Les trois contemplations - Capucine

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           La vie et la mort

Nous naissons lors d’une nuit de pleine lune, cette dernière entame sa descente pendant que nous vivons, et dans la pleine ombre, celle-ci signe notre arrêt de mort. Voilà en quelques mots comment résumer notre vie sur terre. Cela ressemble plus à une tragédie grecque qu'à un conte de fées.

Lors de notre venue au monde, nos pleurs ne discontinuent pas, on se demande bien ce qu’on fait ici-bas. Les drôles de têtes de nos parents ne font qu’amplifier nos craintes, mais quand notre mère nous prend dans ses bras pour nous câliner, on se sent instinctivement rassurer, et puis on aime bien ça, se faire dorloter.

Avant de disparaître, c’est une autre peur qui vient à nous. Elle résulte d’une interrogation concernant nos bagages. On se dit qu’on a peut-être oublié des affaires, sans savoir exactement lesquelles. On aurait voulu passer plus de temps pour tout revérifier, plusieurs fois même, mais la grande faucheuse ne nous offre guère ce luxe. On éprouve des regrets envers des proches qu’on a blessés, de l’amertume envers des rêves inassouvis, et une profonde tristesse de quitter ce que l’on aime si tendrement. On sait que bientôt tout partira en fumée.

Au milieu des deux rives, on essaye tant bien que mal de ne pas trop y penser, car si on succombe à des questionnements d’ordres existentiels, on est plus trop sûr de rien, le vertige arrive et une dépression carabinée pointe le bout de son nez ! Certains ont trouvé un remède imparable pour éviter ce genre de désagrément… Le divertissement ! À nous les péchés mignons, comme autant de moyens d'évasion. Nous exigeons le bonheur, maintenant, et à jamais ! Vivre heureux n’a pas de prix !

Malheureusement, des malheurs arrivent. On l’attribue à notre malchance, car à chaque fois qu’on veut les fuir, ils nous rattrapent en deux temps trois mouvements. On se croit touché par la peste, tellement, on les attire. On fustige le temps, et le temps nous fustige à travers nos rides. On voudrait jouir de plaisirs sans entraves, mais on est noyé dans les soucis. On boit la tasse. On n’en peut plus !

À cela, des charlatans nous offrent un autre remède miracle, la pensée positive. S’il nous arrive quelque chose de mal, essayons d’en tirer profit. Il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des opportunités pour nous améliorer. Comme ça, plus de blues, plus d’inquiétudes, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Bref, vous aurez compris. L’hédonisme n’est pas une chose facile ! Gare à ceux qui s’y adonnent sans une habileté à toute épreuve. Cela demande de la motivation… beaucoup de motivation !

Au final, si on réussit à trouver l'énergie nécessaire de prendre du recul. La vie et la mort ne sont qu’un changement d’état. Un passage d’une réalité à une autre. Comme le disait Lavoisier: “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. Du verbe à l’incarnation. De l’idée à la réalisation. Il n’y a qu’un pas ! Grand ou petit, ça reste à nous de le décider.

On peut voir cela comme un jeu, dont les règles ont été définies préalablement. Nous en sommes ses joueurs. La première règle est la suivante. Ce qui apparaît est voué à disparaître. Pour tout vous dire, on n’aime pas cette règle. Un groupe de joueurs rebelles, appelés “Transhumanistes” proposent de l’abroger.

Ils ont un crédo… Ni dieu ni maître. À quoi bon respecter les règles, si on peut les enfreindre ? Sauf qu’un jeu sans loi part vite en sucette. Tout le monde voulant posséder tout le monde. Des règles ont dû être édictées par les joueurs eux-mêmes. Enfin… Les puissants ont imposé leur loi aux plus faibles. Si ces derniers veulent continuer à jouer, ils doivent la respecter, sinon ils seront lourdement sanctionnés !

Les puissants ont pris un melon pas possible, et se sont déclarés comme des dieux vivants ! On a construit des statues gigantesques à leur effigie. Ils ont enfanté une intelligence capable de le sublimer. Un peu limité, mais on espère qu’un jour, elle sera à la hauteur ! Et on se pose une question… Est-ce qu’elle ne retournera pas contre nous un jour ou l’autre ? Que ferait-on si elle nous impose sa loi ?

On flippe. On tourne en rond. On veut la révolution perpétuelle. Le jeu auparavant bon enfant devient un enfer sur terre. Les gens s'insultent, se frappent, s’entretuent. Bref, tout ça pour avoir pété plus haut que son cul, comme dirait grand-père. Vous m’excuserez pour la vulgarité.

Et si le pari était d’accepter les règles pour voir la véritable raison de notre venue ici-bas ? De voir notre mission de vie, comme une seconde naissance, capable de fertiliser des idées foisonnantes.

