{Capucine} : Arrivée dans un nouveau monde
La frontière espagnole en vue. L’impatience enfilait son costume de reine par la grâce d’une atmosphère chargée de solennité. Ses doux voiles nous laissaient entrevoir les possibilités de notre voyage. Des visions idylliques aux douceurs paradisiaques se succédèrent avant qu’une fièvre maligne engendrée par un désir ardent eût pris possession de nos cœurs.
Mes yeux rivés sur mon livre, le temps d’un instant, je pus disparaître de ce monde sans saveurs à travers l’histoire d’un narrateur. Celui-ci libéra mon esprit des chaînes créées par un mental sous influence. Je pus par la suite, distinguer des questionnements où l’espace et le temps n’ont plus leur place.
Est-ce que l’amour, cette chose emplie de beauté, de majestuosité, et dont la grandeur ne saurait être estimée… est la clé de voûte de notre bonheur ? Sa présence nous apporte une divine réponse à notre vide existentiel. Elle nous tente par la fantaisie d’une vie de bohème d’envergure. On se met à vivre au rythme des saisons en contemplant la splendeur d’une nature indomptable. Le tout, sans jamais rien attendre en retour.
Moi, qui suis née dans une famille d'artistes, je ne connais que trop bien cette vie-là ! À ne jamais savoir comment régler les factures d'électricité, à négocier avec le proprio pour éviter de finir à la rue, et survivre au gré des expositions ou des ventes de polars.
Malgré nos galères quotidiennes, nous étions souvent invités à des dîners mondains, où tout se résume à tromper son monde. Notre crédo… Paraître, ce que l’on aimerait être. Sauf que dès que les lumières s'éteignent, on nous dévoile l’envers du décor, deux mots suffisent pour le décrire… triste et lugubre !
Pendant la fête, un flot discontinu de champagne abreuve notre soif insatiable, nous enivre avec sa divine extase, si exquise, qu’on la voudrait acquise de toute éternité. Un bien, ô combien convoité par ce bas monde.
Le lendemain, une sinistre dame frappe à la porte. Elle s’appelle Gueule de Bois. Elle est d’une laideur à faire pâlir tous les marquis de Sade. Sa venue nous annonce la supercherie de nos ivresses passées. Elle jubile à l’idée de tourmenter nos esprits égarés. Son autre amie, dénommée Dépression, pointe déjà le bout de son nez.
Pendant un de ces temps troublés, un homme rassasié de jours et au visage familier finit par m’accoster. Non, pour que je satisfasse ses vils désirs, mais pour me prévenir d’un danger potentiel. Il me répétait la phrase suivante dans l’espoir de me rassurer : ne t’inquiète pas, ça va bien se passer… Cela eut l’effet inverse. Je pris peur, mais je n’eus pas la force de clore la discussion, donc je me mis à l’écouter.
Il me narra une histoire sur les illusions perdues d’une belle jouvencelle. Cette fille provinciale cultivait des rêves de princesses, comme toutes les parvenues de son âge. Elle nourrissait le désir d’être aimée des hommes, et crainte par les femmes. Malheureusement, à trop vouloir demeurer dans la lumière artificielle qu’est la notoriété, on finit par se brûler les ailes.
Elle reçut beaucoup de messages de la part de jeunes chevaliers en devenir. Fort heureusement, les fautes d’orthographe ne lui occasionnèrent pas une syncope, sinon je pense qu’elle aurait succombé dès le premier message. Dans un florilège de déclarations d’amour qui lui ont été adressées, on peut lire : “Cc, sa va ? T tro bone. Issou" ou “Cc Bella, g tro envi de pecho. T chode pr ken ?”.
Ô, elle se sentait si belle, si désirée, mais sa naïveté ne lui permit pas de comprendre le coup fourré ! Son jour de gloire arriva, quand une bande de lascars l’invita à une petite “teuf”. Parmi les filles présentes, elle était de loin la plus jolie, et tous les garçons cherchaient à conquérir son cœur, sauf qu’il était déjà acquis.
Elle était secrètement amoureuse d'un certain Kilian. Quand celui-ci lui proposa un jeu à base d’alcool, elle n’osa pas refuser par peur de lui déplaire. Elle finit par boire plus que de raison, et se retrouva ivre morte.
Elle devint à la merci des charognards, qui passèrent à l’action. Elle ne put se débattre contre ses rapaces. Ses vêtements lui furent ôtés. Ils lorgnèrent tous cette proie facile… Ils voulurent la souiller par leur liquide séminal, et la marquer au fer rouge comme la putain du quartier.
