Chapitre5: le jeu du chat et la souris 

7 minutes de lecture

Liv, août 2021

Je regarde la vidéo une fois de plus, puis encore une autre, comme si l'image allait soudain révéler un secret que je n'aurais pas vu auparavant. Cet homme... je le connais, non ? Pourtant, je suis sûre de n'avoir jamais croisé son chemin. Il est un parfait inconnu... enfin, parfait ? Ça, il va falloir attendre un peu pour le découvrir.

Le message qui accompagne la vidéo tourne en boucle dans ma tête :Mais quel lien y a-t-il avec ce type ? Un alter-ego dans une autre dimension ? Je fronce les sourcils. Une étrange déception m'envahit, et c'est curieux, parce que je ne m'étais pas attendue à grand-chose. Pourquoi est-ce que je ressens ce vide ? Il n'est pas censé me plaire, non ? Allez, Liv, je me dis, reprends-toi. Tu n'es pas sur un site de rencontre. Cet homme n'est pas ton prochain prince charmant. Tu es morte, tu te souviens ?

Je secoue la tête, essayant de reprendre le contrôle. Si je commençais par chercher la vraie définition de "alter-ego" ? Voyons ce que Google en dit. Je fixe l'écran, comme si l'ordinateur allait me livrer une réponse miraculeuse.

Alter-égo : personne de confiance à qui l'on peut déléguer toutes sortes de tâches.

Hum, intéressant... Je pourrais donc tout lui demander ? Un peu comme un génie qui exauce n'importe quel vœu, à condition que ce ne soit pas trop dangereux. L'idée m'enchante un instant. Et si j'avais ce pouvoir ? Bien sûr, je m'empresse de l'écarter. Exit les vols, dégradations et... meurtres. Je m'arrête net dans ma pensée. Un rire sourd et maléfique, qui ne m'appartient pas, m'envahit. Il n'est pas le mien, mais il m'effraie.

Et une fois que j'aurai trouvé cet "alter-ego", comment lui parler ? Salut, je m'appelle Liv, je suis morte, mais apparemment on doit faire quelque chose ensemble. Ce n'est pas un peu étrange, comme approche ? Non, non, non... Ça ne va pas du tout. Et puis, qui me dit qu'il pourra me voir ? Est-ce que je suis un fantôme, traversant les gens sans qu'ils ne me remarquent ? Est-ce que je peux interagir avec des objets, comme Patrick Swayze dans Ghost ? Je me moque intérieurement. Trop de films, Liv.

C'est à ce moment-là que Patapouf, mon vieux chat noir, entre dans la pièce, se léchant les babines comme un gros paresseux, sûrement à la recherche d'un endroit confortable pour hiberner jusqu'au printemps. Je fixe l'animal, espérant obtenir une réaction, un signe, quelque chose, mais il continue son chemin sans m'accorder la moindre attention. Je soupire, déçue. Les chats... Ils ont neuf vies et aucun souci, alors que moi, je suis coincée dans cette situation.

Deux heures passent, et je n'ai toujours rien. La vidéo tourne en boucle, mais je ne parviens à en tirer aucune information. À part l'heure en haut à gauche : 9h45, quand la caméra commence à filmer. Je me la repasse encore, cette fois en me concentrant davantage sur les détails. L'homme semble absorbé par quelque chose devant lui. L'enregistrement provient visiblement de la webcam de son ordinateur portable. Il n'a pas l'air de savoir qu'il est observé. Peut-être qu'il ne s'en rend même pas compte. À l'époque, on disait que Big Brother était partout. Et bien, c'est peut-être vrai.

Je me fige. Attends une seconde, je réalise que quelque chose m'échappe. Sur le mur derrière lui, une peinture de Manet attire mon attention : une femme et son enfant regardant des bateaux glisser sur une mer d'azur. C'est fascinant, beau même, mais ça ne m'aide pas vraiment. Je me force à continuer à analyser l'image, comme une détective résolue à dénouer ce mystère.

L'homme se lève trois fois pendant l'enregistrement. À 10h00, probablement pour aller aux toilettes. Une deuxième fois à 11h15, il réapparaît dix minutes plus tard, une cigarette à la main. Enfin, à 11h45, il change de tenue. Rien de suspect jusque-là. Il a une barbe mal rasée qui le fait paraître plus vieux, mais son regard est clair, vif. Il doit avoir autour de trente-cinq ans. Sa peau pâle est marquée de petites taches de rousseur. Il semble avoir été sportif, mais le surplus de graisse sur ses bras indique qu'il a probablement cessé toute activité physique depuis un moment. Curieusement, il est plutôt attirant. Il dégage une certaine douceur, mais ses gestes trahissent une urgence, une maladresse qui suggère qu'il suit des instructions, ou qu'il réagit à quelque chose qu'il ne contrôle pas.

Je me concentre à nouveau sur ses lèvres. Elles bougent rapidement, mais je n'arrive à rien. Pas un mot, pas une phrase intelligible. C'est frustrant. Peut-être qu'il y a d'autres vidéos qui suivront ? Je me force à penser à cela comme un puzzle, chaque pièce m'approchant un peu plus de la vérité.

