Coup de foudre en seine - Capucine
Tout capitaine, quelles que fussent ses dispositions, n’avait qu’une seule chose en tête lors de chaque traversée, pour tout dire un rêve, celui de naviguer en eau douce. Malheureusement, j’aime nager à contre-courant, ressentir les vagues violentes s’abattre sur moi. Peut-être est-ce-là un masochisme non assumé, mais le mouvement frénétique de ces dernières, me donne l’impression de partir à l’aventure, bravant le danger dans l’espoir d’amasser moult fortunes de mer.
À peine sorti d’une dépression catatonique, qu’un message inespéré m’attendait dans l’un de mes ports d’attache favoris. Son auteur ? Un illustre inconnu se faisant appeler “The Dark Knight”. Sa photo de profil, lugubre à souhait, ne laissait présager rien de bon... Ne voulant pas me prendre la tête avec ce lourdingue, je décidais d’envoyer son message aux oubliettes… sauf que… sa tête me disait vaguement quelqu’un ! Ah, mais oui ! C'était mon bienfaiteur, celui qui m’avait sauvé d’une situation plus que délicate… mais comment m’avait-il retrouvée ?
Nos chemins se recroiseront un jour, m’avait-il susurré à l’oreille. J’avais beau farfouiller dans mon esprit, je n’avais fourni aucune information assez étayée pour lui permettre de m’identifier.
Hum… Je lui ai dit mon prénom, tout en lui racontant mes quelques déboires affectifs en Espagne, ainsi que ma rentrée chaotique. En tout cas, rien de bien méchant… Hum… Peut-être le vernissage de ma mère, j’en ai vaguement parlé, sans trop rentrer dans les détails.
Il y avait deux possibilités, soit je suis en face d’un détective en herbe aimant le défi ou soit d’un psychopathe à la recherche d’une nouvelle proie ! La panique que m’avait provoquée une série recommandée par mon amie Anne pointait de nouveau le bout de son nez.
C’était l’histoire d’un mec plutôt banal physiquement, mais clairement plus intelligent que la moyenne. Il était obsédé par une grande blonde aux yeux bleus, travaillant dans une bibliothèque en plein centre de Londres. Dès les premiers échanges qu’ils ont échangés autour de la littérature anglaise, elle tomba littéralement sous son charme .
Au début, ça se passait plutôt bien, mais il avait la manie de traquer ses moindres faits et gestes, grâce à une application installée en cachette, partageant sa position GPS en temps réel. Un beau soir, elle dînait en tête à tête avec son père, et ce dernier débarqua dans le restaurant pour faire un scandale. Il l’a traitée de tous les noms d’oiseaux, jusqu’à ce qu’elle lui dise que c’était son père, puis il s’excusa platement, mais le mal était fait !
Elle décida de rompre immédiatement, mais elle était loin de se douter que celui-ci irait jusqu’à la séquestrer et la tuer. Comme quoi un démon peut se cacher derrière un visage d’ange ! Cette règle s’applique, même trop bien, à nos êtres chers. Ce qui m’afflige d’un bien grand mal. Peut-on vivre une vie où la confiance est portée disparue, et où seule la méfiance reste pour nous dévoyer ? L’innocence de l’enfance me manquait, mais chaque jour, je la voyais s'éloigner de moi, pénétrée par un profond sentiment d'impuissance.
L’intérieur de la missive parlait d’une invitation pour un dîner en tête à tête sur un bateau-mouche. Cela eut pour conséquence de déchaîner la mer, si calme auparavant. Si bien que mon beau navire tanguait au bruit des vagues. Panique à bas bord, s'écriait le second maître ! Accepter quitte à faire couler le navire où refuser quitte à se mordre les doigts, un choix difficile s’offrait à moi.
Je suis plutôt du genre à vouloir mourir rapidement, plutôt qu’à petit feu, donc je pris la première option ! Une chose cruciale restait en suspens, le choix de la tenue ! Devrais-je opter pour ma robe patineuse, bleu marine, pour mon tailleur blanc en lin ou pour un pantalon accompagné d’un chemisier ? Lequel prendra le dessus entre le chic, le sérieux ou le décontracté ?
Comme d’habitude, c’est toujours le chic qui gagne !
