{Lucas} : Le dernier jour d'un condamné
La gueule enfarinée, cherchant un vague répit dans la salle de bain. Le contraire se produisit. La lumière m’aveugla. Le miroir me rappela des évidences que j’aurais aimé dénier. Je n’étais qu’un petit mec aux chevilles enflées par sa propre médiocrité. Trop libidineux pour faire preuve de retenue. Trop orgueilleux pour se repentir de ses fautes. Trop couard pour se confronter aux conséquences de ses actes.
Que me restait-il pour me rattraper ? Mon intelligence, souvent prise en otage par mes émotions ? Elle aurait pu changer la donne, mais cette fois-ci, elle n’eut pas la moindre explication à m’offrir pour m’éclairer sur ce qui venait de se passer.
Mes désirs inassouvis me jetaient durement dans un puits sans fond où ma seule rencontre fut avec une dame appelée “folie”. D’une main faussement aimante, elle toucha mon coeur pour le corrompre de son impureté, jusqu’à ce qu’il devienne son antre, sa possession, sa propriété privée. Je venais de signer noir sur blanc, un contrat visant à la dépossession de moi-même. Dommage. J’aurais dû lire les bas de page !
Il n’eut pas un seul instant où je n’essayai pas d’élaborer un plan pour restaurer mes torts. Faire que tout redevienne comme avant, mais que lui aurais-je dit ? Que ce n'était qu’une fois au chalet ? Que j’avais glissé par inadvertance ? Que je l’aimais trop pour oser la faire souffrir ouvertement ? Or, je l’avais bel et bien violé sans aucun état d’âme, juste devant ses yeux pour qu’elle témoigne en ma défaveur.
Une réflexion me traversa l’esprit. Sommes-nous des barbares déguisés en être civilisés ? Si on est honnête, on avouera aisément qu’on se réjouit du malheur des autres. La jouissance de pouvoir contempler la destruction complète d’un individu peut se monnayer en une somme bien rondelette de nos jours. Quand j’eus amené son innocence à l'échafaud, j’eus l’indécence d’en savourer chaque instant.
Pour parachever mon œuvre, j’aurais pu me faire passer pour fou, niant toute responsabilité, et rejoignant à l’occasion le club des pires crevures que l’univers ait engendré. Mon empathie sous l’apparence d’une petite lanterne, me fit remémorer son visage d’antan, ce qui eut pour effet de me faire verser mes dernières larmes. Je n’osais même pas imaginer comment elle devait se sentir… ce sentiment de dégoût de moi-même m’accablait jusqu’au point où je préférais fuir dans un monde idyllique pour tout oublier.
Lors de ma balade sur les quais, une supérette semblait être restée ouverte malgré l’heure tardive. Un drôle de bonhomme au chapeau cruciforme me proposa un ticket vers le pays des merveilles, qui ressemblait bizarrement à une bouteille de vodka. Il me narra l’histoire d’une terre d’asile qui acceptait tout le monde sans exception, même ceux n’ayant pas la moindre once de bonté humaine. Ce pays était si bon qu’une fois arrivée là-bas, on ne voudrait plus repartir.
Je sortis un billet d’une vingtaine d’euros de ma poche, que je glissai au vendeur. Suivant ses indications, je bus trois grandes gorgées avant de respecter une pause de 10 minutes, et ceux avant de reprendre toute nouvelle série. Il serait dommage de tout dégoupiller par terre. Pour lui, c’était avant tout une question d’endurance !
Je m’assis sur les quais avec ma bouteille à la main devant le regard médusé d’une foule uniformisée. J’en pris une première pour ouvrir le bal. Puis, une seconde pour l’habitude. D'autres suivirent dans la foulée. Malheureusement, je n’eus pas la sagesse de respecter les consignes, si bien, qu’au bout d’une dizaine de gorgées, je vomis mes tripes dans la seine. Il m’était impossible de reprendre la picole sans être atteint d’une odieuse nausée.
Une attente en guise de condamnation venait de m’être infligée. Le gardien de cet autre monde entendant mes supplications a bien daigné m’ouvrir la porte. Un vent frais de liberté se fit ressentir. Les règles de la bonne société, la morale à deux francs six sous ou encore l’injonction à paraître gentil , tout ceci disparaissait sans un bruit, une sorte de mise au placard forcé. Seul demeurait l’instant présent.
L’admission de croyances jugées saugrenues n’était plus mal vue par mon esprit rationnel habitué à tout résumé par des faits vérifiables. Il semblerait qu’il ait pris congé à cause de la vicissitude de sa propre existence. Je pensais être capable de parler aux oiseaux. Si tel fut le cas, mes talents d’interprètes n’ont pas fait l’unanimité, car deux piafs se mirent à m’attaquer pour défendre leur territoire. Cependant, le monde me semblait tout de même un peu féérique.