Ses yeux se posèrent sur l’homme qu’elle aimait tant. Elle voulut qu’il la sauve, mais celui-ci fut le premier… à la violer ! Elle vécut cet acte comme la pire des trahisons. Bientôt, elle n’eut plus de considérations pour elle-même. Indifférente au monde, elle ne remarqua même pas cette sordide bagarre pour déterminer le prochain à passer sur elle. Sa capitulation fut totale. Les vauriens prirent un malin plaisir à abîmer cette ravissante créature. Les minables aiment pervertir la beauté, car c’est leur unique moyen de s’y rapprocher.
Le lendemain, le meurtre de son innocence circula dans toute l’école à travers une vidéo enregistrée à son insu. Elle devint une lépreuse pour les femmes, et un nom sur la liste des salopes pour les petits mecs sans dignité. Ah ! Je peux te dire qu’ils faisaient tous la queue ! Même les soi-disant “amoureux” voulaient leur billet pour tester cette nouvelle poupée gonflable.
Un jour, elle ne put supporter plus longtemps ce calvaire. Elle embrassa une dernière fois son père en lui disant à quel point elle l’aimait. Puis, elle disparut à jamais, se mit-il à dire avant de fondre en larmes. Je ressentais sa souffrance dans ma chair. J’aurais voulu la venger, mais je me sentais bien impuissante pour faire quoi que ce soit !
Le vieux monsieur voulut conclure avant de partir par une tirade, dont je me souviens encore.
Tu sais petite, ils seront légion à te promettre monts et merveilles dans l'espoir que le temps d'une nuit, tu deviennes leur éden. Ne voulant t’aimer que pour profiter de tes bienfaits, ils te renieront à la première occasion venue. Un cadeau d’une si grande valeur doit être offert qu’a celui capable de l'apprécier, sinon c’est comme donner du caviar à un porc… Quel gâchis ce serait !
Des hommes, il y en a de toutes sortes, des bons, des cons, des voyous aux bons fonds, et des chevaliers blancs à l'âme noircie de désirs. Sa grandeur peut se résumer en un mort… LOYAUTÉ ! Un homme loyal à sa famille est semblable à un chien de garde. Même dans les plus grandes tribulations, il restera avec toi, jusqu’à ce que la mort vous sépare…
L’annonce sonore du chauffeur me réveilla de ma torpeur. Il nous informa de notre arrivée, ce qui eut l’effet de créer un tapage incessant. Lucas me secoua avec véhémence, comme pour m’avertir d’un danger potentiel. Il semblait avoir peur. Il se questionnait sur la bonne attitude à prendre envers les autres passagers.
Au moment de sortir, tout le monde agrippait son sac, et voulut passer en premier. Une pauvre dame fut bousculée, et s’écroula à terre devant les rires des moqueurs. Je lui donnai ma main pour l’aider à se relever. Elle me remercia chaleureusement. Des yeux hautains se fixèrent sur moi. Elle va bouger son cul celle-là, incendia une femme à mon encontre.
La réalité, c’est qu’on méprise les êtres les plus faibles. On ne veut pas être associé à eux par peur qu’ils nous transmettent leur misère. On voit en la faiblesse, une sorte de peste reflétant notre propre impuissance face à une situation donnée. Au lieu de se porter secours, on préfère maintenir une distance de sécurité pour limiter la propagation de ce mal, alors même que l’entraide en est un remède efficace;
On peut affirmer sans sourciller que notre rapport aux autres est basé sur notre propre vision de nous-mêmes. Si bien que même la haine viscérale que nous nourrissons envers les criminels n’est que l’expression du rejet du mal, qui tourmente notre esprit. On se rend compte que les fruits de ce dernier peuvent germer d’un instant à l’autre, par l’action de nos rancoeurs indélébiles ou de nos désirs insatiables. Nous prenons subitement peur, et nous voulons l’éradiquer, à tout jamais à travers la mort de ceux que l’on juge être ses émissaires…
Nous détestons les puissants autant que nous aimons leur être servile. De notre point de vue, il ne fait aucun doute que c’est eux, les responsables de notre malheur. On veut qu’ils soient sévèrement châtiés par l’application de la peine capitale. Le jour d’avant leur exécution, on se rend compte du prix exorbitant que coûte notre émancipation. Alors, on s’empresse de négocier un accord avec le tyran. On l’enjoint à ne pas trop serrer la corde la prochaine fois. Celui-ci accepte sans réserve… Il est si bon, d’avoir des esclaves aimant leur propre servitude !
