Chapitre 3 - Attraction et répulsion

6 minutes de lecture

Les semaines passaient plutôt tranquillement. Pour Aël, la relation qui s'était nouée entre eux deux, était évidente. Il donnait toute son énergie pour aider Caleb qui avait quelques lacunes. C'était la première fois que Caleb prenait plaisir à apprendre, à s'appliquer et à écouter quelqu'un. Il se tenait entre fascination et interrogation par rapport à Aël. Il avait du mal à comprendre que l'on puisse être si facile à vivre, heureux du moindre petit évènement quotidien et patient avec un camarade de classe aussi ignare que lui. La beauté angélique d'Aël lui plaisait mais elle le mettait mal à l'aise. Il avait l'impression qu'Aël flirtait et faisait en sorte de se rapprocher de lui de façon inappropriée. En même temps, il se disait qu'il faisait coller ses propres vices et fantasmes à la façon naturelle d'être d'Aël. Mais Aël était-il si naïf ? Et lui, était-il si pervers ?

L'automne s'était déjà installé. Les arbres de la cour de récréation s'étaient parés d'orange, de jaune et de brun clair. Le soleil était encore haut dans le ciel limpide. Aël et Caleb profitaient du temps clément pour réviser leurs mathématiques et leur français sous les frondaisons chatoyantes. Ils s'étaient installés à califourchon sur un banc, "leur" banc comme Caleb l'appelait avec fierté. Ce face à face studieux les ravissait : plus le temps passait, plus ils avaient plaisir à être ensemble. Caleb avait trouvé en Aël plus qu'un copain de classe. Le fait qu'il n'y ait aucune compétition entre eux et qu'Aël soit indulgent, ouvert d'esprit, enthousiaste et d'humeur égale, ouvrait de nouveaux horizons à Caleb.

En dehors des sports de combat, ils s'étaient découvert d'autres points communs comme jouer aux mêmes jeux vidéo, lire des mangas et regarder des animés comme Vinland Saga ou One Piece. Leur souhait commun était de voyager. Ils se racontaient leurs rêves de pérégrination pour des destinations lointaines. Aël, plus terre à terre, proposait pour commencer un tour de France, peut-être en moto, s'ils étaient assez riches. Avoir des projets et se projeter dans le futur étaient nouveau pour Caleb. Tout semblait possible et réalisable, Aël lui offrait le monde à portée de mains, lui donnant de nouvelles perspectives.

Pour Aël, leur amitié était actée, il était prêt à accompagner Caleb dans leurs rêves éveillés et même au-delà. Caleb se laissait emporter par cet éclaireur. C'était la première fois que l'on croyait suffisamment en lui pour l'inclure dans des plans d'avenir ; cela faisait quelques années que sa famille s'était résignée à ne plus rien espérer de lui. Être avec Aël le grisait autant que cela l'apaisait. Était-ce une des formes du bonheur ?

Ce pour quoi il avait vécu il y a encore quelques semaines, avait été chassé de son univers actuel : il ne traînait plus avec des filles de passage et s'était éloigné de son ancienne bande de copains. Plusieurs de ses potes avaient abandonné l'école et vivotaient entre chômage et missions intérimaires payées au SMIC, un autre était déjà père, et le restant n'avait comme unique activité que de se perdre dans la fumée bleuâtre de joints mal roulés ou pire. Caleb se sentait chanceux d'avoir écouté la voix de la raison, de s'y être tenu et surtout d'avoir croisé sur son chemin ce nouvel ami qui avait le chic pour lui dire et lui prouver qu'il était intelligent et digne d'intérêt. Les encouragements d'Aël étaient lénifiants et ouvraient un peu plus la voie vers un destin positif possible. Son horizon s'élargissait tout en se dégageant.

