Chapitre 1 : La gifle.
En pétard contre son père, Kimi descendit les escaliers menant au rez-de-chaussée tel un éléphant dans sa course. Elle lui jeta un regard fâché, ses sourcils blonds se touchant presque d’être trop froncés, prête à exploser à tout moment. Elle lui en voulait tellement de sa trahison.
Elle le revoyait lui annoncer deux semaines plus tôt qu’il “avait décidé de l’inscrire dans une nouvelle école”. La pilule s'avéra déjà difficile à avaler, mais quand il lui annonça le nom de l’établissement, elle n’en crut pas ses oreilles. De tous les endroits et de tous les meilleurs lycées dans lesquels elle aurait pu aller, il avait choisi de l’envoyer à Saint-Clair :
- J’y crois pas ! Mais c’est une école de riches et de péteux, pourquoi j’irais là-bas ?!
- Il est vrai que Saint-Clair a sa réputation et c’est un très bon établissement, quand j’y étais…
- Ah ? Depuis quand t’es allé dans cette école, toi ?
- Est-ce que tu pourrais me parler autrement, s’il te plait ? J’essaye de discuter et de te dire que j’ai choisi cette école parce que… c’est un bien meilleur établissement que le lycée Gordon, hésita-t-il, passant une main dans sa chevelure noire. De meilleurs professeurs, de meilleurs cours, l’endroit est très bien équipé, tu vas adorer les locaux de danses et puis, je suis certain que tu t’y plairas !
- Dossan, tu te fous de ma gueule ? C’est moi ou t’as pas d’arguments ? Que tu veuilles m’envoyer dans un meilleur lycée, je peux encore comprendre, mais y avait pas besoin de viser si haut ! s’écria-t-elle magistralement.
- Ne m’appelle pas Dossan quand ça te chante ! On a pris une décision ensemble et…
- JUSTEMENT ! Les décisions ça se prend ENSEMBLE ! lui hurla-t-elle à la figure avant de s’enfuir dans sa chambre.
Sur le coup, Dossan ne fit pas le fier. Il savait que peu importe ce qu'il avancerait, elle n’accepterait jamais de laisser derrière tout ce qu’elle avait réussi à construire. Et comme il s’en doutait, depuis ce jour, Kimi lui avait déclaré la guerre, refusant catégoriquement de lui adresser la parole.
Le jeune père de trente-deux ans qu’il était pour une jeune fille de quinze ans, ne perdit pas espoir de rétablir la conversation. Si bien que lorsqu’elle s’énerva dans la voiture sur le chemin jusqu’à Saint-Clair, il sauta de joie dans son siège. Ce comportement eut pour effet de déclencher une nouvelle bombe, poussant la blonde à envoyer valser la portière de la voiture quand elle en sortit.
Soufflant à son volant, il ne savait comment lui faire comprendre ses choix. Tout ce qu’il souhaitait, c’est qu’elle entre à Saint-Clair pour ses quinze ans. Il ne lui avait pas donné d’explication supplémentaire, sauf qu’elle séjournerait la semaine à l’internat. Cette information, tout comme la première, fut l’objet d’une grosse dispute.
Il regarda sa fille nouer ses lacets qui n’avait pas besoin d’être refait. Les longs cheveux blonds qui tombaient dans son dos, collant à son veston en cuir à cause de la pluie, le plongeait une dizaine d’années en arrière. Elle ressemblait tellement à sa mère, sauf ses yeux, bleus comme les nuages…
Devant l’auditorium où se déroulait la cérémonie d’entrée, il l’emprisonna d’un câlin et lui souhaita bonne chance pour sa première journée :
- Je te promets que ça va aller, lui dit-il.
- Tu en fais trop…
- Mais non, je suis simplement heureux que tu sois ici !
- Pas trop eu le choix, ronchonna-t-elle.
- Kimi Dan’s !! Vous allez me faire le plaisir d’arrêter de râler et d’entrer dans cet amphithéâtre avec le sourire ! lui dit-il en appuyant son index contre son front.
