Chapitre 5 - Thorvaldur et Sam - La rencontre

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Le lendemain de notre participation à la Journée des Clubs de Sports de Combat et de Musculation, Val répond au téléphone. C’est le type à qui j’ai parlé hier. Sans hésitation ni même me demander mon avis, Val l’invite pour cet après-midi à venir aux Ateliers du Bonheur. Je ne suis pas emballé. Il va falloir écouter et parler. Ce Malo est un homme très beau et il doit le savoir. Je le vois bien comme un joli cœur qui multiplie les conquêtes. Je m’en veux d’avoir des préjugés. J’ai bien peur qu’il soit bavard comme une pie. Mais d’un autre côté, il faut reconnaître qu’il me plait bien ce type. Ça fait longtemps que je n’ai embrassé personne. Je flirte, mais je ne vais pas plus loin, mon corps m’en empêche.

Val est impatient de rencontrer Malo. Il va même jusqu’à l’attendre devant une grande porte cochère. Quelques minutes plus tard, je les entends papoter dans la cour :

─ Allez, vas-y entre ! Cet atelier est en cours de réhabilitation. C’est encore le souk partout. J’ai hâte que ça finisse. Allez, viens. Tu pourrais dire bonjour, monsieur le mal-élevé ! Ah, je te jure ! Dis Val en soupirant.

― Salut ! Dis-je en levant les yeux de mon bouquin " Le Livre de l’Opium " de Nguyen Te Duc.

― Assieds-toi sur notre unique fauteuil. Il est élimé mais bien propre, je te l’assure ! Affirme Val en tapotant le dit fauteuil.

― Bonjour, Sam. J’espère ne pas vous déranger.

― Ça peut aller. Je continuerai de lire plus tard. Dis-je en glissant un marque-page et en posant mon livre par terre.

― T'as trouvé facilement ? Demande Val.

─ Oui, oui, pas de souci.

─ Val apporte nous du thé, s'il te plaît.

Je me tourne vers Malo et je lui demande :

─ Bon à part faire du taekwondo, tu fais quoi dans la vie ?

─ Comment sais-tu pour le taekwondo ?

─ Je suis observateur, lui dis-je.

─ Sinon, depuis quelques temps déjà, je suis architecte dans un cabinet de la région.

─ Architecte ? Nous coupe Val. Ouah, c’est génial ! Sam en a besoin d’un ! Sam, explique-lui notre projet. Allez, vas-y !

─ Ne t’emballe pas, Val. Je ne crois pas que cela puisse intéresser Malo.

─ Arrête, Sam ! Tu fais chier ! Moi, je vais tout t’expliquer, Malo. Voilà : Nous cherchons un architecte pour faire des plans fiables pour nos friches industrielles. Pour l'instant, on bloque car on voudrait transformer un ancien atelier de tissage en salles de sport avec sanitaires, sans compter les appartements et les deux magasins en façade qui sont en cours de rénovation. Il y a énormément de travail. Il doit être maître d’œuvre pour chapeauter tout ça.

─ C'est très intéressant comme projets.

─ On a rencontré quelques architectes mais leurs profils n'étaient absolument pas compatibles avec notre philosophie de vie. Oui, parce que je veux qu'il vive ici dans le second atelier d'artiste. Le gros œuvre y a été fait, il n'y a plus que de la décoration d'intérieure à faire. Dis-je à Malo très concentré.

─ Quelle est cette philosophie de vie si difficile à suivre ? Demande-t-il intrigué.

─ Nous sommes tous des hommes de la communauté LGBTQIA+, on ne veut pas d'hétéros avec nous ni de lesbiennes pour le moment. Ici, c'est notre espace de liberté. En plus, tu dois être accepté à l'unanimité par tous les mecs. Ce sont des chantiers très intéressants et importants, mais on ne veut pas les confier à n’importe qui.

─ Ouah ! Ce n’est pas un peu sectaire comme façon de voir ? S’exclame-t-il.

─ Peut-être, mais tant que le monde extérieur sera comme ça avec nous, et bien, on vivra entre nous, bien tranquille.

─ Je comprends. Il y a deux choses dont je suis sûr : la première c'est être bisexuel depuis toujours, mais ça, je ne peux pas vous le prouver. La deuxième chose, c'est que je voudrais bien travailler sur votre " endroit ". Si tu me fais visiter et si je peux prendre quelques photos, je t'enverrai des idées d'ici peu de temps.

─ D'accord ! Allons-y ! Dis-je en me levant de ma position fleur de lotus.

─ Houlà, la ! Tu as tapé dans l'œil de Sam ! Je suis impressionné ! Normal, tu as un charme irrésistible. C'est rare que notre " cœur de pierre " donne une chance à un étranger ! Alors là, je suis sur le cul ! S'étonne Val, très content et enthousiaste.

─ Bon, au lieu de dire des conneries, appelle les trois amoureux et dis-leur de venir nous rejoindre.

Val court, traverse la cour et disparaît. Malo et moi sortons dans la cour. Je ne suis pas très à l’aise. Il me regarde en me souriant. Je me demande bien ce qu’il a derrière la tête, l'architecte ?

Sébastien, Victor et Alfred arrivent avec Val. Ils ont été " emmerdés pendant leurs ébats " comme le gueule Victor :

─ Punaise, tu nous emmerdes même un dimanche! On était prêt à remettre le couvert. J'avais bien envie de refaire le petit train ! J'te préviens, on pue le chacal, on n'a sauté dans un froc et un tee-shirt, et hop, on est là !