Après de longues préparations, je me dirigeais vers le lieu de la rencontre. Aucun accident n’a été à déplorer lors du trajet, ce qui est plutôt rare. Au moment d’arriver sur place, une légère brise soufflait, je la sentais caresser tendrement ma joue gauche. Je pouvais apercevoir une silhouette corpulente se dégager de l’obscurité. C’était lui !
À mon apparition, son visage passablement énervé laissa la place à un copieux sourire.
- Euh… Nolan ? disais-je avec un certain embarras.
- Oui, c’est bien moi, répondit-il d’un ton calme.
- Bonjour, excuse-moi du retard ! J’ai eu des problèmes dans les transports. Je n'osais pas lui avouer que j’avais passé une bonne partie de ma journée à me préparer.
- Ta robe te va à ravir, tu seras de loin la plus belle de la soirée.
- Merci, disais-je un peu gênée par tant de compliments à mon encontre.
Une table au fond du restaurant attendait notre venue, nous étions invités à nous asseoir pour que le bal puisse commencer. Je pouvais le voir m’épier de long en large, j’espérais qu’il n’est rien trouvé de fâcheux. J’avais passé tant de temps à ne laisser aucun défaut transparaître. Le serveur s’approcha de nous :
- Monsieur et Madame, c’est bien pour vous la formule “Coup de Foudre”, incluant un verre de champagne, Entrée-Plat-Dessert, le tout accompagné d’une bouteille de vin au choix.
- Oui, c’est bien pour nous, répondit Nolan
- D’accord, le menu est sur la carte. Je vous laisse choisir, et je reviendrai dès que ce sera fait.
- Notre choix est déjà fait. Foie gras de canard pour nous deux. Noix de saint-jacques pour Madame, et Filet de bœuf pour moi.
- La cuisson, Monsieur ?
- Saignante ! Douceur chocolatée pour Madame, et Île flottante pour moi.
- C’est noté ! Je vous souhaite de profiter de votre repas !
Il fixa mes yeux interloqués, c’était la première fois qu’un homme avait le toupet de commander pour moi ! Malgré cela, il avait fait un sans fautes, comme s’il était capable de lire dans mes pensées, transformant ce geste déplacé en marque d’affection insoupçonnée.
- J’espère que je ne t’ai pas brusqué. Une personne proche de toi m’a éclairé sur tes goûts culinaires, donc je me suis permis de commander à ta place. Normalement, je n’ai pas dû commettre d’erreurs, mais si tel est le cas, je la ferai rectifier de suite !
- Non, c’est bon. Je suis juste étonnée que tu en saches autant sur moi, alors que je ne sais rien de toi.
- Ma vie n’a rien d’extraordinaire, contrairement à la tienne. Il y a en toi quelque chose de mystérieux, quelque chose qui n’est pas commun de voir de nos jours.
Quand tout d’un coup, un homme âgé d’une quarantaine d'années s’approcha de nous pour venir nous saluer.
- Comment vas-tu mon petit Nolan ? Je vois que les minettes commencent à s’intéresser à toi. C’est vrai, que depuis la levée de fonds de trois cents millions, ton père est devenu une figure incontournable du petit Paris.
- Je n’ai pas besoin de ma fortune pour plaire ! gronda-t-il, excédé par le sous-entendu de ce dernier.
- Ha ha… Oui c’est ce qu’on dit tous, avant qu’elle se barre avec la moitié de notre fortune ! Pour éviter ça, pas de mariage, sans contrat de mariage ! Ton père a dû te le dire… Puis, il s'en alla en pouffant de rire, tout en lui décochant un clin d'oeil tape-à-l'oeil.
Il s’était recroquevillé sur lui-même, exprimant un profond malaise. Son assurance s’évapora aussi rapidement que de l’eau au beau milieu du désert du Sahara. On aurait dit qu’il voulait rentrer dans un trou de souris. Maintenant, je comprends sa réticence à parler de lui, si son entourage est à ce point vulgaire !
Je pris mon courage à deux mains pour le rassurer, lui signifier qu’il ne devait en rien se blâmer pour ce qu'il venait de se passer. Depuis le temps, j’ai l’habitude de ces remarques désobligeantes, de ceux qui pensent que les phrases à l'emporte-pièce sont emprunts d’une vérité absolue. Vérité, qui n’est le produit que d’une profonde ignorance, agrémentée d’une arrogance déplacée. Telle est la comédie humaine.