- Oui, papaaaa, exagéra-t-elle sur ce dernier mot en lui lançant un faux sourire.
Aussitôt dit, aussitôt fait, Kimi s’aventura derrière les grandes portes de l’amphithéâtre tandis que Dossan prenait le chemin de l’internat pour y déposer ses affaires. Elle y découvrit une foule effrayante de parents et d’élèves discutant et agitant leurs parapluies mouillés. Pendant un instant, elle regretta qu’il ne l’ait pas accompagné, puis elle se ravisa. Ce n’était pas la mer à boire, il suffisait de s’asseoir quelque part, parmi cette masse de personne bien habillée. Elle passa une main dans ses cheveux, frisotant à cause de la pluie, et revint sur le choix de sa tenue. Dans son ancien lycée, un jean noir à trous, une veste en cuir et de simple converses ne gênaient personne. À croire que ce n’était pas le cas dans cette école. Elle se sentit mal à l’aise parmi cet amas de costumes et de robes repassées. En comparaison, elle ressemblait à une pouilleuse et, le regard de certains parents quand elle s’avança dans la salle, le confirmait. Par chance, elle trouva une place non loin de la scène. Elle s’assit, sans vraiment oser demander si elle en avait le droit aux gens qui la dévisageaient sur les sièges à côté. Décidément, elle était convaincue qu’elle ne se plairait pas dans cette école, ne comprenant pas ce que ces pètes-culs avaient de plus qu’elle.
Quand le vieil homme qui leur servait de directeur émit le fait de monter sur la scène, par classe, quand son nom serait appelé, Kimi eut l’impression de se retrouver dans un autre monde. Quel était l’intérêt de cette perte de temps ? Une jambe croisée sur l’autre, elle se balançait presque sur sa chaise durant le long moment où passaient les premières et les deuxièmes années. Pourquoi ne les avaient-ils pas fait entrer à des heures différentes ? Cette question lui brûlait les lèvres desquelles elle arrachait compulsivement des morceaux de peaux avec ses ongles. La petite deuxième année qui appartenait à la famille qui l’avait mal regardé sembla être effrayée quand elle passa devant Kimi. Celle-ci restait concentrée sur la scène, attendant patiemment que son nom soit appelé. Même lorsque ce fut le tour des troisièmes années, le temps lui semblait si long que ses paupières devinrent lourdes d’avoir trop peu dormi. “Troisième D”, elle fut rattrapée par de longs cris lorsqu’un garçon aux cheveux argentés monta sur scène. Elle n'eut pas le temps de comprendre le délire de la foule qu’on appela enfin son nom : “Kimi Dan’s”. L'impression de tomber dans l'ombre, alors qu'elle n'avait jamais brillé, nouait sa gorge. Les personnes présentes se voulurent particulièrement silencieuses, toutes, outrées par la tenue qu’elle leur offrait. Mal à l’aise, mais la tête haute, elle gravit les escaliers menant à la scène et passa devant le garçon qui les avait rendus fous un peu plus tôt. Sa peau semblait parfaite, comme ses cheveux brillants minutieusement ranger et il cachait derrière une paire de lunettes de jolis yeux bleus. Kimi percuta presque le directeur quand il lui tendit son sac de livres. Celui-ci l’observa avec minutie et lui lança un sourire qu’elle qualifia de pervers.
- Jamais deux sans trois, gloussa-t-il, bienvenue à Saint-Clair, Kimi.
Vieux sénile ! Non seulement sa tête ne lui revenait pas et en plus de ça, il avait un sens de l’humour horrible. Elle n’avait absolument pas compris sa blague, si seulement ça en était une.