             L’épreuve

Je me souviens d’un jour au parc. J’étais avec mon père, mais celui-ci était en train de se disputer au téléphone avec son éditrice pour une sordide histoire de contrat. Un vieux papy au crépuscule de sa vie s'avança vers moi pour me raconter une histoire loufoque. Il s’agissait d’une quête singulière, une épreuve herculéenne, qu’une poignée d’intrépides osait entreprendre.

Il me dit que cette dernière se passait dans les tréfonds d’une cavité exiguë appelée “Coeur”. Toutes sortes de choses étaient dites à son propos. Pour la plupart, incomplètes ou inexactes, voire totalement fallacieuses.

Je fus étonné qu’au vu de son âge avancé, il eût le courage de continuer l’aventure. Je lui aurais bien dit de se préserver, car il pouvait se faire mal, mais je pense qu’il m’aurait ri au nez.

Il évoqua sa première épreuve contre un énorme lion, rien que ça ! Sa présence à proximité réduisait les chances à néant de prendre la poudre d’escampette ou de jouer les faux semblants. Si on voulait le battre, il fallait être capable de se regarder en face. Connaître ses forces et ses faiblesses. Ne plus dépendre des autres. L'introspection est la solution, qui fera fuir le plus grand des prédateurs.

Pour la seconde épreuve, il avait un adversaire vicieux. Une hydre. Une créature donnant la nausée. Il fallait s’attaquer à la corruption, qui sommeille en nous. Toutes nos petites tares, toutes nos mauvaises habitudes, toutes ses influences néfastes qui gravitent autour de nous. Nous devons faire le grand ménage de printemps pour la vaincre. Nous défaire, nous libérer de nos entraves psychiques étouffantes. Voilà, la solution !

Le sanglier a été le troisième adversaire de notre papy. Un animal réputé pour sa sagesse. Il lui proposa un défi singulier, une partie d’échecs ! Pour gagner, il faut apprendre à bien perdre. Voir l’échec, comme un moyen d’apprentissage, jusqu’au point d’en faire un art de vivre. La partie est à l’image de notre destinée. Il nous est conseillé de nous abandonner à elle, afin d’être attentif aux signes qu’ils nous seront transmis au cours de la partie. Signes, qui nous permettront de battre notre adversaire.

Une biche se montra lors de cette quatrième épreuve. Elle était douce, patiente et d’une timidité maladive. Beaucoup envisagent de l’attraper par la force, mais celle-ci a la capacité de s’évaporer. Il fallait attendre patiemment… La laisser venir à soi ! C’est long, très long. Cela peut prendre des jours, voire des mois avant qu’elle ose enfin s’approcher... Au bout d’un moment, rassurée par notre pacifisme, elle se laisse capturer par notre main tendre et chaleureuse.

Pour la cinquième épreuve, des oiseaux en encre de chine furent dessinés dans le ciel. Elles étaient à l’image de nos pensées, de nos certitudes ou de nos croyances. Les combattre par la volonté d’un arc tendu était sans espoir devant ses formes illusoires. Nous devons accepter que tout ce que nous pensons pour sûr soit peut-être faux ! Comme le dit Avicenne, tout acte de connaissance est une prière. Un acte de recueillement de l’esprit. On y développe une intelligence, qui ne se borne pas à un esprit obtus. Plus on se recueille, plus les oiseaux se dissolvent. À la fin, ils avaient tous disparu.

Notre petit père s’était retrouvé au beau milieu d’une écurie pour la sixième épreuve. Une puanteur infâme se dégageait de ce lieu. Il semblerait que la cause de cette odeur soit due à une pollution des nappes phréatiques. Les traumatismes de notre enfance avaient été absorbés par la terre. Il fallait donc la traiter sans trop tarder. Le travail à fournir était colossal, mais après de longues années, il avait réussi à tout dépolluer. Il faut accepter ses souffrances, et les transformer en force. La résilience est le maître mot de l’existence, mais aussi de cette épreuve !

Il ne me serait jamais venu à l’esprit qu’un taureau puisse avoir la fibre artistique, sauf que lors de cette septième épreuve, c’est lui qui proposa à notre papy un défi singulier. Réaliser la plus belle statue en marbre. Pour que sa beauté transparaisse aux yeux de tous, il faut se laisser envoûter par elle, lui laisser libre cours de s’exprimer à travers nous. On oeuvre alors à la restitution d’une féérie qu’on a entre aperçue avec nos yeux de merlan frit. On fait tout pour enrichir le monde. Mettre notre art à son service de manière dévouée, sans rechercher la moindre gloire personnelle. C’est la seule solution vers la victoire.