─ Premièrement, n'insulte pas les chacals Deuxièmement, tu vas m'adorer et regretter ce que tu as dit : on a peut-être trouvé un architecte. Alors, qui ferme sa grande gueule toute mignonne et dis merci ? Lui répliqué-je .

Après une longue visite de plus de trois heures, entrecoupée de longues discussions autant professionnelles que personnelles, Malo est intronisé comme " plus beau mec de la communauté " dixit Victor, notre pipelette. Ils prennent rendez-vous tous les quatre pour la semaine prochaine. Je pars demain en Normandie, alors je les laisse seuls à leurs plans. Sébastien me promet un contre-rendu complet à mon retour.

J’ai besoin de solitude, c’est pour ça que je laisse Val tout seul aux Ateliers. J’ai mes recherches à faire pour un mémoire. Je vais y inclure des éléments de la tapisserie de Bayeux.

Bayeux n’est pas si loin, mais je dois partir aux aurores. Je ne traîne pas sur la route. À peine arrivé, je rejoins le conférencier privé que j’ai réservé. J’écoute attentivement ses explications qui correspondent à tout ce que j’ai déjà lu sur le sujet. Je fais des croquis de la dite tapisserie. Après cette entrevue de près de trois heures, je profite du beau temps pour me reposer dans un très joli jardin public très bien arboré. Je sors ma palette d’aquarelles et je mets en couleur certains croquis.

Un peu plus loin, il y a un très grand type blond comme les blés mûrs qui erre en regardant chaque arbre. Il semble perdu dans ses pensées. Il concentre en lui les stéréotypes du viking que l'on a depuis le 19ème siècle : grand, solide et blond aux yeux clairs. Ce normand semble sortir de la tapisserie que je viens de croquer. Je ne suis pas là pour m’occuper des états d’âme d’un normand !

J’ai envie de photographier les arbres, en particulier un hêtre pleureur impressionnant de par sa taille et sa majesté. Ses branches couvrent une très grande surface et sont soutenues par des armatures métalliques. En ce dernier jour lumineux de septembre, je mitraille pacifiquement les frondaisons mourantes du grand arbre où le soleil chatoie. Le sol commence à se recouvrir d'un tapis de feuilles allant du jaune à l'orangé. Je ne regrette pas d’avoir fait le choix d’avoir mis une pellicule couleur dans mon argentique. Je commence à être un peu crevé après les kilomètres à moto que j’ai avalés et les explications du conférencier. Je somnole les yeux fermés, allongé sur un banc la tête au soleil.

Une ombre persistante qui me cache le soleil, me réveille :

─ Je suis désolé de vous déranger. Puis-je vous demander un service ? Me demande le normand avec un léger accent germanique et un bégaiement assez marqué.

─ Vas-y, peut-être que je peux te le rendre ! Dis-je sèchement à l’importun qui est rouge de confusion.

─ Pourriez-vous me prendre en photo au pied de ce bel arbre ?

─ OK ! Mais c’est un appareil argentique, alors il va falloir me donner ton adresse pour que je t’envoie une épreuve !

─ Ah d’accord ! Si c’est possible, j’aimerais bien en avoir une pour mon père et ma sœur qui sont restés au pays.

─ OK ! Il faudra attendre quelques semaines.

─ Je ne suis pas pressé. Merci !

Je ne sais pas d’où vient son accent. Si je lui demande, il faudra que j’entretienne une conversation. Alors pas de questions, c’est mieux pour moi et pour lui ! Manque de pot, il a beau avoir l’air timide, il engage quand même la discussion :

─ Moi, c'est Thorvaldur Tudalsson. Tu peux m'appeler Thor. Je suis islandais, je vis en France et j’étudie les langues nordiques à l'université de Caen. Et toi ?

─ Sam, je suis français et étudiant en arts plastiques et en communication.

─ Ah tu es un garçon ! Me dit-il étonné.

─ Et oui ! Désolé de te décevoir !

─ Ah, mais je ne suis pas du tout déçu, au contraire.

Alors là, il m’a perdu l’islandais : qu’est-ce qu’il veut dire par contraire ?

─ Cela nous fait deux points en communs : être étudiants et être des garçons ! Me dit-il en souriant gentiment.

Il a un petit côté naïf assez mignon. Si on peut dire mignon pour un type de 2 mètres de haut et d'au moins 100 kilos !

─ Je t'invite à manger ? Me propose-t-il.

─ Bien, je ne sais pas trop. Je n’aime pas bien parler aux gens que je ne connais pas.

─ C’est comme tu veux. Je te laisse mes coordonnées. Dit-il en écrivant sur un morceau de papier son nom et son adresse. Tu vois si tu peux m’envoyer la photo. Si tu ne peux pas, tant pis. J’ai été ravi de te rencontrer. Puis-je me permettre de te dire que tu es très beau. J’ai passé un très bon moment avec toi. À bientôt, peut-être ! Au revoir !

─ Au revoir ! Lui lancé-je alors qu’il me tourne déjà le dos et part à grandes enjambées vers d’autres cieux.

J’apprécie qu’il n’insiste pas. Mais en même temps, je suis un peu chagrin. Plus il me parlait moins il bégayait. J’ai eu l’impression qu’il était à l’aise avec moi. C’est plutôt rare ce genre de situation ! En général, on me fuit. Bon pour la peine, je garde ses coordonnées et je lui enverrai les épreuves les plus réussies.

Je profite du calme de ma solitude pour finir mon mémoire sur " les arts et les artisanats scandinaves avant 1066 ". Ce n’est pas un peu pompeux comme titre ? Non, il dit bien de quoi ça parle. Demain ou après-demain, je rentre tranquillement aux Ateliers du Bonheur.

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