II

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Le policier patienta un peu plus loin et observa les pierres tombales autour d’eux, telle une triste vague grisâtre. Ils avaient rejoint l’emplacement en voiture, le cimetière s’étendait sur des hectares. Quelques arbres apportaient un peu de verdure, mais l’herbe jaunie par la chaleur de Californie ne faisait que renforcer la tristesse des lieux.

Les invités disparurent à l’intérieur de leur véhicule. Le bruit des moteurs s’éloigna peu à peu, et ils attendirent le retour au calme pour discuter.

« Dis-moi tout ce que tu sais », ordonna Donnie.

Sam soupira et se massa la nuque, gêné.

« Ce sont des informations confidentielles… »

Un rire sarcastique franchit les lèvres de son interlocuteur.

« Tu crois que ta femme serait heureuse d’apprendre que tu reçois des pots de vin de Rodney ? Ou que tu fermes les yeux sur nos affaires ?

- Je n’ai pas de femme.

- Peu importe. Rod te tient par les couilles, d’une façon ou d’une autre. »

Le roux se mordit la joue pour contenir la colère qui pulsait en lui. Il dénoua légèrement sa cravate qui lui enserrait la gorge et épongea son front avec un mouchoir. Il se fichait des informations compromettantes à propos du flic. Ce dernier savait qu’il ne pouvait pas désobéir, il avait trop à perdre. Et il n’aimait pas qu’on lui rappelle.

« Ecoute, reprit-il plus calmement. C’est ma sœur. On a besoin de savoir qui est le salaud qui lui a fait ça. Et pourquoi.

- Tu me promets de ne pas te faire justice toi-même ? » demanda l’indic.

Le gangster grimaça.

« Tu sais bien que je ne peux pas promettre ça. »

Sam soupira et passa une main lasse sur son visage. Depuis combien de temps n’avait-il pas dormi ?

« Je sais ce que tu penses. Que je suis un incapable. Mais je te promets que je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver le coupable. »

Ils restèrent silencieux de longues secondes. Donnie ne trouva rien à répondre, puisqu’ils connaissaient tous les deux la vérité.

« Tu vas pas à l’hôtel ?

- Pour quoi faire ? Me rappeler que ma sœur est devenue une inconnue, qu’elle a fui parce qu’elle ne supportait plus sa vie ? Non merci. »

Il s’insulta intérieurement pour avoir laissé échapper ces mots. Il voulait éviter la foule d’hypocrites à l’hôtel, qui connaissait à peine Rebecca. En réalité, personne ne la connaissait. Sinon, l’un d’eux aurait pu remarquer sa tristesse et anticiper son départ. Il n’avait pas besoin qu’on lui rappelle ses erreurs. Et il ne supporterait pas de raviver les souvenirs partagés avec sa sœur. Un nœud douloureux emprisonna sa gorge.

« Je l’ai pas croisée souvent, je l’avais même pas reconnue, avoua le détective. Mais je me souviens d’une fille adorable. Je me suis souvent demandé ce qu’elle foutait avec vous. »

Il se contenta d’acquiescer et sortit deux clopes de sa poche avant de lui en tendre une. Ils fumèrent en silence. Le bruit de la conversation entre Rodney et Marylin leur parvenait, sans capter vraiment leurs mots. Son ancienne épouse avait repris contenance et pointait la tombe du doigt. La trêve n’avait pas duré longtemps.

« Si je trouve quelque chose, je t’informerai », promit Donnie.

Sam le dévisagea, à la recherche d’un sourire mesquin qui aurait trahi une blague. Le sujet était trop grave. Le voyou ne savait pas conduire une investigation. L’aide du policier pouvait lui être utile, mais ils savaient que le premier à mettre la main sur le coupable aurait le droit de vie ou de mort…

« Le médecin légiste a remarqué un détail surprenant. Oui, encore. »

Il posa ses mains sur ses hanches et soupira. Les détails déconcertants se multipliaient. La posture du corps, la mise en scène de crucifixion, le sac plastique, les mots gravés sur sa peau…

« Impossible de le voir plus tôt, à cause du clou et du sang… Le meurtrier lui a arraché la peau du dos de la main. Les deux mains. »

Donnie fronça les sourcils. Personne ne trouvait d’explication à ce phénomène. L’enquêteur poursuivit :

« On a fouillé les poubelles de la station-service et alentours. On n’a pas l’arme du crime, malheureusement. Sûrement une batte de base-ball, ou un tuyau. Par contre, on a trouvé le rasoir qui a servi à… »

Il se mordit la lèvre, mais le roux lui fit signe de continuer.

« Aucune empreinte, bien sûr. Le légiste a dit que les scarifications ont été faites post-mortem. »

Elle n’avait pas souffert à cause de ça, au moins.

« Plusieurs de ses os ont été brisés avant sa mort. Un coup lui a brisé la nuque. »

Le frère de la victime frissonna, malgré la chaleur étouffante. Il ressentait un profond dégout pour lui-même. Il infligeait des sévices bien pires à d’autres, sans même frémir, mais lorsqu’un membre de sa famille vivait la même souffrance, une rage dévastatrice s’emparait de lui. Ironique.

« Est-ce qu’elle avait des ennemis ?

- C’est la fille de Rodney. Qu’est-ce que tu crois ? »

Quelle question débile. Il se frotta les yeux, désespéré. Sam n’allait jamais résoudre ce meurtre. Il se sentait coupable de rejeter la faute sur lui, mais il n’avait rien depuis plusieurs jours. Pas un indice, rien. La piste se refroidissait.

« Vous avez trouvé un signe distinctif ? Tatouage, bijoux ? Ses vêtements ?

- Seulement le bracelet brésilien. »

Encore les mêmes informations, rien qui fasse avancer l’enquête. Et pourtant, ce détail suffisait à réchauffer le cœur de Donnie. Peu importait où elle avait passé ces cinq années. Rebecca ne l’avait pas oublié, il en était certain.

« On a fait le tour des motels alentour. Du porte à porte. Pas de témoin, personne n’a rien vu ou entendu. »

Le second de l’Organisation écrasa son mégot par terre, à côté de la tombe d’un inconnu. Il en avait assez entendu comme ça. Qui à Compton souhaitait parler aux flics ? Il faillit lui proposer de l’accompagner, mais changea d’avis. Il ne supporterait pas d’avoir l’indic à ses côtés. Il le salua et s’éloigna.

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