Mes yeux papillonnent, une brume étrange envahit doucement la pièce, floutant les contours des objets autour de moi. Je cligne plusieurs fois des paupières, essayant de retrouver ma concentration. Mais quelque chose ne va pas, comme si l'air lui-même avait changé, devenant plus lourd, plus dense. J'entends un bruit de fond, à peine perceptible, comme des chuchotements lointains. Pas des voix, non, plutôt des murmures, des sons qui se mélangent et glissent dans ma tête sans que je puisse vraiment les comprendre.

J'hésite, me frottant les yeux. C'est juste la fatigue, sûrement. Mais ces murmures persistent, devenant plus insistants. Des mots se forment dans ma tête, éparpillés comme des fragments : choix, chance, destination. Un vertige me saisit. Je me lève brusquement, vacillante, mais mes jambes me trahissent et je me rattrape à la table. Un éclat de lumière fugace traverse l'écran, et tout autour de moi semble se tordre légèrement, comme une scène de film qui se déforme sous l'effet d'un filtre étrange.

Je me force à respirer profondément, à recentrer mes pensées. Pourtant, une sensation étrange s'installe, comme si quelque chose me surveillait sans que je puisse le nommer, un regard invisible qui pèse sur moi, me guette. Il y a un poids, une pression sur mes épaules, et pour une fraction de seconde, je crois voir une ombre floue se dessiner derrière moi dans le reflet de l'écran. Ce n'est pas possible.

Les murmures semblent s'intensifier, comme si quelqu'un, ou quelque chose, cherchait à me rappeler quelque chose que j'avais oublié. Une obligation, une attente... Est-ce moi qui dois décider ?

La pensée me frappe comme un éclair. Et si, d'une manière ou d'une autre, j'étais liée à tout cela ? Mais, non, impossible. Je suis juste... moi. Juste Liv. Pourtant, l'idée persiste, persistante et gênante. Un malaise s'installe dans mon ventre, une sensation de déjà-vu qui me fait hésiter à tout remettre en question. Est-ce ça ? Est-ce que j'ai un rôle à jouer dans cette histoire ? Je me sens comme un pion qui aurait été placé là sans avoir demandé son avis.

Le poids de la question me fait tourner la tête. Liam. Ce nom m'obsède, et pourtant je ne sais rien de lui. Je n'ai aucune idée de ce qui le lie à moi. Est-ce un hasard ? Ou suis-je là pour quelque chose de plus grand, d'invisible ? Les murmures ne cessent de me hanter, comme un refrain lointain. Peut-être que je suis juste fatiguée. Ou peut-être que tout cela a un sens que je ne suis pas prête à comprendre.

Je me force à m'arracher à ces pensées, à remettre la vidéo en pause. Mais la question reste là, persistante et inévitable. Que suis-je censée faire de tout cela ?

Puis, soudain, l'écran se fige. Le noir me frappe de plein fouet. Mais selon le curseur en bas, il reste encore une minute trente. Bizarre, je me dis. C'est comme ces films où il y a toujours une scène cachée après le générique. Léon insistait toujours pour qu'on reste au cinéma, me jurant qu'on trouverait quelque chose d'important à la fin. Et il avait parfois raison. Alors je scrute l'écran, me demandant ce qui pourrait apparaître après tout ça.

La phrase clignote en lettres blanches sur fond noir. Éclaire-moi.

Je suis perplexe. Dieu, ou qui que ce soit, a de l'imagination, mais il semble ignorer à qui il a affaire. Je me souviens de cette époque où j'étais étudiante et où je résolvais chaque jour des énigmes visuelles sur un site qui mettait à l'épreuve mon sens de l'observation. Je n'étais pas mauvaise à ce jeu. Alors, confiante, j'appuie simultanément sur deux touches pour augmenter la luminosité de mon écran.

Le nom apparaît alors en lettres rouges sur fond noir. Je reste figée, les yeux rivés sur ce qui s'affiche. C'est comme un éclair, un coup de tonnerre dans ma poitrine.

Liam Falks.

Mon cœur s'arrête. La vidéo reprend, cette fois en direct. Je reconnais immédiatement l'homme. Il est allongé sur le sol, en piteux état. Son jogging est déchiré, sale, plein de terre. À côté de lui, un mélange épais et visqueux, ce qui ressemble à son propre vomi. Il est face contre terre, les mains et les pieds liés. La caméra tourne autour de lui, dans un mouvement régulier, comme une danse macabre. Tout autour, c'est l'obscurité. Seulement lui, éclairé d'une faible lumière, reste visible.

Je veux détourner les yeux, mais je ne peux pas. Je suis figée. L'horreur me prend à la gorge. Chaque fibre de mon être me hurle de fermer cet écran, d'appeler la police, mais comment ? Je n'ai aucune information. Je tremble, une peur viscérale me serre le ventre.

Et pourtant, je ne peux pas m'éloigner. Parce que je sais que je suis liée à cet homme.

Et je ne peux pas dire avec certitude si Liam Falks est encore vivant.

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