La Mort aux Trousses
La mission de surveillance s’était déroulée sans problèmes au-dessus de la base avancée sur Gedinne. Je signalais sporadiquement des 232 ou des Opels en direction de nos positions. Rien de bien difficile. Une mission à la mesure de mon inexpérience. Je ne savais pas encore que j’allais voir la mort de près et maintenant je sais à quoi elle ressemble : elle a des ailes et est couverte de croix noires tatouées.
11 septembre 2004, au-dessus du poste avancé sur Gedinne. Les escarmouches se font de plus en plus rares au sol et je me sens de plus en plus inutile dans mon H75. Soudain, une voix affolée sur la radio signale un 110 qui fonce tout droit vers les troupes au sol. Je relaie immédiatement l’appel vers le commandement aérien. La réponse claque comme un coup de fouet :
« Base de Maubeuge à Vigie Solo, vous êtes seul sur zone, il est à vous ».
À moi ? Mais mon avion est-il seulement armé, je n’en suis même pas sûr. Et je n’avais encore jamais descendu aucun ennemi. Et tous ces gars au sol qui comptent sur moi. Savent-ils que je suis encore aspirant ? Évidemment que non? Ils ne voyaient qu’un chasseur allié face à un 110 ennemi. Une grande inspiration et je fonce vers Gedinne pour me placer dans les 6 du bandit pendant son approche.
Le voici qui arrive. Je plonge sur lui et je crois que je hurle comme un dément sans m’en rendre compte. J’ai pris trop de vitesse, je vais l’overshooter et je n’aurai qu’une courte fenêtre de tir pendant mon passage. Toute ma concentration sur le centre de mon viseur et je presse la gâchette en tirant tout ce que peut cracher mon H75 en 2s, puis j’effectue une figure bâtarde entre une chandelle, un looping et un tonneau barriqué pour essayer de ne pas passer bêtement devant lui. Malheureusement, je vois des explosions, il a réussi à larguer ses bombes. Chargé d’adrénaline, je ne compte pas le laisser partir à si bon compte. Je me replace derrière lui, 100m plus bas pour ne pas offrir d’opportunité à son mitrailleur.
Je remarque alors qu’il est touché et qu’une légère fumée s’échappe de son moteur. Je ne me déconcentre pas même si la joie me submerge. Brusquement, il pique et commence à me distancer. Je le garde en ligne de mire. Fasciné par le 110 qui oscille dans mon viseur, je ne m’aperçois pas de la proximité de Gedinne et c’est alors que la DCA arrose généreusement ma portion de ciel. Saleté de poisson-clown qui va se réfugier dans son anémone … Le 110 fait de brusques embardées et finalement décide de se poser près de Gedinne. Je fais taire ma conscience en lui proposant de se pencher sur le cas des civils bombardés, et je profite de ce répit pour piquer sur l’oiseau blessé duquel sort précipitamment son pilote. Une rafale rageuse et une boule de feu expédient le 110, son pilote et quelques arbres ad patres.
… et première erreur
Je continue tout droit pour ne pas virer au-dessus de Gedinne et de ses DCAs. Je respire un grand coup, et je ris comme un imbécile. Je commence même à entonner une chanson paillarde. Je me penche alors sur ma navigation. Horreur. Je me retrouve au-dessus de Bertrix. Et à basse altitude qui plus est. En une fraction de seconde, je vire sur l’aile droite jusqu’à la limite du décrochage, tout à fond, direction pleine ouest et retour à la base. Je jette des coups d’oeil nerveux dans mes 6. Mais le mal est fait. Deux 109 décollaient juste de Bertrix tandis que deux autres croisaient mon chemin en sens inverse en altitude. Une meute est à mes trousses.
Les premières rafales sifflent autour de moi, mais je m’en sors bien. Je comprends vite que les deux 109 de Bertrix me prennent en chasse pendant que les deux autres booment et zooment. Je ne sais pas comment m’en sortir. C’est alors que, comme si je perdais la raison, je décide de raser le sol entre les arbres comme lorsque je faisais de l’épandage dans les champs. Je zigue et je zague entre les arbres et les bosquets, je joue avec les collines. La moindre erreur d’inattention et une branche un peu haute déchiquetteraient mon hélice. Ce petit manège dure dix bonnes minutes qui m’ont parues une éternité. Je manoeuvre encore dix autres minutes après avoir entendu la dernière rafale. Quelques coups d’oeil dans mes 6, en haut, partout. Ils ont abandonné !
Je reprends un peu d’altitude et je prends vite le cap du retour. Ce n’est qu’à ce moment-là que je réalise l’étendue des dégâts. Ma cuisse est en sang et le vent siffle par les trous de la carlingue. Mon aile gauche est très amochée et mon aile droite a perdu quelques plaques et rivets. L’avion vole encore par miracle, mais je n’ose plus faire de virage. J’aperçois la piste au loin, mais je ne suis pas dans l’axe. Qu’à cela ne tienne, je ne peux pas me permettre de faire une approche propre. J’entame ma descente et je suis à peine surpris quand mon train d’atterrissage se bloque.
Mes retrouvailles avec la terre ferme sont plutôt violentes et mon avion glisse interminablement. Quand j’ouvre les yeux à nouveau, je ne vois plus les hangars ni la tour, mais un champ parsemé de moutons, au regard plein de reproches. En descendant de l’avion, je passe les doigts par les trous faits par les mitrailleuses ennemies et je constate le miracle. Soudain, une énorme détonation parsème la queue de mon avion de centaines de petits trous. Je me jette au sol et je crie « je suis un pilote français !!! »
Encore une fois, j’ai vu la mort de près. Mais cette fois-ci, elle avait une barbe sale, parlait dans un patois incompréhensible et était armée d’un antique tromblon. Et elle aimait ses moutons.
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