{Lucas} : Trahison fraternelle
Que dire du cauchemar sans fin annonçait fièrement,en tête d'affiche d’un petit cinéma d’auteur, dont j’étais l’unique spectateur ? La prunelle de mes yeux s’était amourachée d’un fieffé coquin. Leur corps s'entrelaçait. Un pacte allait être signé d'une minute à l'autre… Impensable, me disais-je à moi-même pour me rassurer. Un baiser fut échangé entre les deux parties. La rancœur naquit dans mon cœur, et celui-ci criait vengeance !
Mieux vaut une bonne guerre qu’une mauvaise paix. Je me décidais à battre en retraite pour préparer ma revanche… sauf qu’une foule de curieux m’en empêcha. La salle devint pleine à craquer, et ne sut accueillir tout le monde. J’étais pris au piège avec ses badauds applaudissant, riant et tapant dans leurs mains pour saluer la beauté de la scène. J’aurais dû me débattre, aller à contre-courant pour fuir cette infamie… Je ne fis rien. Je restai sagement à ma place, résigné par cette vie d’injustice.
Qu'avait-elle d’extraordinaire cette histoire ? Je me posais bien la question ! C’est juste un grand classique, du Don Juan sans principes, et d’une ingénue se faisant berner par ce magnat des belles paroles. Ah ça ! Pour te promettre monts et merveilles, ce genre d’hommes sont prêts à tout… mais une fois qu’elle leur a concédé cette unique nuit de plaisir, il la congédie comme une malpropre. La femme est pour eux, un trophée à acquérir, une conquête à ravir à un autre prétendant. Ils ne l’aiment pas pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle peut leur apporter.
Quant aux autres spectateurs, aucun d’entre eux ne prêta attention à ma douce agonie. Mes supplications successives pour arrêter ce massacre audiovisuel ne reçurent aucune réponse ! Comment allais-je faire pour sortir de cet enfer sur terre ? J’eus bien l’idée de simuler une tentative de suicide, chose ô combien impensable à notre époque, mais même ça, ne détourna pas leur regard vitreux de la scène. Ce monde de barbares était trop avare de divertissements de bas étage pour saisir la gravité d’une telle situation !
Quand je pense que j’eus élaboré un film d’un romantisme inégalé, et qu’ai-je récolté ? Que du mépris ! On me disait bien qu’il manquait cruellement de réalisme. Qui pourrait croire à un recueil d’inepties ? Personne ! De toute façon, la production n’avait plus de budget à cause de la crise des subprimes. Alors qu’elle venait de financer le dernier blockbuster… On se moquait bien de moi !
Pourtant, je l’avais bien peaufiné ce petit scénario... Il transpirait la beauté et la simplicité. Une vie parfaite au coeur du marais, moi, ma douce et nos trois adorables enfants. Notre situation financière n’était pas folichonne. On était souvent dans le rouge, mais on pouvait partir en vacances. Quant à l'amour que nous ressentions l’un pour l’autre, il était si fusionnel, que je me croyais déjà au paradis.
Dommage qu’il ne puisse jamais voir le jour ! Le goût amer que je ressentais dans la bouche me faisait regretter d’avoir passé autant de temps à imaginer mon futur… tout cela pour rien ! Est-ce que certains d’entre nous sont condamnés à vivre dans une éternelle solitude sans la moindre étincelle d’amour ? C’est une chose étrange de se dire qu’on attend que notre corps se meure pour nous libérer de nos plaies béantes, que représentent nos espoirs insatisfaits.
Amour, ma douce drogue aux vertus surcotées, et aux méfaits cachés derrière un visage angélique. Elle nous enchante en premier lieu, avec toutes ses promesses d’un lendemain heureux. Elle nous offre une once de ce fabuleux bonheur, mais dès que nous arrêtons d’y croire, elle menace de tout nous reprendre. Alors, nous prenons peur, et nous cédons à toutes ses injonctions.
Je me retrouvais au beau milieu d’un vide intérieur où ma conscience devenait sans puissance. Un acte banal me semblait être une mission impossible. Je ne pus rallumer la flamme dans mes yeux. Cet amour tant rêvé n’était rien d’autre qu’une escroquerie.
Impossible, dans ma situation, de ne pas me sentir épié de part en part. On aurait dit que des petits espions scrutaient le moindre de mes faits et gestes, avec l’attention de m’humilier publiquement !
Les rires de la plèbe commencèrent quand un drôle de compagnon vint me tenir compagnie. I Son attention était certes noble, mais ne fit qu’empirer la situation.Il était visiblement saoul, empestait l’alcool à dix kilomètres à la ronde, et n’arrêtait pas de chanter la chanson de Rick Astley (Never Gonna Give You Up). Comme si ce n’était pas assez, il fit des petits déhanchés en prononçant les paroles.
La salle était hilare. La moquerie permet de cacher son ignorance derrière les apparats d’une supériorité morale ou intellectuelle fantasmée, alors qu’elle n’est rien d’autre que l’expression d’une infériorité absolue face à une vérité que l’on ne peut comprendre.