Cet ahuri, dansant en faisant abstraction des moqueries du monde ambiant, semblait me ravir. Rares étaient les occasions d’émancipation dans une société où la castration a fait main basse sur nos aspirations.
Être en marge du corps social faisait de moi un marginal. Un va-nu-pieds d’une quarantaine d'années, dans le même état que moi, se mit à me parler avec l’âme d’un philosophe. On s’engageait dans des discussions décousues où les fils tissés produisaient un bout de tissus difforme. Les sujets, s’emmêlant entre géopolitique, sport et métaphysique, n’ont pas aidé à produire une cohérence dans nos propos .
On pensait être de grands intellectuels, mais à bien y penser, nos paroles ressemblaient à des élucubrations de grands poivrots. Malgré tous les défauts apparents, il se dégageait de nos discussions, des questions existentielles où sans le vernis de la dialectique, les problèmes étaient posés dans leur plus simple appareil.
Il me fit rejoindre sa bande d’amis, dont le surnom d’Apaches était une réponse laconique aux interrogations sur leur véritable nature. Nous étions des marginaux fauchés sans avenir, mais avec pour seul privilège… l’aventure. Il est des actions insensées qui ne peuvent être le fruit que de personnes n’ayant plus rien à perdre. Arpenter les rails du métro ou sauter de toit en toit était des défis qu'on lançait à la mort elle-même, jusqu’à ce qu’elle vienne nous faucher.
L’évanouissement arriva, et BAM trou noir ! Au réveil, le constat fut sans appel. Défroqué à côté de mes amis à la gueule cassée dans une rame du métro parisien. Des vêtements déchirés par tous les bouts. Un mal de tête qui ne passe pas. Sans papiers, ni téléphone. Il ne restait que mes yeux pour pleurer sur la tournure tragique que prenait mon existence.
Des odeurs infectes se dégageaient de l’endroit où je me trouvais. Nous étions des pestiférés, dont les usagers cherchaient par tous les moyens à fuir notre regard. Il ne voulait pas qu’on leur occasionne le moindre problème. Mon seul réconfort fut ce vieux loubard de la bande, qui me salua avec un sourire dans le coin. Signe peut-être que j’étais devenu un apprenti vagabond, et que bientôt je serais un membre à part entière de leur groupe.
En imaginant le tournant qu’allait prendre ma vie, une peur bleue m’assaillit ! Si bien que j’ai plié les gaules dans la seconde qui suivait pour revenir dans mon petit nid douillet. Je fis tout de même, une dernière salutation à cette bande de copains avec la ferme résolution de ne pas finir comme eux. L’un s’écria tout même, revient vite, comme si c’était ma nouvelle famille. Chose que je désirais le moins du monde.
Mon habitude du métro parisien facilita le repérage, même très fortement alcoolisé. Je devais prendre la ligne 14 en direction d’olympiades pour m’arrêter à Cour Saint-Émilion. Je réussis difficilement à escalader le portique, sans empêcher toutefois ma chute à la renverse quelques secondes plus tard. Voilà, j’étais enfin un voleur. Mes parents me montreraient leur désapprobation. Grand-père serait furieux d’avoir un petit-enfant aussi indigne. Seule ma grand-mère me pardonnerait. Soit !
Après de fastidieuses minutes à marcher, j’arrivais enfin dans mon cocon, loin des agitations du monde… enfin, c’est ce que je pensais !
Je ne m’attendais pas à retrouver ma mère à genoux, les larmes coulant sur ses joues. Quand je franchis le pied de la porte, elle s’empressa de me prendre dans ses bras. J’ai eu trop peur qu’il te soit arrivé quelque chose, s'écria-t-elle avant de me gifler violemment ! Je ne sais pas comment j’aurais pu le supporter, se lamenta-t-elle !
Mon père quant à lui, endossa le rôle de l’enquêteur chargé de l’affaire. Il voulait tout savoir sur ma journée d’hier. Je me montrais évasif, dissimulant la vérité, celle que je ne pouvais avouée sans me discréditer.
Cependant, son flair lui laissait entendre qu’une chose clochait dans mes déclarations. Les questions portaient sur un laps de temps d’une à deux heures, et s’orientaient presque exclusivement sur Capucine. Une de nos voisines, reconnue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, reporta l’avoir avec un garçon, le même ayant déjà fait l’esclandre il y a plusieurs semaines de cela.
Il était au centre de toutes les suspicions. Quand Joseph, le père de Capucine, sut que ce dernier s’était introduit dans sa demeure, il en fut tout retourné, et se souvint la nuit du grabuge avoir retrouvé cette pauvre enfant dans un triste état.
