Epilogue 2 : On s’était dit rendez-vous dans dix ans
Pénélope
— Alex, lâche les cheveux de ta sœur et viens te laver les mains !
Mon petit fauve, du haut de ses trois ans, quitte Clara des yeux le temps de vérifier si mon regard signifie que je suis à deux doigts de réellement me fâcher ou non. Constatant que je ne plaisante absolument pas, il s’exécute, grimpe sur la terrasse en s’aidant de la jupe de sa grand-mère Sylvia qui rigole en la maintenant pour ne pas finir les fesses à l’air. Après quoi, il court jusqu’à se réfugier dans les jambes de son papa qui fait mine de gérer le barbecue alors que ce sont nos pères respectifs qui assurent la tâche, comme d’habitude. Jonas rigole, ayant abandonné toute volonté d’avoir une vie au carré avec nos deux garnements. Il ne se plaint même pas pour la trace de terre un peu humide sur son short crème, préférant lui prendre la main pour l’entraîner jusqu’à moi.
— Raté, petit monstre, souris-je en l’entraînant jusqu’à l’évier tout en évitant soigneusement ses mains toutes sales, tu n’y échapperas pas. Jonas ? Tu ne veux pas aller changer discrétos la musique ? Je n’ai rien contre Johnny, mais je trouve que tes parents ont un peu trop accaparé la sono…
— Moi, toucher à la sono ? Tu n’y penses pas ! Ou alors, tu nous improvises un petit concert… Sinon, c’est Johnny jusqu’à la nuit tombée.
Bon sang, Dieu sait que j’adore mes beaux-parents, mais cet amour incommensurable pour Johnny Hallyday pourrait presque me pousser au divorce. Je n’en peux plus. Même chez nous, pour les sept ans de Clara, il faut que le fond sonore soit rock’n’roll… OK, c’est mieux que la Reine des neiges ou Dora l’exploratrice, je le conçois et, quitte à choisir, nul doute que le vieux gagne, mais quand même !
— Il est en train de plomber ma libido… Tu es sûr de ne pas vouloir éteindre la musique ? le provoqué-je en essuyant les mains du petit monstre roux qui rêve de sauter du comptoir.
— Tu sais comment me convaincre, toi ! Je vais trouver une solution, oui, tu as raison, assez de Johnny, s’empresse-t-il de répondre avant de se diriger vers les enceintes.
— Chut, homme faible ! Moins fort ou tu vas provoquer la colère des Marconi, me moqué-je en sortant de la cuisine pour déposer notre fils sur les genoux de ma mère. Tu veux bien l’aider à manger, s’il te plaît, m’man ? Je vais lui préparer une assiette.
Je m’éloigne déjà, bien consciente que ma mère ne dira jamais non à bichonner le petit dernier de la famille, et me dirige vers le buffet où salades froides, rôti et autres délices d’un petit repas familial qui ne paie pas de mine mais se révèlera assurément convivial, sont disposés. Les nombreux mômes plus si petits de la famille sont déjà en train de se servir… Je peine à réaliser que Gaspard a bientôt treize ans, que l’aîné de ma frangine en a seize et qu’il y a pas moins de neuf petits-enfants de Daniel et Chantal Jolivet dans notre jardin. Jonas et moi sommes les plus sages avec nos deux marmots et, croyez-moi, ça me suffit amplement, surtout quand je vois le comportement de notre petit dernier, aussi tête brûlée que moi. Clara, qui fête ses sept ans aujourd’hui, est plus posée, comme son père, mais n’en reste pas moins vive d’esprit et provocante… toujours comme son père. Bref, impossible de s’ennuyer dans cette maison, soyez-en assurés !
Le calme ne revient que partiellement lorsque les bougies sont soufflées, que les cadeaux sont ouverts, que les tout-petits barbotent dans une pataugeoire sous l'œil acéré des mamies et que les plus grands font un foot avec mon frangin. Après avoir débarrassé la table, je me laisse tomber sur le canapé de jardin à côté de Jonas et pose ma tête sur son épaule en nouant mes doigts aux siens.
— Deux enfants, deux anniversaires aussi épuisants… Tu vois, j’ai raison de ne pas en vouloir plus, non ?
— Je confirme que tu as raison, comme d’habitude, répond-il en souriant. Mais quel bonheur quand même de vivre tout ça à tes côtés.
— Hum, marmonné-je pour la forme. Rappelle-moi comment tu as réussi à me convaincre de concevoir des mini-nous ? Parce que franchement, l’alliance de toi et moi en version miniature, ça me fait peur pour l’adolescence.
— C’est clair qu’on n’est pas sauvés ! Mais bon, te convaincre avec mon charme naturel et mon côté beau gosse, c’était pas si compliqué que ça, finalement.
Me convaincre… Jonas aura réussi à me convaincre de bien des choses, ces dernières années. Le mariage, les enfants, notre propre boîte de comm’... Je crois que c’est moi qui ai eu le plus de mal à le convaincre quand j’ai voulu ouvrir notre entreprise près de chez nos parents. Paris est blindé de concurrence, ça a ses avantages autant que ses inconvénients, mais être proches de nos familles a bien plus de points positifs que négatifs… notamment des baby-sitters à disposition, et pas seulement pour une soirée de temps en temps. Bon, j’ai l’air d’une mère indigne en pensant ça, mais un weekend en amoureux tous les deux mois, ça ne fait jamais de mal.
— Combien de temps avant que nos mères soient trempées, à ton avis ? Axel va se faire un malin plaisir de jouer l’arroseur…
— Et toi, combien de temps pour que tu le sois si je t’embrasse comme ça ? me répond-il en s’emparant de mes lèvres avec gourmandise.
