La Symphonie du Dégel
Salle comble à l’Opéra. Une chaleur tropicale accablait les spectateurs. Dames voluptueuses, officiers rigides, tous rôtissaient sous le feu des lustres. Le chef d’orchestre monta sur l’estrade et salua. De face, il avait le profil de Jules César.
L’orchestre attaqua le 1er mouvement empreint de paix et de sérénité.
La paix était encore possible. Il suffisait de poster des sentinelles à tous les carrefours. En ce temps-là les morts n’étaient pas encore morts et les vivants respiraient la santé. Il flottait des agneaux dans le ciel. La Locomotive était prisonnière des glaces dans l’Arctique. Le 2e mouvement fut volcanique.
Ce fut le dégel. Un vent brûlant soufflait de Bolivie. Les hussards du 9ème corps français, harcelés par les Cosaques, s’enfonçaient dans la glace du Lac Peïpous sous l’œil étonné d’Eisenstein. Le Rubicon charriait des centaines de Chevaliers Teutoniques noyés.
La banquise se disloqua en écrasant des milliers d’ours noirs, de cygnes bipolaires, d’hippopotames blancs, toutes espèces disparues, d’où leur nom. La Locomotive roula sur des monceaux de cadavres jusqu’en Chine. A Shanghai, Chiang Kaï-shek rompit son alliance avec le PCC. Des dizaines de communistes brûlèrent vifs dans la chaudière de la Locomotive.
Quelques années plus tard les spectateurs regagnèrent leur place. Suivit le 3ème mouvement, allegretto échevelé. Quand le premier iceberg franchit les coulisses, le chef d’orchestre s’écroula dans la fosse. La Bérézina sortit de son lit. Laissé à lui-même, l’orchestre improvisa un 1812 enjoué. La Meuse enfin dégagée, Rommel lança ses Panzern à la poursuite du Maréchal Ney qui tomba sous les salves des applaudissements.
Puis la brillante assemblée se dirigea vers la sortie.
Dehors il neigeait.
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