On considère que le monde environnant ne peut être qu’une extension de notre petit moi intérieur. Avec le temps, on s’arroge le droit de lui dicter nos règles. Nos jugements nous semblent infaillibles par notre expérience de la vie, alors qu’ils reposent sur de fugaces perceptions, et une intelligence trop orgueilleuse pour admettre ses erreurs. Puis, nos illusions s’envolent en un coup de vent. La fragilité de notre situation nous prend au dépourvu, mais au lieu de rechercher la douloureuse vérité, on préfère bien souvent se créer de nouvelles chimères aux allures féériques.
Bon, je me suis encore perdue dans mes pensées… L’aparté mis de côté. Je me suis mise à aider mon très cher ami dans la recherche de notre auberge espagnole. Il était totalement perdu. Rien ne semblait se passer comme prévu. Nous voguions dans des ruelles étroites sans savoir où nous allions, avec cette fausse amie qu’est la timidité. Elle nous protège en nous emprisonnant dans un cocon douillet.
Les panneaux se succédèrent avec des noms aux connotations similaires. On s’enfonçait de plus en plus dans la ville; sans avoir le don du petit Poucet pour retrouver son chemin.
Lucas se mit en tête de vouloir détendre l’atmosphère par une boutade… Attends… moi, j’ai Free, j’ai tout compris ! rigolait-il, avant de se rendre compte qu’il avait oublié de recharger son téléphone, et de paniquer à l’idée de dormir dehors en cette nuit d’été.
Au bout d’une heure à se fier à nos interprétations alambiquées des indications données par l’auberge pour la retrouver. On décida de demander de l’aide aux habitants du lieu. Personne ne semblait connaître l’existence d’une telle auberge ou nous baragouinait des mots incompréhensibles. Les minutes passèrent, sans qu’on ait la moindre idée d'où elle pouvait se trouver. Le désespoir se mit à nous guetter du coin de l’oeil. Une fatigue soudaine se fit ressentir. On s’assit sur le rebord d‘une fontaine avec nos mines dépitées.
Je me préparais tout doucement à l’idée de dormir à la belle étoile… Soudainement, j’entendis la voix d’un garçon de notre âge parlant au téléphone d’une auberge aux mille extravagances. La surprise m'assaillit jusqu’à me faire bondir sur place. J’accourus vers lui, telle une groupie en fureur à la vue de sa star préférée, tout en criant : "Albergue Nuestra Señora”.
Il fit un pas de retrait dans l’espoir de trouver un moyen de fuir. Après lui avoir expliqué notre situation, il fut rassuré et coupa court la conversation avec sa mère pour nous conduire vers notre éden. Le comble de l'ironie, c’est qu’il se trouvait qu’à quelques ruelles de notre position. On a certainement dû passer devant, sans s’en rendre compte.
À peine, nous avions franchi le palier de la porte avec nos sacs, qu'une petite dame trapue vint à notre rencontre. Elle sut nos prénoms sans que nous le lui disions. Elle se présenta comme la maîtresse du lieu. Une paire de clés à la main, elle nous enjoignit à la suivre jusqu’à notre chambre.
Un vrai parcours du combattant nous attendait. La première épreuve fut d’enjamber une montagne d’affaires traînant dans le salon. La seconde fut d’éviter de se faire alpaguer par des voisins en recherche d’amis de beuverie. La dernière fut d’emprunter un minuscule escalier en colimaçon, vieux comme Hérode, dont le bois avait pourri. Si bien qu’une grande partie des marches étaient gravement endommagée, et aurait pu céder à tout instant.
Nous réussîmes à rejoindre notre chambre, non sans difficultés. Son apparence modeste, légèrement vétuste, ne semblait déplaire qu’à mon comparse. La sobriété possède un atout de taille par rapport à la somptuosité… celui de ne pas pouvoir mentir ou de dissimuler ses vices cachés.
Par contre, quel ne fut pas mon étonnement lorsque je vis un lit double au lieu de deux lits simples. J’eus beau la questionner pour savoir si elle ne s’était pas trompée de chambre. Elle me répondit par la négative d’un air enjoué, et nous prit dans ses bras en pensant que nous étions deux amoureux transis incapables d’avouer nos sentiments mutuels, et dont l’un s’était résolu à faire une approche.
Lucas, gêné, baissa les yeux dans l’espoir que je ne puisse l’incriminer. On peut dire qu’il a un don inné pour ne jamais assumer ses erreurs. Et puis… à quoi bon vouloir que notre relation soit à l’image de ses couples qui se détachent aussi vite qu’ils s’attachent ? À cette époque, je pensais naïvement que le désir d’un homme ne serait entravé son amitié avec une femme.
