13. Guerre de position
Jonas
Lorsque je suis arrivé tout à l’heure, Elise ne m’a même pas regardé. Je ne comprends pas ce qui me vaut une telle réaction. Tout se passait bien et, même si c’est clair que ce n’est pas la femme de ma vie, la soirée que nous avons passée ensemble était délicieuse et hier, même avant de partir manger, elle papillonnait des yeux et me laissait entendre qu’elle et moi pourrions bientôt nous retrouver en tenue d’Eve pour une partie de jambes en l’air pleine de promesses. Et vlan, en rentrant de pause, je me fais jeter comme un malpropre. Je mettrais ma main à couper que c’est encore un coup de Pénélope et si c’est le cas, il faut que je fasse le nécessaire pour convaincre notre jolie secrétaire que ce serait bête de ne pas tenter une histoire juste parce qu’une de ses collègues s’est permis de déblatérer sur moi. M’imaginant tel un chevalier de la Table Ronde repartant pour une nouvelle quête, je récupère quelques paquets individuels de chocolat en morceaux et me dirige vers l’accueil, mon plus beau sourire affiché. J’ai de la chance, Elise est toujours seule mais se renferme sur elle-même dès qu’elle lève les yeux et tombe sur moi. Début pas vraiment prometteur, je vois que la partie n’est pas gagnée.
— Bonjour Elise, on peut parler ?
— Je suis un peu occupée, là. Tu as besoin de quelque chose ?
Levée de bouclier, il va me falloir utiliser tous mes arguments. Je me rapproche et lui tends les chocolats, le sourire toujours aux lèvres.
— Tiens, je t’ai ramené des petites sucreries. Et ne me dis pas que tu n’en veux pas, je sais que tu adores le chocolat.
— Merci…, me répond-elle en les prenant. Et donc, tu as besoin de quelque chose ? J’ai du boulot, là.
Après le bouclier, j’ai le droit à la lance. Le combat n’est vraiment pas gagné d’avance. Ça promet. Alors, à l’attaque.
— J’ai besoin de savoir quels mensonges t’a racontés Pénélope pour te retourner comme ça contre moi. Je suis déçu de voir que maintenant tu me boudes, alors que tout était si bien parti. Je ne comprends pas, en fait. Les histoires entre Pénélope et moi, ça ne devrait pas te concerner, si ?
— Que vient faire Pénélope là-dedans ? me demande-t-elle en levant le nez de son ordinateur.
— Eh bien, tu vas manger avec elle et tu reviens en me faisant la tête. Le lien est évident, répliqué-je en plongeant mon regard dans le sien.
— C’est ce qu’on appelle la solidarité féminine, sourit-elle avant de baisser le ton. On ne couche pas avec l’ex d’une copine, encore moins dans cette situation. Maintenant, j’aimerais pouvoir bosser si tu le veux bien. Tu as peut-être tes petits privilèges dans la boîte mais moi je viens d’arriver…
— Je comprends, soupiré-je. On ne couche pas, d’accord, mais si je peux quand même avoir droit à tes beaux sourires, je suis preneur. Travaille bien.
Je n’ai pas remporté la bataille, Elise se contente de lever les yeux au ciel, mais au moins, la guerre froide semble terminée. Elle n’aura pas la joie de goûter à mes charmes, tant pis pour elle, mais j’espère que notre petite discussion aura au moins permis de revenir à une entente cordiale.
Je retourne à mon bureau et prépare mon dossier pour aller rencontrer les représentants de SP qui souhaitent nous présenter leur stratégie actuelle afin que nous puissions la prendre en compte dans nos propositions. Je n’ai rien dit à ma collègue de bureau en raison de l’ambiance qui règne en ce moment mais je m’en veux un petit peu. Un grand peu si je veux être honnête. Jusqu’à présent, tout ce que j’ai fait, je pouvais le justifier d’une manière ou d’une autre, pas toujours de la façon la plus élégante, mais jamais personne n’aurait pu m’accuser de manquer de professionnalisme. Alors que là… Clairement, je commets une faute en ne lui en parlant pas. Et ça me gêne. Assez pour essayer de corriger ? Il faut croire que oui car plutôt que de partir, je vais toquer à la salle de réunion où elle fait un point avec son équipe.
— Pénélope, tu as cinq minutes ? demandé-je sans me donner la peine de m’annoncer. C’est urgent et important, ça concerne SP. Tu viens ?
Je n’attends pas sa réponse et retourne à mon bureau, en sachant pertinemment que cela va l’énerver. Il n’y a pas à dire, même quand j’essaie de faire mon boulot, j’ai du mal à rester totalement professionnel. Et bien entendu, bingo, elle débarque, furieuse, ses magnifiques yeux bleus lançant des éclairs.
