30. J’ai accepté par erreur la fornication
Pénélope
J’ai chaud. Beaucoup trop chaud. Est-ce que la clim de la chambre d’hôtel est flinguée ? Non… non, c’est différent, le genre de chaleur agréable qui me fait dire que j’ai fait une grosse connerie.
J’ouvre un œil et le referme dans la seconde en me prenant le rayon de soleil qui perce à travers les rideaux en pleine face. Foutu champagne ! Allez savoir pourquoi, cette boisson me fait toujours faire n’importe quoi. Bon, OK, je n’aurais pas dû me resservir, j’en ai conscience, mais avec le stress du projet SP, les tensions avec Jonas, ce petit jeu de provocation depuis notre arrivée à Dubaï… J’ai fait n’importe quoi, qu’est-ce qui m’a pris ?
J’ose à peine bouger et je garde les paupières closes, comme si ne rien faire allait m’empêcher de réaliser que j’ai couché avec Jonas. Mais quelle idée de merde ! Comment je vais me tirer de là, maintenant ? En ai-je seulement envie ?
Si je suis tout à fait honnête avec moi-même, repartir dix ans en arrière a été des plus agréables. Retrouver son corps, ses caresses, ses baisers… tout semblait si naturel entre nous, comme si nous ne nous étions jamais séparés. La réalité est pourtant toute autre : Jonas s’est tiré aux Etats-Unis pour un stage, il y a rencontré du monde, a commencé à sortir fréquemment le soir avec ses nouveaux potes et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “cocue”, je l’étais…
Son corps est pressé dans mon dos, son souffle chaud balaie ma nuque et mon corps réagit déjà à son contact. Un frisson dévale ma colonne vertébrale lorsque son bras, enroulé autour de mon ventre, resserre sa prise tandis qu’il soupire, apparemment encore endormi. Une partie de moi a envie de fuir tout de suite, de s’éloigner de cette terrible tentation, tandis que l’autre voudrait arrêter la course du temps et rester lovée dans ses bras.
Un grognement lui échappe tandis que je me décide à quitter son étreinte et sors aussi délicatement que possible du lit pour me réfugier dans la salle de bain. Cette nuit était… wow, comme il dit. Retrouver Jonas, c’est raviver toute une partie de mon cœur mort et enterré il y a une décennie sous le poids de la trahison.
Bien décidée à mettre derrière moi cette nuit qui n’aurait jamais dû avoir lieu, je me glisse sous le jet d’eau de la douche et tente de remonter le mur que je suis parvenue à dresser en me retrouvant face à Jonas chez Swan International. J’avais bien conscience de ne pas être insensible à cet homme malgré les années écoulées, malgré ses coups foireux au boulot, malgré ce qu’il m’a fait… Le voir m’observer avec envie m’a poussée à vouloir jouer, résultat des courses, c’est moi qui me suis perdue en route.
Un vent de panique s’insinue dans la douche lorsque je vois l’ombre de Jonas se dessiner derrière la paroie embuée, qui s’accentue encore quand mon partenaire nocturne entre à son tour dans la douche. Son regard balaie mon corps tandis qu’il affiche un léger sourire qui ne parvient pas à diminuer mon malaise. J’ai recouché avec mon ex alors qu’il est allé voir ailleurs. Je me déteste.
— Qu’est-ce que tu fais ? soufflé-je d’une voix bien moins assurée que je le souhaiterais.
— Je viens économiser l’eau, bien sûr. Comme hier soir ! répond-il en avançant vers moi.
— Tu prends ta douche avec tes coups d’un soir, toi ?
— Quand le coup se prolonge jusqu’au matin, ça ne me dérange pas, énonce-t-il lentement, perplexe.
— Ce n’est pas une bonne idée maintenant que je n’ai plus un gramme d’alcool dans le sang, soupiré-je en le contournant pour quitter la douche.
— Parce qu’il faut que tu sois bourrée pour coucher avec moi maintenant ? Tu n’as pas aimé hier soir ? C’est quoi, cette histoire ?
Pas aimé ? Il est fou… Bon sang, il faut que je me ressaisisse tout de suite, j’ai merdé, il faut que je sois intransigeante.
— Là n’est pas la question. Toi et moi, c’est fini depuis dix ans. On n’aurait pas dû coucher ensemble, c’est tout.
— Ce n’est pas ce que tu disais, hier soir… Tu m’as encore juste utilisé pour ton plaisir, c’est ça ? Tu m’as encore pris juste pour un sextoy ?
— Encore ? m’esclaffé-je. C’est la meilleure, celle-là. Ça va, tu n’as pas l’air d’avoir fini frustré non plus.
— Non, hier soir, c’était parfait. Mais là, tu es en train de tout gâcher. J’étais prêt à passer l’éponge sur le passé, mais je crois que ça aurait été une erreur. Tu n’as pas changé, toujours à faire ta girouette.
Passer l’éponge sur le passé ? Il est comique, lui. Il me reproche d’avoir coupé les ponts après avoir découvert sa tromperie ? J’avais à peine dix-neuf ans, mon premier amour m’avait brisé le cœur, il s’attendait à quoi ? A ce que je le laisse revenir dans ma vie comme si de rien n’était ?
— Je ne suis pas une girouette, je ne veux juste pas me laisser marcher dessus. Tu as fait tes choix, j’ai fait les miens. Cette nuit était une erreur et tu le sais aussi bien que moi, affirmé-je en rangeant mes affaires après m’être glissée dans mon peignoir. Nous sommes collègues, il ne peut rien se passer d’autre.