Il fallait tracter des juments pour cette huitième épreuve. Elles étaient coriaces. Comme pour la biche, c’était elles, les maîtresses de maison. Elles attendaient un signe. Oui, mais lequel ? C’était la question que se posait le petit papy ! Elles attendaient un refus, une abnégation d’une liberté fondamentale. Le libre arbitre ! Elles voulaient qu’on l’abandonne pour se laisser guider par la providence. Ce n'est pas une chose facile à faire, car ça nécessite de nous défaire de notre orgueil démesuré, mais c’est la seule solution qu’il a trouvée pour qu’elles se laissent tracter !

La neuvième épreuve était tout aussi compliquée. Devant une bande d'amazones déchaînées, notre petit père ne menait pas large. Leur reine lui offrit une ceinture, à l’unique condition d’avoir une confiance aveugle envers elle. Ce, qu'il accepta sans broncher. Elle emmena alors, en haut d’une tour, et lui exhorta de sauter ! Panique à bas bord ! On aimerait se défendre de ce traquenard, par peur d'être écrasé au sol, et d’être rattrapé par le réel. Une seule solution. Sauter ! Tampis ! Si je meurs au moins j’aurais vécu !

Comment contacter des vaches situées de l’autre côté du rivage sans qu’aucun bateau puisse faire le voyage ? Le petit père rencontra un amateur de communication radio, qui lui apprit les ficelles. En quelque mois, il réussit à capter les fréquences qu’elles utilisaient pour communiquer entre elles. Il réussit à déchiffrer leur langue, leur envoya des messages, et put dialoguer avec elle sur les mœurs de la haute société londonienne, avant de tout retranscrire dans un journal intime.

Pour l’avant-dernière épreuve, il devait capturer un gros chien dénommé Cerbère. Tout le monde en avait peur ! Si la personne avait le malheur d’avoir le moindre trouble intérieur, le chien l’exposait devant tout le monde. Il faut être capable de faire une descente en rappel dans les profondeurs de son âme. Chose ô combien difficile, et sans garantie de ne pas sombrer dans une folie douce.

Je suis à la dernière épreuve depuis des dizaines d’années, me disait le papy enjoué. Je dois rentrer dans un jardin idyllique pour en devenir un des gardiens… Pourquoi n’y allez-vous pas dès maintenant ? lui répondis-je stupéfaite par son inaction. J’ai le trac ! me répondit-il un peu gêné. Je sais qu’après tout sera fini… mais vous savez quoi jeune fille? Vous venez de m’instruire ! Je vais passer le cap !

C’était les derniers mots qu’il m’a adressés avant de partir. Je ne l’ai plus revu après. Peut-être, avait-il enfin trouvé le boulot de ses rêves…

           La vie surnaturelle

Comme l’histoire surréaliste de ce papy. Notre civilisation en a recueilli des centaines du même genre. Est-ce juste le fruit de l’imagination débordante de quelques-uns ou des vérités récoltées par des privilégiés ? Seul, l’avenir sera capable de nous le dire ! Les sceptiques refuseront d’y croire, et les crédules la dicteront en vérité universelle.

Bien sûr, de ces faits, on en retient que la partie spectaculaire. Les guérisons miracles ou les visions mystiques en sont les stigmates les plus visibles. Sauf que tout ceci est anecdotique, par rapport au message délivré, résultant au préalable d’un labeur bien particulier, même si la chance peut avoir son mot à dire.

Vous l’aurez compris, la vraie clé de compréhension ne réside pas dans l'événement, mais dans la nature de ce dernier. Nous sommes des êtres limités. Même le plus grand mathématicien peut caler devant la conjecture de Syracuse. Il faut réussir à admettre que la vérité dépasse notre entendement. Il nous est simplement possible d’en comprendre des parcelles infimes. Des révélations à l’image d’instants de lucidité où le doute disparaît. On peut les voir comme des cadeaux qu’on nous a offerts, et qu’on peut disposer comme on le souhaite.

Beaucoup refusent d’admettre que c’est au-delà de nos forces. Pourtant, cela relève du bon sens, mais notre ego joue le tout pour le tout dans le but de ne pas nous laisser le choix. Du narcissisme à l'état pur. Notre orgueil démesuré nous suggère qu’on vaut mieux que les autres, que nous sommes dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne. À part, une poignée d’élus que nous admirons parce que nous voulons leur ressembler, nous ressentons une profonde aversion pour la médiocrité affichée par la populace.

J’ai toujours préféré une autre voie que celle du petit moi. L’opposition ou la division est remplacée par l’union. Mon but est de me perfectionner, non pas en utilisant les autres pour mon profit personnel, mais en les aidant à s'élever au-dessus de leur nature propre.