J’essayais tant bien que mal de me remémorer mes manquements. Rien ne me vint à l’esprit . Je voyais chaque seconde avec elle, comme une source de joie. J’adorais la complimenter pour le choix de ses tenues, la réconforter à chacun de ses malheurs, et l’aider quand elle en avait besoin. Mon égocentrisme prit le dessus sur mes bons sentiments. Il me fit revendiquer une juste et nécessaire récompense que je n’avais jamais reçue.
Pourquoi la gentillesse n’est jamais payée à sa juste valeur ? Oui, j’ai le droit de me sentir lésé lorsqu’un illustre inconnu osa s’octroyer le droit de me voler la vedette ! Peut-on encore appeler ça de la gentillesse ? On pourrait en voir en cela, qu’une recherche de bons procédés dans l’unique but d’être aimé par la personne convoitée.
Une phrase résumait à la perfection ma vie : un lâche, ça n’ose rien, c’est même à ça qu’on le reconnaît. La crainte du rejet est présente en chacun de nous. On s’empêche d’être nous-mêmes pour ne pas contrarier la communauté, sauf qu’on se condamne à être un spectre soyeux ne pouvant agir, car il n’a aucune prise sur la matière.
Conditionner à ne pas agir. Incapable de me défaire de cette entrave à mon existence même. Voulant être quelqu’un, que je ne pouvais être. La dépression tomba amoureuse de moi… Je ne pouvais pas en dire autant me concernant. Elle, qui me harcelait, pour que je lui accorde une danse macabre jusqu’à ce que la mort nous sépare
Pour en revenir à ma tendre amie, comment aurait-elle pu savoir que j’étais totalement épris d’elle ? À ma connaissance, elle n’avait pas le don de médiumnité ! J'espérais simplement de manière totalement superstitieuse qu’un jour, j’aurais le courage de lui dévoiler mon amour, sauf que je passais constamment mon tour. Voilà le grand dam des idéalistes de mon espèce, on spécule sur l’idylle d’un avenir lointain, sans rien faire pour que cela se réalise.
Et vous savez quoi ? J’osais tout de même me plaindre de ma condition de petit chaton ! La honte m’envahissait à l’image des mauvaises herbes du jardin. Elle me donnait l’envie de tout arrêter, de disparaître à jamais de la surface de la Terre. Grand-père m’aurait très certainement conseillé de me faire cracher au visage par une horde d’Ostrogoths pour me remettre les idées en place.
Quelle serait la solution ? Devenir un ermite ? M’isoler du monde pour vivre une vie de solitude ? Seulement, peut-on appeler ça une vie ? J’y vois plutôt un moyen de survivre pour fuir l’épée de Damoclès au-dessus de la tête, et ne pas avoir à rendre des comptes à mon créancier scandant son nom à tue-tête… Culpabilité.
L’autre solution serait de détruire ce fourbe à l’âme félonne ayant osé se dissimuler derrière le visage d’un frère sensible, tendre, et affectueux. Je serais peut-être devenu un être détestable après l’avoir détruit, mais la traîtrise ne doit pas être impunie. Comment cette vermine des bas-fonds a-t-elle osé me faire un coup si bas ?
Même la pire des tortures ne serait pas assez forte pour lui. Seul un châtiment éternel pourrait apaiser mon coeur tourmenté. Lui, qui s’est débarrassé de ses derniers scrupules à un malin au sourire enjoué.
Un procès allait s’ouvrir... non le mien… mais celui de mon ennemi juré ! Cette envie irrépressible de lui faire mordre la poussière m’envenimait jusqu’à m’ôter toute retenue. Je ne rêvais que d’une chose… goûter à la joie d’une vengeance sanglante. Mon esprit trimballé par un souffle colérique suggéra de lui infliger bien des tourments. Tout d’abord, il questionna l’idée de le saigner jusqu'à boire sa dernière goutte de sang, sauf qu’être un vampire n’a jamais été ma came. Puis il envisagea de le rôtir à la broche jusqu’à dévorer son dernier bout de chair, malheureusement je n’étais pas assez psychopathe pour incarner le personnage d'Hannibal Lecter. Il ne me restait qu’une option, hanter sa conscience jusqu’à sa dernière heure, mais là encore, il aurait fallu que je me transforme en fantôme pour réussir mon entreprise.
Assigné à résidence, par impuissance, avec des désirs sans pouvoir agir. Ma haine tournait dans le vide, et rien ne pouvait l’arrêter. Je voulais voir ce misérable cafard au teint blafard se prosterner docilement devant mon trône de fer. Rien n’aurait été aussi exquis que d’entendre ses cris plaintifs me suppliant d’abréger ses souffrances.
Un cloporte a-t-il le droit de mériter un jugement magnanime ? Au fond de moi siégeait un tyran,menant une vendetta contre les promoteurs d’une idée aussi saugrenue. Pour lui, il n’y avait qu’une seule issue possible. Arracher tous les biens de ce misérable, pour les donner à ses pires ennemis.
