Chapitre 5-Un Riche Passé

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Lorsqu'ils franchirent le seuil de leur maison, Rosa et Georges ne trouvèrent pas René. Il s'était absenté pendant trois jours sans donner de ses nouvelles. Il revint, ne prononçant pas un seul mot d'excuse pour cette fugue. Il ne fournit aucune raison de son comportement singulier.

Le temps s'écoula. L'enfant poursuivit un bon développement physique. Malgré l’attitude du père, il effectuait des nuits sans pleurer. Il buvait goulûment son biberon sans rechigner ni faire le moindre caprice. Les parents le baptisèrent à l'église, comme quatre-vingt-quatorze pour cent des Français qui pratiquaient cela au cours des années 1960. Une vie commençait pour le trio.

— Tu as remarqué, comme je le constate moi-même, déclara Rosa à son mari manifestement contrarié, combien notre fils te ressemble.

— Les chiens ne font pas des chats, c'est bien vrai.

— Quel dommage que la couleur de tes yeux ne lui soit pas passée en héritage.

*

Lors des premiers mois qui suivirent la naissance de son fils, la mère le promenait fréquemment à l'intérieur de son landau. C'était une belle femme de type hispanique. Elle ne se servait pas de sa beauté en se rendant invisible aux yeux des hommes. Elle utilisait une gestuelle ralentie et gardait le silence. Tout dans sa manière profonde était de s'effacer et de se soumettre.

*

Par la rue Laborde, elle aimait longer les cent mètres de la cathédrale Sainte-Marie que Victor Hugo considérait « riche à l'intérieur et pauvre à l'extérieur ». Toutefois, Fernand Sarran, écrivait à son sujet.

« Voilà les tours. Voilà les murs. Voilà les voûtes.

Les pierres qu'apportaient les mains, je les sus toutes

Poser à fin niveau l'une sur l'autre.

L'art n'a laissé ni le plein ni le creux au hasard,

Et que le jour se lève ou que le jour se décline,

L'Église désormais, droite sur la colline

Est un hymne de Pierre à la mère de Dieu,

Et pourtant ! … Et pourtant ! Tiens ! Je t'en fais l'aveu.

J'ai l'esprit en deuil du mal de mes pensées. »

*

La mère et son enfant laissaient l’édifice sur la droite et regagnaient l'escalier monumental en traversant la place de Salinis où fleurissaient des feuillus aux fruits sucrés qui remplaçaient les platanes. Les racines s'enfonçaient au plus profond de l'ancien cimetière. Elle s'émerveillait du paysage gersois depuis le sommet de la colline. Elle s'asseyait, le garçon sur les genoux, et lui montrait le monde. Elle se levait ensuite, descendait quelques marches afin d’atteindre un jardinet au milieu duquel un robinet déversait une eau mutine. La fontaine murale maintenait au cœur les sonnets récités par les acteurs de la Comédie-Française à la gloire de la Gascogne. Les louanges furent prononcées le jour de l'inauguration de la statue du chevalier d'Artagnan. Depuis ce jour, Charles de Batz de Castelmore trône là, botté, l'air impétueux, le regard élevé vers le ciel tourmenté, prêt à dégainer son épée. Le capitaine des Mousquetaires du Roi représente un rempart solide du monde des bourgeois face à la plèbe qui vit au bas de la ville.

*

Le temps passa, et chaque mois apportait son lot d'événements qui semblaient tisser un lien caché entre les périodes de mémoire. Alors que Rosa et Georges continuaient leurs promenades, la cité d'Auch, elle aussi, paraissait suivre un cheminement, marqué par des moments de révolte et d'harmonie. Les nouvelles pousses, nourries des narrations de bravoure et de lutte qui imprégnaient l'atmosphère de la cité, grandissaient avec une conscience enracinée profondément. À l'instar des anciens qui osaient défier l'autorité, les petits Gersois avaient l'audace de s'élever contre les tutelles bourgeoises en place. Ils faisaient souvent la nique aux gendarmes locaux et commettaient de menus larcins. Cette connexion au bras du passé, bien que subtile, était toutefois palpable. Les murmures de l'histoire se mêlaient au quotidien, tissant un fil masqué entre la tradition et le présent. Les contes de jadis se confondaient avec les histoires contemporaines, créant une toile complexe qui contribuait à l’évolution d’une communauté. Pendant que la vie continuait son cours tranquille, les échos de la Révolution résonnaient au beau milieu des rues, rappelant à chacun que l’intrépidité et la détermination demeuraient des vertus intemporelles, transmises de génération en génération. Les murs de la vieille cité distillaient une atmosphère mystérieuse qui baignait les Auscitains, pénétrait leurs gènes et se régénérait insidieusement en un esprit de liberté dont ils firent preuve un 30 ventôse an 7 dont voici le récit.

Le 20 mars 1799 fut une journée mémorable ! En effet, pour la première fois, la population de la basse agglomération se révolta contre la haute. Au matin, les habitants, pris d'une frénésie visionnaire, se sont réunis sur la berge du Gers. Ils se formèrent en colonne, avec les femmes en tête, arborant une bannière blanche de soie mesurant deux mètres de long sur quatre-vingts centimètres de large, portant l'inscription en majuscule :

« DRAPEAU DES RÉPUBLICAINES »

Un membre de la société soutenant les principes de la Constitution et six assesseurs ont marché à dix mètres derrière. Le groupe a gravi l'éperon rocheux qui domine l’endroit afin d'arriver au temple municipal. Une fois là, le représentant du peuple s'est adressé aux autorités publiques.

— La souveraineté du peuple est inaliénable et supérieure à celles de la noblesse et du clergé. L’exercice des droits par le Tiers état étant difficile, il a délégué une partie de ses prérogatives aux gens des beaux quartiers. En contrepartie de ce mandatement, la population exige d'eux qu'ils respectent strictement la loi. Sinon, ils seront mis à mort.

Le maire a immédiatement pris la parole et a dit :

— Je me réjouis que les citoyens aient trouvé la liberté jusqu'ici oubliée. Je jure, sur mon honneur, prêter allégeance au peuple. J'ai toujours défendu la Constitution. Mon objectif incessant est de garantir la prospérité de tous les habitants, du plus pauvre au plus riche.

Ces mots apaisèrent l'assemblée. Les personnes quittèrent le lieu du rassemblement en ordre. Depuis cette période, les Auscitains vivent ensemble en paix et en harmonie, du moins c'est ce que l'on m'a raconté et ce que je veux croire.

*

L’héritage de Georges était double. Gascon du côté du père et Catalan du côté de la mère. Tout cela concoctait un mélange détonnant hérité des novateurs qui participèrent à l'insurrection. La rébellion, gravée dans la moitié de ses gènes, façonnait le caractère d’un insurgé. À travers les récits mystérieux transmis par l'atmosphère de la ville, l’enfant absorbait l'esprit intrépide de ceux qui défièrent l'autorité et revendiquèrent la liberté du peuple. Ce fil conducteur dissimulé, accompagné par une bravoure ancestrale, guidait ses pensées, lui insufflant la détermination nécessaire pour se dresser contre l'injustice. Ainsi, au fil des moments difficiles qu’il affrontait, il faisait honneur à la mémoire de ses ancêtres.


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