Notre amour mutuel était si beau, si limpide et si pur, que vouloir le sexualiser même au cours d’une étreinte amoureuse, l’aurait sali de scories… Paradoxalement, je l’aimais tellement, plus que moi-même, que s’il m’avait voulu ainsi, je le lui aurais accordé sans toutefois être en capacité de cacher mon coeur endolori.
Celui-ci prit la fuite dans la salle de bain, usant d’un prétexte pour se dérober à son obligation de me répondre sur sa méprise.Il mit bien une bonne heure à se pouponner d’un parfum si prégnant, qu’il embaumait la pièce jusqu’à me donner la nausée.
Notre curiosité domina notre paresse, nous ne pouvions plus dès lors nous astreindre à flâner dans le lit. À peine arrivée, que la table fut déjà dressée et garnie. Nous n’avions qu’à nous asseoir pour déguster les mets de la patronne.
Par coïncidence, nous étions assis à côté de notre bon samaritain. Celui-ci nous présenta à sa bande de potes. Chacun d’eux jouissait d’un privilège à l'excentricité, garant de leur nature singulière. Même le plus grand des imitateurs n’aurait pas pu les copier à la perfection, car il y avait en eux, un grain de folie qui cherchait par tous les moyens à s'exprimer. Celui-ci était leur sceau d’authenticité face à un monde tendant à s’uniformiser.
Celui qu’on appelait le joyeux lascar monta sur sa chaise, puis l’idée lui vint de monter sur la table pour tout renverser sur nous. La maîtresse de maison ayant vu le coup venir prit son balai et lui mit un coup sec dans le ventre, avant de le gronder par mille mots. Il fut direct stoppé dans son élan, et n’osa pas réitérer son aventure.
Heureusement, un philosophe se prétendant galbé, comme un penseur de la Grèce antique entra en scène. Il lança un débat sans queue ni tête sur l’amour. Voyez-vous, nous disait-il, je vois en l’amour entre deux personnes, l’expression sans état d'âme d'une volonté de puissance. Celle suscitée par un Éros destructeur, maniaque, voire tyrannique sur les bords. Là où on voit une belle histoire d’amour, je vois une emprise psychologique, et un abîme possédant un champ des possibles infini, pouvant nous emmener au paradis ou en enfer. On peut le voir comme une drogue forte. Si tant est que l’amour nous consume tout entier, et nous ôte notre individualité. La femme est celle qui initie l’homme à la Vie à travers son intimité. Le sexe n’est-il pas le nectar des dieux grecs ou le fruit défendu de la bible, car celui-ci permet de dépasser notre propre mort par notre devenir en la présence de nos progénitures, mais peut aussi nous rendre fous si nous ne le sommes pas déjà…
Cette vision des choses énerva fortement notre grand romantique, poète aux heures perdues. Non, je ne peux vous laisser dire de telles âneries ! répliqua-t-il. L’amour, c’est l’abandon de soi-même. J’aime, car je me donne tout entier. Oui, Messieurs. Vos petites incartades nocturnes ne sont rien en comparaison du véritable Amour. Ces balivernes sont conduites par vos mensonges, et aboutissent à la mort. L’amour, quant à lui, c’est la vérité ! La seule et unique ! Indépassable, parmi toutes ! Et la vérité nous offre la vie éternelle ! hurla-t-il devant nous avec un zèle apostolique.
Le plus ennuyeux de la couvait, qu’on appellera le pragmatique, plaida à un mariage par intérêt économique. Pour lui, l’union maritale est un investissement que l’on doit amortir sur le temps. Sinon, à quoi bon se marier si on peut faire ses affaires aux putes. Il osa même parler de ses enfants, comme d’une assurance vie pour ses vieux jours, si jamais, il se retrouvait sans sous. Son discours, trop vulgaire, choqua cette assemblée d’honnêtes hommes, et il fut bientôt mis à la porte de l’établissement par la patronne, qui n’eut jamais entendu un discours si misogyne.
La fatigue ne se cachant plus. Nous décidions de prendre congé. À peine arrivées, que nous nous jetâmes sauvagement sur le lit, qui nous semblait d'une douceur sans pareille ! La lumière s’éteignant, une réflexion me vint à l’esprit. Est-ce que c’est cette ville qui rend les gens fous ? Ou viennent-ils ici parce qu’ils sont fous ? Cela restera toujours pour moi un mystère…
Annotations
Versions