Chapitre 10 - Crue
Le souffle rauque, Ruby tente de garder le rythme. Rester concentré sur ses sensations. Ne pas aller trop vite pour tenir longtemps. Ne pas trop ralentir pour que ça les emmène au bout.
Il sent la respiration précipitée d'Alexandra, entend son corps de femme qui s'efforce de suivre son corps d'homme dans cette danse effrénée à la vie, à la mort. Ses doigts s'agrippent à lui comme des serres dans l'effort et l'émotion.
A l'écoute de ses propres perceptions mais ignorant tant qu'il peut la tension qui s'accumule en lui pour être à la hauteur du moment, pour ne pas faillir, il s'évertue en vain de se focaliser sur la jeune femme afin qu'elle profite au maximum de son expérience et de son adresse d'homme des bois.
Parvenus au bord du point de rupture, ils font une pause, les yeux dans les yeux. Inutile de parler. L'un contre l'autre. La respiration saccadée, le corps tendu, ils essaient de s'oublier dans la présence de l'autre. Ils reprennent peu à peu la maîtrise de leurs corps apaisés et revigorés.
Il est temps de s'y remettre. Ils reprennent ensemble leur mouvement, d'abord lent et régulier, puis plus chaotique au fur et à mesure que l'effort se prolonge.
Il n'aurait jamais cru revivre ça. Surtout avec une femme.
A la rigueur, il se serait vu le faire avec un autre vagabond de l'existence, par exemple Bob, et ç'aurait été très bien. Avec Alexandra, c'est plus grave. Plus plaisant, c'est sûr, mais bien plus dur...
Bob aurait pu faire un bon partenaire, sacrément, même.
S'il ne les avait pas trahis.
Enfoiré.
En attendant, c'est Alexandra dont il doit se préoccuper. C'est elle qui a besoin de lui. C'est d'elle dont il a besoin.
Le poids contre son dos devient douloureux. La position, sans doute, conjuguée à l'effort, mais c'est au-delà de ça, ce que signifie ce fardeau.
- J'en peux plus ! gémit Alexandra après l'avoir arrêté. Je vais plus pouvoir tenir longtemps ! J'ai mal partout ! La gorge en feu !
Ruby se retient. Ne pas brusquer. Même si c'est si pressant que toute pause est risquée.
Il pose ses mains de chaque côté du visage de la jeune femme agenouillée devant lui et se penche vers elle pour l'embrasser.
- Tu peux le faire.
Il la regarde intensément.
- On n'a pas le choix.
Ses yeux brillent et, un instant, Ruby est sur le point de craquer, de renoncer. Mais il se ressaisit.
- Allez, courage !
La jeune femme acquiesce, poussant sa joue dans sa paume en se mordant la lèvre.
Il la tire par le bras pour l'aider à se relever et il l'enlace contre son coeur qui bat la chamade. Il la repousse légèrement et plonge à nouveau son regard dans ses yeux. Alexandra acquiesce à nouveau et ils se remettent en route d'un pas vif.
Sans courir, ils iront moins vite mais plus loin. C'est toujours mieux que d'attendre dans la neige qu'Armand vienne les abattre.
Ils sont partis deux heures à peine après le départ de Bob, le chat dans un sac et quelques vivres dans un autre, mais le 4x4 les a lâchés à quelques kilomètres du chalet et, d'un commun accord, ils ont décidé de continuer à pied pour mettre le maximum de distance entre le chalet et eux. Ils ont mis le cap à l'ouest pour ne pas risquer de croiser Armand, droit vers l'Alaska, pour atteindre Kloo Lake après une courbe à travers bois vers le sud. La neige prévue le lendemain devrait recouvrir leurs traces.
Il y a même des chances que le 4x4, enseveli, ne soit pas retrouvé avant plusieurs étés.
Mais il se peut aussi que leur pari, risqué, leur soit au moins aussi fatal que s'ils avaient attendu la fureur du mafieux.
Le froid ou le feu.
Ruby presse le pas sur la troisième voie, entraînant Alexandra par la main.
Du coin de l'oeil, il voit les larmes déborder de ses yeux.
Lui-même n'est pas serein.
Ils sont engagés dans une course contre la montre. Et la montre a des dents de givre acérées.
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