Mon père réussit à glaner quelques informations sur lui de ma part. Dans la seconde, Joseph fut informé, et tous les deux me questionnèrent longuement sur cet individu. Malheureusement pour eux, je ne savais que son prénom (Nolan). Un éclair de lucidité me fit me souvenir du nom de la société de son père “TheGoodDeal”. Pff... Quelle saloperie, cette famille ! s’exclama Joseph avant de partir rage de colère. Il semblait la connaître, tout du moins, de réputation.
Mon animosité envers cet énergumène exécrable n’était pas en capacité de mettre à mal mon envie de justice à son égard. Serait-ce à lui de payer pour une faute que j’ai commise ? Non, mais le courage n’étant pas une de mes forces, je préfère ne rien dire et laisser planer le doute.
Les autres ont toujours gouverné ma vie, car ça me donnait une occasion de me plaindre d’eux. À ce moment crucial où j’aurais dû avouer le crime qui était le mien. Connaissant de plus, la précarité de ma situation, c’est ce qui aurait été le plus judicieux pour tourner la page.Sauf que j’avais l’espoir que tout s’arrange par miracle, sans que j’aie à répondre de quoi que ce soit. Si par mégarde, elle révèle la vérité, ne sachant pas vivre dans l'opprobre, je serais dans l'obligation de changer de pays au plus vite.
Qu’ils furent douloureux, et chaotiques, ces derniers moments avec ma famille ! Comme pour rompre avec la vie sociale, et officialiser une mort, ma mort... Qui aurait cru que tout commencerait sur une simple question ?
- Avez-vous fini ? demanda ma mère. Si on veut partir la voir, c’est maintenant ! Son empressement pouvait se sentir à des kilomètres à la ronde.
- Allez-y sans moi, répondis-je nonchalamment avant de me prendre une bière dans le frigo devant le regard sans voix de mes géniteurs.
- Chérie, mon petit chéri. Il lui est arrivé une chose grave… de très grave… que ton père n’a pas pensé bon de te dire ! Peut-être allons-nous la perdre… Se mit-elle à pleurer que je n’en ressentais plus la moindre empathie.
- J’irais plus tard, lâchez-moi la grappe ! Une force involutive me poussait à désobéir. À ne penser qu’à mon petit confort, même si ça pouvait heurter les autres.
- Comment ça plus tard ? Il ne t’est pas venu à l’esprit qu’elle pouvait être dans le coma ? Quand est-ce que tu vas avoir du plomb dans la cervelle ? Non monsieur préfère se bourrer la gueule en solo ! Ivrogne, va ! Il n’y a qu'à voir ton état… tes vêtements déchirés... ton haleine qui pue l’alcool à plein nez... et ta tronche… je n’en parle même pas ! Tu nous fais honte ! s'énerva-t-il, en se préparant à me donner une bonne correction.
- De toute façon, être une merde, ça doit être un don familial que les hommes héritent. Tu devrais me remercier, je suis la seule raison pour laquelle maman daigne encore être avec toi. N’as-tu pas vu comment elle brûlait de désir, quand elle croisa l’écrivain Natan Meyer ? En vrai, elle est la plus courageuse de la bande, car ce n’est pas toujours simple de rester fidèle à un homme qui est incapable de la faire jouir ! Je n’aurais pas dû dire ça. Il est des vérités, qu’il faut mieux taire, disait grand-mère, mais quand on me blesse… Il m’est impossible de tendre la joue gauche. Je préfère attaquer plus ardemment mon ennemi.
- Arrêtez, je vous implore d’arrêter, se mit-elle à dire d’une voix tremblotante.
Trop tard. L’heure du duel avait sonné pour mon paternel. On ne transige pas avec l’honneur. Il me frappa le premier, m’infligea une rafale de coups de poing jusqu'à ce que je mette genoux à terre. Fou de rage, je pris une des chaises de la cuisine pendant qu’il avait le dos tourné, et lui asséna un coup si violent, que plusieurs de ses vertèbres se brisèrent en mille morceaux.
Pour éviter toute sanction qu’il aurait pu occasionner après s’être remis de sa souffrance, je mis les voiles en claquant la porte derrière moi. Je n’aurais jamais pensé que je n’y remettrais plus les pieds, et que ça serait la dernière fois que je les verrais.
Après avoir tiré un trait sur la famille, aucun lien ne me retenait quelque part contre mon gré. Ce qui est à la fois, une entrave à notre liberté, et aussi un nid douillet où se reposer. Je me sentais tiraillé par mes angoisses de ne plus revenir à la vie d’avant, alors j’errais dans les rues de la capitale dans l’attente d’un heureux dénouement. Cela ressemblait plus à un calvaire qu’à un conte de fées. Cependant sur la route, j'entrevis la bouche de métro que j’avais quitté dans la matinée. Tel un être assoiffé voyant une oasis, je m’engouffrai dedans sans la moindre once d’hésitation.