Tenant alors son sac à hauteur de ses genoux, le même scénario que quelques instants plus tôt se déroula lorsqu’une nana aux cheveux mauves les rejoint. Pendant que de la fumée sortait des narines des garçons, tellement ils étaient excités, Kimi se demanda s’il s’agissait d’une coloration. Une couleur pareille ça devait obligatoirement se faire chez un coiffeur ou alors elle utilisait des pigments ? Elle se rappelait que sa copine Nadeije lui avait expliqué qu’elle devait en prendre pour son carré rose. Kimi sursauta, son sac à bout de bras tombant au sol, quand des hurlements retentirent dans la salle. S’accroupissant pour les ramasser, tandis que de lourds applaudissement résonnaient, elle fourra au plus vite les livres dans le plastique. Elle se rendit compte en voulant se relever que son poignet était vide. Son bracelet avait disparut. Elle le chercha immédiatement au sol, paniquant. Une paire de belle godasse lui apparurent et une main vint ramasser ce qu’elle cherchait. Elle se releva avec soulagement, découvrant le visage du garçon qui l’avait trouvé à sa place. Il était beau : des yeux verts intenses, un teint parfait, les cheveux châtains en bataille et une mâchoire suffisamment dessinée. Elle garda ses commentaires, voulant éviter de mettre mal à l’aise celui qui avait récupéré son bracelet. Kimi lui tendit sa paume pensant qu’il se préparait à lui rendre, mais il gardait le bijou entre les doigts, le regardant de plus près, fort intéressé. Elle fronça les sourcils quand il l’emprisonna dans son poing et qu’il amena son doigt sur sa propre joue pour la tapoter.
- Un bisou avant, réclama-t-il d’un sourire dragueur.
Noire de colère, Kimi lui colla une gifle sans réfléchir, sous les regards ébahis de tous élèves et de tous les parents. Les professeurs en compagnie du directeur s’alarmèrent et vinrent directement prendre le relais.
- Mais que faites-vous mademoiselle ? Un tel comportement…
- Mon bracelet, réclama-t-elle d’un geste.
Le garçon fit aller ses mâchoires, les réajustant de sa main et la foudroya du regard. Tout d’un coup, il lui apparaissait affreusement laid, devenu rouge de colère, une veine sur son front prête à exploser. Elle en profita que celui-ci desserrait ses doigts pour lui reprendre ce qui lui appartenait. D’un air déterré, elle constata que l’attache de son bracelet avait lâché. Tout était la faute de cet idiot ! Il sembla se prendre de très haut quand il fit abstraction des ricanements derrière lui. De nouvelles exclamations se firent entendre quand elle cracha à ses pieds, tel un lama enragé. Dégouté et outré, la foule se répugna de cet acte et les professeurs se chargèrent de faire descendre cette classe pour éviter le scandale. Le garçon en question avait pâli, tellement la rage lui était monté à la tête. Quant à Kimi, elle s’offusqua dans son rang que personne ne prenne sa défense. Mais en tête de file, la jeune fille à la crinière mauve se plaisait à observer “la petite nouvelle”.
- Nous sommes face à quelqu’un d’intéressant, pensa-t-elle à haute voix. Tu ne trouves pas ? s’adressa-t-elle au garçon aux cheveux argentés.
- Tu as toujours eu une bonne intuition, répondit-il avec un léger sourire.
- Pour le frapper en début d’année, dit-elle un peu plus fort, il faut vraiment…
- Fermez-la ! grogna monsieur aux yeux verts.
- Sky, voyons ! Tu ne vas pas te vexer pour si peu, gloussa-t-elle avant de déposer gentiment une main sur son épaule.
- Ça suffit tes faux sourires ! Tu me l’as fait pas à moi, s’énerva-t-il davantage.
- Chut, penses à ta réputation, lui souffla l’autre garçon qui prenait un malin plaisir à le voir en colère.
- Penses à la tienne Loyd, tu souris un peu trop là, fit-il en imitant son air mesquin.
Prévenus et assez amusés, la première leva les yeux au ciel et le deuxième se rangea correctement dans la file, reprenant l’air doux qu’il portait plus tôt.
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