— Tu devrais me sonner, l’effet serait le même ! Qu’est-ce que tu veux ? Tu n’as pas vu que j’étais occupée, peut-être ?
— Tu es prête ? Les représentants de SP nous attendent à dix heures. Il ne faut pas qu’on traîne si on ne veut pas être en retard. Ils doivent nous donner des éléments à prendre en compte dans ce que l’on va produire. Tu n’as pas eu le mémo ? Tu es à la bourre dans tes mails, peut-être ? demandé-je un peu perfidement, sachant très bien que rien ne lui a été transmis.
— Attends, c’est quoi cette histoire ? J’ai vérifié mes mails il y a quoi, vingt minutes peut-être, marmonne-t-elle en trifouillant son téléphone avant de soupirer et de me fusiller du regard. Dis-moi, tu baises qui pour avoir toutes les infos ? Non, en vérité, qui tu colles dans ton lit pour que les infos ne me parviennent pas, espèce de fourbe ?
— J’ai reçu le mail directement hier, pas besoin de coucher avec qui que ce soit. Désolé, j’aurais dû te le transmettre immédiatement, en effet, mais l’important, c’est qu’on puisse y aller ensemble, non ?
Je sais que j’ai déconné, que ce n’était pas très sérieux mais j’essaie de montrer le drapeau blanc de la paix.
— Et donc, tu vas me faire le coup à chaque fois ? me demande-t-elle en récupérant ses affaires. Je dois passer prévenir les collègues en salle de réunion avant de partir…
— Je t’attends à l’entrée. Ton espionne à l’accueil me surveillera, je pense.
— Ne te donne pas tant d’importance, je ne doute pas qu’elle a d’autres choses bien plus importantes à faire que de se préoccuper de toi.
C’est à mon tour de lever les yeux. Tout ce que je voulais dire, c’est que je ne pourrais pas me sauver sans qu’elle le sache mais je n’essaie pas de continuer à débattre avec elle. C’est inutile et, de toute façon, sa colère est légitime. A sa place, je crois que je serais déjà allé voir Philippe pour l’en informer et la faire virer.
Nous sortons ensemble de nos bureaux et je me retrouve seul avec elle dans l’ascenseur. J’ai l’impression d’être à côté d’un glaçon tellement son regard est dur et son attitude froide à souhait mais, en même temps, il s’agit d’un glaçon vachement sexy. Avec l’âge, elle a pris un peu de formes mais cela la rend encore plus attirante. Surtout quand elle porte une petite jupe comme aujourd’hui sur des collants noirs et un chemisier que je qualifierais de beige mais qui est sûrement crème ou corail ou un truc du genre, peu importe la couleur tant il souligne sa poitrine plantureuse. Elle doit savoir que se mettre ainsi en valeur lui donne un avantage car elle en joue et ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue avec un vêtement cachant ses courbes qui me rendaient déjà dingue à l’époque et qui me donnent toujours envie aujourd’hui, quoi que je puisse dire ou faire. Heureusement que la descente est rapide et que les portes de l’ascenseur s’ouvrent avant que je me sois replongé dans les folies dont nous étions coutumiers quand nous étions en couple.
Les bureaux de Silvania Petroleum étant eux aussi à la Défense, je lui fais signe de me suivre et nous nous dirigeons vers une autre tour où une secrétaire m’accueille avec le même sourire un peu gêné que m’adressait Elise jusqu’à il y a peu. Au moins, je sais vers qui me tourner si je veux innover un peu avec une nouvelle conquête. Elle nous indique d’attendre dans un petit salon près de la réception mais nous n’avons pas le temps de profiter du luxe des fauteuils en cuir ou de l’aquarium géant installé qu’une hôtesse vient nous chercher. Nous la suivons en silence et arrivons dans une petite salle de réunion où deux types en costume Armani nous accueillent avec un sourire sans chaleur.
— Bonjour Messieurs. Je suis Jonas Marconi et voici ma collaboratrice, Pénélope Duval. Nous sommes les deux directeurs en charge de votre projet au sein de Swan International. Enchanté de faire votre connaissance.
Cela m’arrache presque la langue de la présenter comme mon égale mais je me suis décidé à être professionnel aujourd’hui et il faut que je le sois jusqu’au bout.
— Bonjour et bienvenue à vous deux. Installez-vous, je vous en prie. Je suis Samuel Guérin et voici Gérald Mousset, responsable Marketing dans l’entreprise.