Ce chemin nécessite de s’oublier de temps en temps pour être à l’écoute des autres. N’avoir aucun scrupule à partager les fruits qu’on nous a transmis. Être attentif à notre environnement, en sortant de notre zone de confort pour avoir le courage de se diriger vers la jungle d’un monde en perdition. Être capable de se mettre au travail, quand c’est nécessaire, et surtout, ne pas reporter à demain, sous peine de ne jamais accomplir notre devoir !

Je dois vous parler de mon admirateur secret. Son immense vertu l’obligeait à se présenter à moi sous les traits d’un rayon de soleil. Depuis que je suis toute petite, il m’a vu grandir sans jamais intervenir. Il se servait des gens, pour me transmettre des messages, sans qu'eux-mêmes s’en rendent compte. Il ne voulait pas que je me sente redevable, mais il m’aurait été impossible de lui rendre la monnaie de sa pièce, tellement, il m’avait gâtée !

À chaque fois que j’étais encline à l’écouter, il me prodiguait de très bons conseils. Je les applique toujours à l’heure actuelle. Puis, quand je devenais intime avec lui, il m’offrait des moments d'allégresse d’une si grande valeur, que rien de ce monde ne pourrait compenser la perte de ces derniers. Si j’acceptais de sacrifier des plaisirs terrestres pour lui faire plaisir, il avait toujours la délicatesse de m’offrir des consolations bien supérieures à tout ce que j’ai pu abandonner !

Il n’attendait qu’une seule chose de moi. Une toute petite attention. Réserver une place à ma table pour lui, si jamais, il avait envie de me rendre une petite visite.

Par contre, cet ami que je chérissais tant n’était pas très complaisant envers mes fautes. Tout le contraire ! Si mon comportement lui déplaisait, il me le faisait comprendre en ne me donnant plus signe de vie. Cela me peinait, si bien que j’entamais aussitôt des pénitences pour m’excuser. Dans sa grande bienveillance, il m’accordait toujours son pardon.

J’ai connu des amis beaucoup plus complaisant envers mes fautes ou pire encore me conseillant de céder à mes penchants les plus pervers. Tout en m’incitant à cultiver le mépris envers les indigents. Ils avaient aussi tendance à être jaloux à chaque fois que mon attention se portait sur autrui. Pour eux, tout était question d'intérêt personnel. Tout ce qu’ils m’offraient, ils exigeaient que je leur en donne autant, voir davantage. Si bien que je ne savais pas s’il me considérait comme un placement boursier ou une personne qu’on aime pour ce qu’elle est.

Ces amitiés se finissaient souvent par des rengaines à n’en plus finir, des coups dans le dos déguisé en maladresses. Arrivée au lycée, je décidais de couper les ponts avec tout ce beau monde pour m’évader dans les livres. J’y trouvais de la grandeur, des traits d’esprit rares, et je m'imaginais avoir des discussions avec de grands romanciers à côté d’un feu de cheminée.

La monotonie de ma vie à cette époque effraya ma mère. Elle eut peur, en me voyant dans ma chambre à dévorer les livres. Elle se disait que sa fille n’était pas normale ! Je devais sortir faire la fête, profiter de ma jeunesse pendant qu’il était encore temps ! Mon père, lui, ne me comprenait que trop ! Il aimait me conseillait des livres pour pimenter mon goût littéraire.

Malgré la monotonie apparente de ma vie, j’étais libre, et je n’ai jamais autant voyagé qu’à cette époque. Elle était riche en instructions, et d’un foisonnement intellectuel inégalé. J’étais obnubilée par mes lectures, et je me perdais dans mes pensées foisonnantes. Des univers entiers se dessinaient en dessous de mes pieds. Cependant, mon voyage en Espagne mit fin à cette période, car j’y ai découvert quelque chose de plus grand que des aventures humaines trépidantes… l’amour !

Je voulais devenir l'esclave de l’Amour, et de celui qui nous le donne. Concéder une servitude volontaire. On me dira folle. Soit ! On présagera que je serais malheureuse. Soit ! On me persuadera de devenir une femme indépendante, émancipée des hommes dominateurs. Soit ! Je répondrais que je ne vois que des affres d’une vie sans Amour.

On veut être libre de vivre dans le confort, mais celui-ci nous rend prisonniers. On se rêve insoumis, mais on se soumet à celui qui peut nous ôter la vie. On voit en l’autre, quelqu’un qui peut nous blesser, qui nous veut du mal ou qui est incapable de comprendre ce que nous ressentons.

Je n’ai qu’une réponse à leur apporter. Le problème n’a jamais été la servitude, mais le maître !

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