Tous les matins, je la voyais entrer dans la cafétéria, commander un café noir et un muffin, puis s’installer seule, à une petite table ronde dans le coin le plus reculé de la salle. Elle s’isolait toujours. Pourquoi ? Jamais elle n’engageait la conversation avec d’autres clients dont la plupart était des habitués comme elle… d’ailleurs personne ne venait jamais s’asseoir à ses côtés. Ce n’était pas parce qu’elle était vilaine à regarder… bien au contraire son visage était plaisant avec des grands yeux noisette et quelques taches de rousseur sur le nez allant de pair avec une chevelure flamboyante. Vraiment, elle était très jolie.
Derrière mon comptoir, je l’observais tous les jours et tous les jours, elle faisait les mêmes gestes. Elle trempait ses lèvres dans le breuvage brûlant, croquait dans son muffin puis étalait un journal sur la table. Pendant sa lecture, de temps en temps, elle prenait son Smartphone et scrutait l’écran avant de le reposer aussitôt à côté d’elle d’un air triste. Tous les matins, je me demandais qui elle pouvait bien attendre ainsi ! Une fois son café et son petit gâteau avalés, elle regardait de longues minutes autour d’elle, ses yeux semblaient chercher quelqu’un… mais il n’y avait jamais personne.
— Un café, mademoiselle ! héla un type au fond de la salle.
Détachant mon regard de cette inconnue, j’attrapai ma cafetière. La tasse de café servie à mon client, je retournai derrière mon comptoir ; en chemin, je tournai la tête vers l’inconnue. Nos yeux se rencontrèrent. Il y avait une telle tristesse dans les siens que je m’arrêtai net sur place. Que lui était-il arrivé pour être aussi triste ? Je ne savais pas pourquoi mais j’éprouvais de l’empathie pour elle… Elle me faisait penser à quelqu’un… mais qui ? C’était comme si je l’avais toujours connue. Elle me fit alors un piètre sourire puis baissa la tête sur son journal. Elle rassembla ses affaires puis sortit de la cafétéria. Elle reviendra demain !
Toute la journée, son image m’obséda. Ce que j’avais vu dans ses yeux m’avait émue. Cette solitude qu’elle éprouvait, devait lui ronger la vie.
En chemin vers mon appartement, son visage, ses grands yeux tristes étaient toujours dans ma tête. Je ne me pressais pas de rentrer, je vivais avec un chat pour seule compagnie. Plus je pensais à l’inconnue, plus je me disais que je devrais aller lui parler. Ne pas la laisser seule ainsi... « Oui ! C’est ça… dès demain j’irai la voir » décidai-je en tournant la clé dans la serrure.
Patapon se frotta dans mes jambes, me quémanda quelques caresses. Je partis ensuite à la cuisine lui verser une poignée de croquettes. Il m’abandonna aussitôt.
Un plat surgelé insipide devant la télé puis l’heure du coucher. Une douche avant de me glisser dans les draps. Comme un boomerang, le reflet dans le miroir me renvoya le visage de l’inconnue…