- Ne t’inquiète pas. Je ne suis pas ce genre de fille à en vouloir à ton argent. D’ailleurs, ce n’est pas la chose qui attire le plus mon attention. J’avais beau le dire avec une certaine retenue, je ne pus m’empêcher de laisser échapper un léger sourire, et mes joues se mirent à rougir.
- Ah bon ! Et qu’est-ce qui t'attire le plus ton attention ? s'empressa-t-il de dire, comme s’il venait de lever le voile que je portais, pour me dissimuler de lui.
- Euh… Ton assurance, et peut-être aussi ta prévenance. Mes joues devenaient aussi rouges qu’une tomate bonne à être dévorée.
- À mon tour… J'aime ta beauté sans artifice, ta candeur encore intacte, ainsi que ta pudeur de gazelle. Ce qui est plutôt rare de nos jours. Tu n’as pas besoin d’exposer indécemment chaque moment de ta vie, pour attirer les lauriers de ce petit monde mondain. Et plus rare encore, tu n’es pas avare de ragots en tout genre à te mettre sous la dent.
- Je ne suis pas sûr que je mérite autant de louanges de ta part, mais merci du compliment. Mes joues n’étaient plus rouges, mais bordeaux !
L’arrivée de la coupe de champagne signait le début d’un tour de magie entre nous. Il m’était impossible d’ignorer les ordres de mon coeur épris d’amour. Il m’ordonnait de m’abandonner à lui, de me perdre dans ses yeux, jusqu'à ce que la mort m’en empêche. Quand je me languissais de croiser son regard, la raison ordonna à mes yeux de fuir pour ne pas être démasqué. J’aurais pu rester des heures à l’admirer dans le plus grand secret.
Aussitôt que nos coupes furent vidées, qu’une bouteille arriva sur notre table, ainsi que nos deux foies gras. Chaque bouchée augmentait l’intensité de mon affliction. Si bien que je devenais bègue, au moment de parler avec lui.
D’ailleurs, je n’ai plus vraiment de souvenir de notre discussion. La seule chose qui m’importait était d’être en sa présence.
Quand le plat de consistance arriva, j’étais déjà complètement ivre. Non pas que j’ai bu énormément d’alcool, uniquement ma coupe de champagne et un léger verre de vin. Cependant, j’étais si perdue, que je devenais de plus en plus maladroite. Si bien, qu’à ma première bouchée de Saint-Jacques, je fis tomber mon verre sur la table, devant le rire mesquin de mon cavalier.
Il me complimenta alors, pour la décoration de la nappe, plutôt appropriée à l’occasion. Ce qui me fit rire à mon tour. Je m’excusai honteusement auprès du serveur, ce qui le fit rire à son tour. Vous savez, ce n’est pas la première fois que le plat de Saint-Jacques occasionne ce genre de problème. On va dire que c’est l’émotion qu’il procure, disait-il avec un grand sourire.
Une alchimie s’opérait entre nous, tout aussi mystérieuse, et étrangère, que ce nom. Celle-ci nous offrit un étrange cadeau, un don de télékinésie, nous permettant de deviner nos pensées respectives sans avoir à prononcer le moindre mot. Fait rare, le feu de la passion qui brûlait entre nous mit entre parenthèses mes problèmes, pour me concentrer sur le moment présent. Je le contemplais béatement, et je souhaitais que cet instant dure éternellement, mais le temps ne laisse guère la place à ce genre de rêveries.
Au moment de nous quitter, j’espérais qu’il me saisisse comme dans les films à l’eau de rose, mais il n’en fit rien. J’étais déçue. Lui, qui était d’une aisance sans nul autre ! Il était devenu timoré, et me dit au revoir d’une main molle, et sans conviction.
Mon coeur était parcouru d’une tristesse inconsolable, quelle fin aurait pu être plus cruelle que celle-ci ? Malgré ça, mon désir pour lui ne faisait que de croître, à l’image d’une série qui nous tient en haleine, car à tout moment, un revirement de situation peut avoir lieu.
C’est ce qui se produisit… D’un coup d’un seul, je sentis quelqu’un agripper fermement mon bras droit, me prendre par la taille pour me donner un baiser vigoureux. La surprise laissa la place au bonheur, quand je sus que c’était lui.
Comme dit le dicton, tout vient à point à qui sait attendre !
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