Ni oubli, ni pardon, ni compromis. La défense fut scandalisée par une telle expression de haine. Elle y voyait la source d’une inhumanité cachée derrière les traits d’une jalousie maladive. Pour elle, je n’étais qu’un être aigri voulant détruire la seule once de bonté de cette société à la dérive… l’Amour. Il nous permet de dépasser les frontières de la raison humaine. Il nous apprend à nous donner corps et âme. Il nous ôte nos doutes, nos peurs, nos désirs de plus en plus lugubres.
La défense s’approcha vers moi pour renverser le cours de ce procès. Ce monsieur, disait-elle en me montrant du doigt, veut condamner deux personnes à une amère solitude. Il veut que nos tourtereaux dissimulent ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre, avec l’espoir qu’un jour, elle l’aimera. N’est-ce pas là un égoïsme des plus cruels ? Je le crains, Madame la Juge. Nous avons affaire à un jeune homme tellement narcissique qu’il refuse aux autres le bonheur. S’il ne peut être heureux, alors personne ne doit l’être. Voilà le visage profond de la haine, d’une domination masculine à peine déguisée par le scandale d’une misère affichée en place publique. Le vrai fautif n’est pas mon client, mais l’accusateur en face de nous.
La juge, charmée par le plaidoyer, donna raison à la partie adverse. Si bien qu’elle refusa d’entendre mon réquisitoire ! La froideur de son regard en disait long sur ce qu’elle pensait de moi. La situation venait d’être renversée. L’accusé devint libre, et l’accusation allait se porter à mon encontre.
On dépeint un portrait peu flatteur de ma personne. Colérique, immature, associable ou encore dépressif. Mon enfance fut passée au peigne fin pour en comprendre les causes. Contrairement aux immondes criminels à la vie chaotique, on ne m'octroya aucune circonstance atténuante. Bien au contraire, quelqu’un ayant grandi dans un milieu privilégié, avec pour père, un sociologue reconnut, et pour mère, une féministe convaincue devait correspondre aux exigences morales suscitées par une société en quête de justice sociale.
Les privilèges sont de deux sortes. Ceux pouvant être légitimés par la souscription de devoirs moraux, et ceux qui ne sont que le produit d’un vol manifeste. Sans que j’eusse donné mon accord, mes parents firent de moi un preux chevalier, défenseur des opprimés en tout genre. Ne pas respecter cette règle tacite te transforme en un vampire, baignant dans le sang de ses victimes, digne représentant d’une caste d'oppresseurs.
L’hostilité latente de l’auditoire rendit toute défense inopérante. Il me fallait admettre une vérité douloureuse. Je me retrouvais dans la figure de l’enfant prodigue, dilapidant le travail de sa famille pour profiter d’une vie de facilité. À vrai dire, il faut avouer que je n’ai jamais été à la hauteur. Je rêvais en grand, et j’échouais piteusement.
Les attaques successives de l’accusation brisèrent la carapace que mon ego avait forgée avec les moyens du bord. Je me suis mis à chialer comme un gosse. Un vieil homme à ma droite se mit à râler contre moi, me traitant au passage de petite fiote. Ce dernier voulait que je ne cède pas à l’appel des “bonnes femmes”, que j’assume de penser qu’à ma gueule, quitte à déplaire à cette assemblée de puritain.
Des propos qui scandalisèrent un homme déconstruit à ma gauche. Il s’évertua à m’éveiller sur les souffrances que subissent les femmes par la faute des misogynes. Il ne put accepter l’idée qu’on puisse concevoir une relation amoureuse, comme une chose intéressée. Il faut donner sans recevoir, disait-il. Et puis, qui es-tu pour être le seul phare de son existence ? Selon lui, cet entêtement à avoir l’exclusivité était source de beaucoup de souffrances.
Tout ce qu’il m’a dit, je le savais déjà de par ma mère, sauf que… La connerie est un disque qui tourne en boucle. J’avais beau cultiver des remords, prendre de bonnes résolutions, et me dire que je deviendrais cet homme déconstruit, mais je revenais toujours au point de départ.
Au moment du jugement, la juge se confronta à un dilemme épineux. Devait-elle se montrer sévère ou clémente à mon encontre ? On l’oublie aisément, mais bien souvent, condamner, ça veut dire aussi arrêter quelqu’un dans sa chute. C’est la raison pour laquelle, il peut être judicieux de mettre une peine lourde, si cela permet à l’accusé d’y trouver une forme de rédemption. On évite les flammes insatiables d’une vengeance aveugle, tout en permettant à l’accusé de purger sa peine.
À l’opposé, si la peine est trop forte, le fautif accablé par le désespoir ne cherchera pas à se racheter, pire encore, il y verra une injustice qui voudra faire payer à la société. Il faut donc être assez habile pour naviguer dans cet entre-deux sans tomber d’un côté ou de l’autre.
Malheureusement, quand on prononça la peine, le vieil homme me maintenait sous son emprise, et je n’avais qu’une seule idée en tête… faire justice moi-même !
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