé la première pierre de la réputation d'Aether. C'était plus simple de l'observer de loin.
Malgré la piètre tentative ratée des Fatui pour pousser Liyue à libérer Osial, et de contrôler le suzerain des vortex, son frère avait réussi avec l'aide des hautes structures et des Adepti à repousser la créature dans son sceau. Sa formidable puissance scellée par la Déesse Inconnue revenait petit à petit.
Désormais, son frère tentait de résoudre le conflit interne d'Inazuma. Entre temps, Lumine avait pu recroiser Aether, mais avait constaté que ce dernier n'était pas encore prêt à entendre la vérité. Surtout qu'il était accompagné en permanence par cette chose...
- Votre Altesse, grinça une voix gutturale avec déférence.
Lumine ne daigna pas se retourner ; il s'agissait d'un des Hérauts des Abysses, chargé de la protéger. Il s'était absenté sur ses ordres pour éviter d'attirer trop l'attention.
- Tu as fait vite, cette fois.
- C'est que je tiens à votre sécurité.
- Tu vas surveiller une autre personne que moi ; un certain Vincent d'Ambroise. Il va chercher à voler des documents à l'intérieur du Hall de Justice, d'une valeur inestimable. Lorsqu'il aura accomplit son exploit, tu lui emprunteras les documents en échange d'une généreuse somme.
- Entendu, et l'entité disparut dans son portail.
Lumine resta là, à admirer Fontaine qui allait bientôt changer.
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