Nous nous installons en face d’eux et rapidement, ils entrent dans le vif du sujet. Pénélope, comme moi, prenons en notes ce qu’ils nous expliquent. Samuel et Gérald semblent sous le charme de ma collègue et j’ai l’impression que leurs regards ne quittent jamais bien longtemps son décolleté. Il faut dire qu’on a vraiment l’impression que ce dernier bouton, tendu comme il est, ne va pas tenir longtemps et libérer ces deux seins que je sais si sensibles aux frottements et caresses. Gérald, au détour de nos échanges, se permet tout à coup une petite remarque en fixant sans s’en cacher les seins de mon ex.
— Pénélope, vous me donnez l’impression de… déborder d’idées. J’ai le sentiment que vous n’attendez qu’une chose, être prise en main pour élaborer votre campagne. Cela vous dit qu’on continue cette discussion demain dans mon bureau ? Ou même ce soir, si vous voulez. J’ai de mon côté de beaux arguments à faire valoir.
Je manque de m’étouffer en entendant ces propos tendancieux au caractère sexiste à peine voilé.
— Nous travaillons ensemble, Pénélope et moi. Et ces invitations n’ont rien à faire dans ce type d’échange, ne puis-je m’empêcher d’intervenir avant que Pénélope ne réagisse à son tour.
— Jonas a raison. Il est important que nous ayons tous les deux les mêmes informations afin de pouvoir travailler au mieux. Mais il est vrai que je fourmille déjà d’idées, lance-t-elle avec une décontraction feinte.
— N’y voyez là aucune mauvaise intention, intervient Samuel tout en posant sa main sur celle de la rousse qui se tend à mes côtés. Il faut juste que l’on apprenne à bien se connaître mutuellement afin de travailler ensemble au mieux. Un peu de proximité, de rapprochement, ça va vous aider à répondre complètement au moindre de nos désirs.
— Je peux vous assurer que nous avons tout à fait compris ce que vous vouliez, indiqué-je en me levant. Nous allons vous faire des propositions à la hauteur de vos ambitions.
Pénélope a profité de mon mouvement pour dégager sa main et se lever à son tour mais elle se permet encore une réflexion.
— Oui, nous avons très bien compris, et vous pouvez compter sur nous pour travailler ensemble et bien approfondir les choses de notre côté. Je vous remercie pour l’invitation à dîner, monsieur Mousset, puisque j’imagine que c’est de cela qu’il s’agissait, mais je vais devoir la décliner, je doute que mon mari apprécie les changements de plans de dernière minute. On y va, Jonas ? Nous devons plancher sur la suite au plus vite…
Les deux semblent légèrement frustrés de notre départ un peu précipité mais je fais exprès de passer mon bras dans le dos de Pénélope pour qu’elle me précède vers la sortie et ils nous raccompagnent jusqu’à la réception où nous nous saluons de manière relativement professionnelle. Lorsque nous nous retrouvons à l’air libre, j’ai l’impression de relâcher un peu toute la pression qui s’était imposée à moi. Et rien à voir avec le contrat mais clairement avec leur attitude vis-à-vis de ma collègue. J’aurais eu l’air con si elle avait envisagé de répondre favorablement à leur demande.
— Eh bien, ils sont pires que moi, non ? demandé-je en souriant légèrement. Finalement, j’aurais peut-être dû venir tout seul, même si tu t’es bien défendue.
— Merci pour le soutien, soupire-t-elle. Sérieusement, j’en ai ma claque des mecs qui se permettent ce genre de réflexions. La lourdeur des types, tout ça parce qu’ils sont incapables de se tenir face à une paire de seins !
Je préfère ne rien dire car je suis moi-même presque incapable de faire mieux que les deux zigotos de SP. Il faut dire que moi, je me souviens de la sensation ressentie quand je caressais sa poitrine, de la douceur de sa peau et de la réactivité de ses tétons sous mes doigts, de ses gémissements qu’elle ne parvenait pas à retenir lorsque ma langue se posait sur ses aréoles brunes. C’est une torture de les voir au quotidien sans pouvoir les toucher. Son mari a une chance d’enfer et il en fait, des jaloux. Pour échapper à toutes ces pensées impures, je presse le pas afin de la sortir de mon champ de vision et calmer quelque peu mes ardeurs. Clairement, j’ai bien fait de l’emmener malgré ces désagréments, c’était la conduite à tenir et, même si cela l’a mise un peu mal à l’aise, j’ai peut-être réussi à faire redescendre un peu la tension qui existait entre nous. Nous sommes parvenus à travailler ensemble et c’est déjà un grand pas. Ce n’est pas la fin de la guerre, assurément, pas question qu’elle s’impose pour prendre ma place, mais c’est peut-être le début d’une paix bien trop froide à mon goût.
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