Je pouffe contre ses lèvres et réponds à son baiser avec plaisir, même si le petit monstre numéro deux a un radar à bisous et nous interpelle déjà pour nous montrer comment il nage “trop bien” dans sa pataugeoire. Impossible d’avoir une minute à nous avec ce petit démon, mais sa bouille est tellement adorable que nous avons bien du mal à lui en vouloir.
— Vas-y mollo quand même, soufflé-je en glissant ma main sous son tee-shirt. Si mon frangin t’entend me parler comme ça, je ne donne pas cher de ta peau…
— Je crois qu’il sait qu’on a consommé notre mariage, se marre mon mari. Je pense que je ne risque rien.
Je souris en jetant un œil à mon frère, occupé à essayer de marquer un but à notre neveu tandis que Clara est assise au pied de la cabane que nos pères ont construite il y a quelques mois. Elle a troqué la robe qu’elle avait choisie pour cette journée contre un short et un débardeur… Un vrai “garçon manqué” comme certains pourraient l’appeler. Une gosse futée, surtout une petite discrète et posée, comme son père l’était à cet âge, sauf lorsqu’on le cherchait un peu trop.
— Dis, tu crois qu’avec les années qui passent, tu vas devenir un père casse-pieds avec Clara ? Le genre hyper protecteur qui ne trouvera aucun garçon assez bien pour sa fille chérie ?
— Tu veux dire que je ne le suis pas déjà ? Mince, alors, j’ai raté quelque chose ! Plus sérieusement, je ne pense pas, je crois qu’elle saura se défendre toute seule. Elle a de qui tenir !
— Bien, donc si je te dis que je crois que le petit voisin a un crush sur notre grand bébé, tu ne vas pas te lever d’office et aller les séparer, hein ?
— Un crush ? C’est quoi, cette histoire ? Je te jure que s’il se permet de la rendre malheureuse, il aura affaire à moi. Mais non, je ne vais pas les séparer… Un voisin mignon et sympa, c’est peut-être le début d’une belle histoire ! Et peut-être qu’on sera obligés de les enfermer dans une pièce, un jour !
— Espérons que nous n’ayons pas à en arriver là, gloussé-je. En revanche, je crois que je commence à comprendre pourquoi nos parents réglementaient nos tête-à-tête… Les voir aller se planquer tous les deux dans la cabane, d’ici quelques années, ça risque de me faire flipper. Tu adorais me tripoter dans la nôtre.
— Et ne me dis pas que tu n’aimais pas ça ! Il faut bien que jeunesse se fasse. Enfin, pas pour notre fille quand même. Je vais installer une caméra dans la cabane, tu ne crois pas que c’est une bonne idée ?
J’éclate de rire et l’embrasse tendrement. Je suis quasiment certaine qu’il est sérieux, mais il n’ira jamais jusque-là. Du moins, espérons, parce qu’on risque de finir avec l’Aide Sociale à l’Enfance sur le dos, à ce rythme-là. Entre le traumatisme psychologique d’une surveillance digne des flics et les gamelles récurrentes du petit monstre, disons qu’on les cumule.
— Le petit Noah a l’air d’être un gamin sympathique… Et puis c’est notre faute, au final, non ? C’est nous qui passons du temps avec ses parents.
— Oui, mais vous formez un beau groupe de rock à trois, tu ne vas quand même pas renoncer à ce loisir pour empêcher Noah de draguer notre fille, si ?
— Non, tant qu’il ne joue pas au con avec mon bébé, ça devrait le faire… D’ici à ce qu’ils créent leur propre groupe ensemble, il n’y a qu’un pas. Je l’ai entendu jouer du piano, il est doué, le petit.
— Mère Louve est dans les parages, le petit chaperon Noah a intérêt à faire attention ! rigole Jonas avant de m’embrasser à nouveau.
— C’est toi qui as parlé de caméra de surveillance, Johnny, m’esclaffé-je en embrassant la cour du regard. J’adore ces grandes réunions de famille qui finissent en n’importe quoi… Et j’adore plus que tout les partager avec toi, mon petit mari.
— Ce n’est pas du n’importe quoi, c’est juste le bonheur, avec toutes ses facettes, ses petits riens qui font tout. C’est ça, la vie et pour moi, tant qu’elle est avec toi, je sais que c’est le Paradis.
— Je t’aime, tu le sais, hein ? murmuré-je contre ses lèvres en l’embrassant.
— J’adore quand tu me le rappelles comme ça, chuchote-t-il à son tour. Moi aussi, je t’aime.
Bientôt une décennie supplémentaire pour nous deux, dix ans passés ensemble, cette fois, et nous nous sommes attachés à effacer les années loin l’un de l’autre en profitant de chaque moment à deux, puis à trois et à quatre comme si c’était le dernier. Cela fait sans doute de nous un couple fusionnel, trop collés l’un à l’autre pour certains, mais c’est ainsi que nous évoluons avec sérénité et que nous nous épanouissons. Qui aurait pu imaginer, lorsque Jonas est parti à Dubaï, qu’aujourd’hui nous aurions deux enfants, une maison à la campagne, une entreprise et un mariage au compteur ? Dans tous les cas, j’ai arrêté les “et si”, parce que l’essentiel ce n’est pas les moments que nous avons perdus, loin l’un de l’autre, mais toutes les occasions partagées ensemble depuis, et il n’y a pas un jour où je regrette de lui avoir finalement accordé à nouveau ma confiance. Mon premier amour sera aussi le dernier, j’en ai la certitude chaque matin lorsque je me réveille à ses côtés, même s’il y a parfois deux petits monstres entre nous. Chez les Jolivet-Marconi, c’est câlins et baisers, rires à l’infini !
THE END
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