I
Donnie tira un couteau de sa poche. Le cran d’arrêt se déplia d’un rapide geste de la main. Habitué depuis des années à manier ce genre d’arme, il avait acquis une certaine dextérité à travers ses mouvements. Il joua encore quelques instants avec le canif, tandis qu’un sourire cruel se dessinait sur ses lèvres en observant sa victime, attachée à une chaise.
« Je savais pas qu’on acceptait les talourzes chez vous, je vais déposer ma candidature », ricana l’homme en mauvaise posture.
Le sourire de Donnie se fit encore plus large. Sa silhouette provoquait toujours ce genre de commentaire chez ses ennemis, cependant il n’en tenait jamais compte. Malgré les moqueries, l’homme savait que tous les gangs rivaux se retournaient lorsqu’ils apercevaient une tignasse rousse. Personne ne souhaitait croiser son chemin.
Ce jour-là, il avait opté pour un costume sur-mesure bleu marine, qui faisait d’autant plus ressortir ses mèches carotte.
Son doux minois, aux traits fins et harmonieux lui permettait de charmer autant de femmes qu’il le souhaitait. Ses manières élégantes le mettaient à part des autres voyous de la ville. Il ne supportait pas les gangsters sans raffinement, et il savait que de trop nombreux films avaient nourri cet idéal, durant son enfance.
L’homme se rendait souvent au salon pour avoir des ongles propres et courts. Il aimait prendre soin de son corps et de son apparence, et ses adversaires aimaient s’en moquer – pour une raison qui lui échappait.
Les éphélides constellant son visage semblaient être d’innombrables taches d’encre jetées aléatoirement sur sa peau blanche et sans défaut. Et pour parfaire ce tableau, son sourire angélique, aux dents blanches et bien alignées, restait gravé dans les mémoires.
Il s’approcha à pas légers et s’accroupit face à son prisonnier.
« Allons Odoacro, ne me raconte pas de telles stupidités. Nous savons tous les deux que Rodney ne recrute pas des… personnes comme toi. Maintenant, sois raisonnable et parle avant qu’il ne t’arrive quelque chose. »
Pour toute réponse, le dénommé Odoacro cracha au visage de l’homme. Cette fois-ci, son rictus disparut. Il se releva, ses yeux clairs remplis de menaces silencieuses, et essuya sa joue. Le Mexicain garda son expression insolente, même lorsque Donnie rangea son couteau afin de retirer sa veste et son veston, et remonta ses manches. Pourtant, le captif n’en menait pas large.
« Je n’aime pas tacher mes vêtements, tu comprends. Surtout pour avoir du sang de porc dessus. »
Odoacro déglutit avec difficulté, et essaya de maintenir son air confiant alors que la terreur lui broyait les tripes. Donnie plaça ses affaires sur une autre chaise. Tous les malfrats de la ville avaient entendu au moins une fois le nom de Donnie, et rares étaient les personnes pouvant se vanter de lui avoir échappé. Pourtant Odoacro en connaissait une.
Amir lui avait décrit la façon dont Donnie se servait de ses armes. La légende disait qu’il ne ratait jamais sa cible et qu’il était d’une précision chirurgicale. Depuis, il manquait deux doigts à la main gauche d’Amir. Odoacro se trouvait justement dans cette situation à cause de son ami. Enfin, pouvait-il encore l’appeler ainsi ?
Visiblement, survivre à cette épreuve n’avait pas remis les idées en place à Amir. Au lieu de se tenir à carreau, il continuait à narguer Rodney, et à faire des coups bas dans son dos. L’homme d’affaires n’avait pas pu laisser passer une telle provocation. Il avait même envoyé son propre fils, Donnie, pour faire le sale travail – ce qui étonna le prisonnier, mais il n’osa pas soulever ce point.
« Tu sais, ça ne me fait pas plaisir non plus d’être là. Il y a une demoiselle qui m’attend au plumard, et plus tôt on aura fini, plus tôt on pourra partir. Alors pourquoi ne pas tout me dire maintenant ? », proposa son futur tortionnaire, de sa voix de velours.
Odoacro n’était pas une balance. Il avait pensé pouvoir jouer au plus malin avec Rodney et ses hommes. Cependant, ils étaient plus intelligents que ce qu’il avait cru. Amir et lui avaient engagé d’autres gars et répandu une drogue merdique et pas chère sur le territoire de l’Organisation. Certains de leurs dealers avaient même été recrutés par Amir. Celui-ci les avait laissés se faire arrêter par les flics, laissant Rod dans la merde.
A présent, les noms des autres traitres devaient tomber. Le mexicain ne dirigeait pourtant pas les magouilles, alors pourquoi l’interrogeait-on lui, et pas Amir ?
Comme s’il avait lu ses pensées, Donnie continua :
« Malheureusement, ton copain Amir n’a pas été très bavard. »
Le prisonnier devint pâle comme un linge et gigota dans tous les sens dans l’espoir de se libérer. Les attaches s’enfoncèrent davantage dans ses chairs et lui arrachèrent une grimace.
Donnie se détourna pour sortir de sa malle un tablier en latex, ainsi que des manchettes en plastique et des gants. Une paire de lunettes rejoignit son nez, pour protéger ses yeux des éclaboussures de sang. La séance allait commencer. Il fit craquer ses jointures dans l’espoir d’intimider sa victime.
Cela faisait des mois qu’il n’avait torturé personne, et il se sentait étrangement électrisé et impatient. Le cadre choisi était idéal : un vieil entrepôt vide et isolé. Saul avait effectué un travail remarquable en clouant la lourde chaise au sol et en laissant la mallette tout équipée pour Donnie. Couteaux de précision, hachette, marteau, serviettes pour presser contre les blessures, shot d’adrénaline au cas où Odoacro perdrait connaissance, chalumeau si jamais son humeur devenait chagrine. L’homme n’avait eu qu’à attacher son prisonnier inconscient et attendre qu’il se réveille.
« Tu sais très bien que Rodney n’allait pas vous laisser agir dans son dos. Cependant, il peut faire preuve de clémence. Si tu me donnes le nom de tes complices, tu seras libre et pardonné de tes péchés. »
Odoacro demeura silencieux.
Il ne le resterait pas longtemps.
Donnie ressortit son couteau, s’amusa quelques secondes avec, le lança dans les airs et le rattrapa sans se couper. Il s’était entraîné des années pour maîtriser ce tour, les cicatrices s’accumulaient sur ses mains, cependant il pouvait l’effectuer les yeux fermés à présent.
Il laissa planer l’ambiance tendue pendant de longues secondes, et remarqua les gouttes de sueur qui perlaient sur le front du mexicain. L’impatience et l’adrénaline coulaient à travers ses veines, et soudain, il ne tint plus en place. Donnie enfonça sa lame dans la main de l’homme. Le visage de celui-ci fut tout d’abord traversé par l’étonnement, puis un cri de souffrance s’échappa de ses lèvres. Il avait visé les nerfs, enfonçant la lame dans les chairs. Même s’il en réchappait, jamais plus le mexicain n’aurait usage de sa main. Encore fallait-il qu’une ambulance le récupère rapidement, mais il aurait toujours une sorte d’inconfort à serrer le poing.
Cela n’arriverait pas, vu qu’il ne ressortirait pas d’ici.
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