— Ouais, collègues, c’est ça, éructe-t-il en claquant la porte de la salle de bain derrière lui, me laissant au moins le loisir de reprendre mon souffle.
Une dispute à poil… C’est une première pour moi et je n’aurais pas misé un kopeck sur Jonas en face de moi pour vivre cette scène.
Je me dépêche de me préparer et quitte la salle de bain en emportant ma trousse de toilette. Jonas est assis sur son lit, sa valise posée à ses côtés. Habillé, il a le nez sur son téléphone et se lève lorsqu’il constate que la pièce est libre. Je crois qu’il est à deux doigts de me bousculer lorsqu’il passe à mes côtés, et la porte claque à nouveau sous sa colère. La colère… Elle m’a guidée il y a dix ans, il faut qu’elle m’aide à tenir aujourd’hui, parce que mon cerveau est clairement scindé en deux. Il y a la jeune Nono qui s’est réveillée, se souvient et veut retrouver ce qu’elle a perdu, et Pénélope, la femme déçue par l’amour et qui s’est encore pris une bonne claque il y a peu quant aux risques à développer des sentiments pour un homme. Y a-t-il seulement encore des hommes droits et honnêtes ?
J’enfile un legging et une tunique ample par-dessus mes sous-vêtements, puis termine de préparer ma valise. J’hésite à partir sans Jonas au petit-déjeuner, mais je me dis que je l’ai suffisamment contrarié pour la journée… D’un autre côté, l’ambiance lorsque nous descendons est clairement glaciale, ce qui est un peu un comble quand on sait qu’il fait déjà presque trente degrés dehors.
A table, même combat. Le nez plongé dans nos plateaux, aucun de nous ne parle. C’en est presque ridicule, nous sommes adultes !
— Je ne comprends pas où est le problème, finis-je par soupirer. C’est bien comme ça que tu fonctionnes, non ? Des filles d’une nuit, des baises torrides et tu tournes la page.
— Quand la baise est torride, elles en redemandent le matin, elles ne m’envoient pas chier comme une vieille chaussette pourrie, rétorque-t-il méchamment.
— Oh, donc j’ai blessé ton égo de baiseur compulsif. Mes excuses, mon cher !
— Mon égo va bien. Comme tu l’as dit, c’était une erreur et j’aurais mieux fait de me taper la fille de l’accueil. De toute façon, j’ai déjà oublié la nuit et je pense à la suivante. Baiseur compulsif un jour, baiseur toujours.
— Bien. C’est parfait. Alors arrête de faire la gueule comme si je venais de te dire que ta queue ressemble à un ver de terre desséché, marmonné-je.
— Ouais, dommage que tu sois aussi conne parce que sinon, tu pourrais presque être un coup convenable.
— La méchanceté ne te va pas. Faut croire que l’amour m’a rendue aveugle, tu es vraiment un gros con toi aussi en fait ! Je ne t’ai pas insulté tout à l’heure, je t’ai juste dit que je préférais qu’on arrête là.! Désolée d’avoir flingué ton égo mais, tu sais, une femme a le droit de dire non. Alors tu n’as peut-être pas l’habitude avec toutes les pimbêches prêtes à tout pour que tu leur écartes les cuisses, mais sorti de ton petit monde de baise sans avenir et de nanas qui ont toujours le feu au cul, il y a des femmes qui réfléchissent autrement qu’avec leurs hormones.
Il émet un petit ricanement méprisant et me jette un regard mauvais avant de me répondre.
— Purée, je comprends trop ton mari en fait. Tu m’étonnes qu’il soit allé voir ailleurs, le pauvre. On devrait même déjà lui donner une médaille pour avoir tenu aussi longtemps avec une femme comme toi. J’avais oublié à quel point tu pouvais être méprisante envers les autres, c’est fou comme il y a des choses qui ne changent pas.
Je fais tout mon possible pour garder un faciès neutre, mais il faut croire que cet abruti sait taper là où ça fait mal. Il peut bien parler, lui ! Le plus méprisant de nous deux, c’est lui. Je ne sais même pas quoi lui répondre. Je ne devrais pas être étonnée qu’il se range du côté de Steven après tout, il a été le premier à me briser le cœur en allant voir ailleurs. Qu’attendre d’un mec même pas capable d’être fidèle ou d’avoir la franchise de dire à sa copine qu’il préfère rompre ?
Je suis énervée contre lui d’utiliser ma récente rupture pour me faire mal, mais surtout contre moi de me laisser toucher par ses propos. Sauf que je refuse de perdre la face, de lui donner ce point, de le laisser gagner. J’aimerais remonter le temps, que cette nuit n’ait jamais eu lieu ou alors qu’il l’ait oubliée. Je pense que j’aurais mieux vécu qu’il ait trop bu pour se souvenir plutôt que de vivre ce qui se passe ce matin.
— Tu sais quoi ? Va te faire foutre, Jonas. Ton comportement machiste est dégueulasse. C’est vous qui allez voir ailleurs et c’est moi la fautive ? En même temps, à quoi est-ce que je pouvais m’attendre de ta part, si ce n’est à cette attitude ?
Je me lève, lui jette le fond de mon verre de jus de fruits en plein visage et m’éclipse avec mon plateau aussi vite que possible. J’ai besoin d’air, besoin d’être seule et de reprendre contenance. Surtout, je dois rester loin de lui le plus longtemps possible, parce que m’enfermer dans un avion en sa compagnie promet d’être vraiment long et compliqué !
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