Toujours face à face sur leur banc, Caleb et Aël s'arrêtèrent un instant pour boire chacun à leur gourde respective : un samedi après-midi, d'un commun accord, ils étaient allé acheter leurs "roteuses" comme les appelait Caleb, elles étaient à l'effigie du jeune pirate Monkey D.Luffy ; celle de Aël était bleu ciel, sa couleur préférée et celle de Caleb était rouge. Captivé par les mouvements de navette de la pomme d'Adam de Caleb, Aël inclinait délicatement la tête vers son épaule. Caleb surprit son petit manège, alors il planta son regard dans celui d'Aël qui un peu gêné, se pinça fortement les lèvres laissant apparaitre deux jolies fossettes aux creux de ses joues empourprées. Après une grande inspiration, il ferma les yeux. À cet instant Caleb se rapprocha d'Aël et remarqua ses longs cils blonds recourbés qui ourlaient ses paupières, la petitesse de son nez retroussé, la fraîcheur de son teint clair parsemé d'éphélides. Son visage était aussi délicat que celui d'une très jeune fille. Une grande honte l'envahit : il se mit à bander, alors qu'il ne faisait que regarder le visage d'un camarade de classe.

Aucun autre visage, surtout d'aucune des filles avec lesquelles il avait couché, ne lui avait procuré ce cocktail de désir et d'émotion. Il remerciait la mode des pantalons baggy qui cachaient son embarras. À travers les tissus de la poche et de son boxer, il empoigna son sexe, afin de cesser ce réflexe d'adolescent mal dégrossi, il le serra si fort qu'il en eut un haut le cœur de douleur. À grandes enjambées, il traversa le préau et courut aux toilettes. Une fois le verrou tiré, il se plaqua contre la porte. Il était entre honte et ardeur, jamais il ne s'était empêché de se branler si l'envie lui prenait, mais là, la honte était plus forte que l'ardeur sauvage. « Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Qu'est-ce que j'fous ? » Quelques instants plus tard, Aël tambourinait à la porte des toilettes totalement affolé :

« Ça va mec ? Allez, Caleb répond ! T'es malade ?

  • Non, non, ça va. T'inquiètes mec. Retourne dans la cour, j'reviens dans cinq minutes.
  • T'es sûr ?
  • Oui, oui. J'arrive.
  • Ok. »

Caleb entendit les pas d'Aël qui retournaient vers leur banc. Il suivit les directives que lui avait apprises son entraîneur de boxe pour calmer son agitation : après avoir écarté ses pieds dans le prolongement de ses épaules, il fit de longues respirations abdominales, tout en relâchant tous les muscles de son anatomie. Il reprit possession de son corps et put rejoindre Aël qui était inquiet pour son camarade.

Plus les jours, les semaines passaient et plus Caleb devenait nerveux et confus. Face à Aël, il n'arrivait pas à se comporter normalement, ou au moins amicalement. Aël était toujours aussi souriant et enthousiaste, il avait toujours les mêmes gentilles attentions : un pain au chocolat ou un bonbon le matin, ou bien encore il l'aidait efficacement pendant les cours ou lors des études obligatoires. Mais plus Caleb se forçait à paraître indifférent, plus Aël se rapprochait de lui avec bienveillance. En plus, cette lubie du prof de les avoir mis en binôme ajoutait à son malaise : il ne pouvait pas lui échapper. Caleb ne savait pas comment se comporter, alors, hélas, ses vieilles mauvaises habitudes revinrent : pour décourager Aël, il faisait des allusions puériles et déplacées sur « la grandeur de son pénis qui devait être proportionnelle à sa taille » ou sur son air sérieux qui le rendait « niais et pédant ». Il se moquait de lui dès qu'il le pouvait. Caleb s'était rapproché de certains mecs de sa classe et les entraînait dans sa persécution envers Aël qui ne bronchait pas.

Mais à la fin-novembre, Aël perdit patience et prit le parti de ne plus lui adresser la parole et demanda à changer de binôme. Il fut convenu qu'au retour des vacances de Noël il y aurait des mises au point. La déception d'Aël était profonde. Il était plongé dans une totale incompréhension. Que s'était-il passé pour que tout dérape ? Il avait demandé des explications à Caleb qui ne répondait rien ou alors lui débitait des conneries ordurières. Si Aël rencontrait les yeux coléreux de son voisin de pupitre, il le toisait du haut de ses 1 m 60 et plein de mépris et soupirait de pitié. Caleb avait déclenché une guerre. Aël était entré en résistance passive.

Annotations

Vous aimez lire Tudalenn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0