À peine arrivées, les odeurs me donnaient déjà la nausée. Sans le vernis que l’alcool me fit apposer sur eux, un effroyable constat survint à mon esprit en proie à de moult tumultes. La vie les avait éreintés, lessivés avec une substance alcaline hautement corrosive, ils n’en restaient que des cadavres ambulants, attendant que la mort vienne les soulager du fardeau qu’est devenu leur vie.
Encore debout, il ne restait qu’un petit père attristé de me voir arriver dans la bande. Comme s’il savait d’avance, la fin qui m’attendait. Il voulut avoir une discussion avec moi, comme pour ne pas se reprocher par la suite de ne rien n’avoir alors qu’une brebis égarée allait être emmenée à l'abattoir. Il me raconta donc, ses déboires avec sa femme.
Quelle sinistre épouse est la rue ! Avant le mariage, elle déploie tant de charmes et de malices pour nous attirer dans ses filets qu’il nous est impossible d'être indifférent. Ses preuves d’amour sont si nombreuses, qu’on la juge aimante et attentionnée alors qu’en réalité, elle est glaciale et indifférente à notre sort.
Dès que les papiers sont signés, elle nous ignore et se pavane avec d’autres hommes. Ils se moquent de nous, il nous traite de candaule, sans comprendre qu’elle leur réserve le même sort. Pour se vanter, certains excellent dans cet art. Tu vas voir ce que je vais lui faire à ton épouse ! Moi, je vais bien m’occuper d’elle ! se plaisent-ils à dire avant de finir clochard.
À force de recevoir des reproches, on finit par se dire qu’ils n’ont peut-être pas tort. On se juge soi-même au regard que portent les autres sur nous. On veut qu’on nous aime, mais on ne récolte que du mépris et de la haine. On ne devrait pas trop y apporter d’importance, tant cette société antipathique n’a pas d’amour à apporter. Sauf que voilà, je suis narcissique comme tout le monde ! Je veux qu’on crie mon nom dans tous les ports, qu’on m’aime à en mourir, qu’on ne puisse se passer de moi sans finir sous anxiolytiques, mais je ne reçois rien de tout ça, pas même une once d’amour !
Quand les autres constatent ma présence dans les horizons, ils deviennent tout d’un coup méfiants, voire même haineux. Ils ont peur à leurs sous, que leur vole leur maigre salaire, mais je connais trop la valeur du labeur pour faire une chose pareille. Je ne demande qu’un maigre sourire, mais est-ce trop demander ? Je me pose la question quand je les vois attachés à leur téléphone, comme à la prunelle de leurs yeux. Peut-être est-ce trop demander à cette humanité, dont les prétentions à une prétendue bonté humaine sont autant de promesses politiciennes.
Je t’en supplie, surtout ne l’épouse pas ! Il faut mieux ravaler sa fierté, retourner auprès des siens, s’excuser, tant qu’il n’est pas trop tard ! Bien sûr, tu recevras une punition, soit dit en passant, bien méritée ! Ce ne sera pas simple dans les débuts, mais avec le temps, tout rentrera dans l’ordre. En tout cas, il vaut mieux recevoir une injuste punition que d’être seul, et considéré pour mort aux yeux de nos êtres les plus chers !
Il eut fini, que je pouvais ressentir son immense tristesse. Je lui tins la promesse que j’écouterais ses précieux, car décevoir ses frêles espoirs m'aurait brisé le cœur. Je lui donnai les quelques pièces qu’ils me restaient, soit deux euros et vingt centimes. Il me remercia de ma générosité, puis je m'en allai comme j’étais venu.
J’entamai une marche funèbre. L’obscurité de la nuit parisienne s’était abattue sur ma carcasse sans qu’aucun signe annonciateur se soit présenté à moi. Je ne pus qu’entrevoir la gravité de ma faute à travers des songes. Je vis aux abords d’un tribunal quelconque, des regards venimeux se portaient sur ma présence.
Selon le jugement de la foule présente, je n’étais qu’une bête devant être marquée au fer pour signifier mon infamie. Les supplications de ma mère éplorée visant à m’absoudre ne récoltèrent que crachats et mépris. Quant à la grâce accordée par une bien amie trop clémente à leurs yeux, elle fut considérée comme une emprise que j’avais sur elle, et amplifia leur haine à mon encontre pour sauver cette pauvre âme de mes griffes.
Ma condamnation me fut adressée promptement sous l'égide de la grande maquerelle de la république. Une sentence dure, impitoyable, et sans possibilité de rédemption… la mort !
J’avais franchi le Rubicon, rendant impossible tout retour en arrière. Je sanglotais à l’idée de ma propre perte, la peur me paralysait, et les pleurs coulaient sur mon visage d’assassins. Une maladresse me fit tomber à terre, provoquant le ricanement des passants.
Ma mère se jeta à mon secours pour m'enlacer de son amour maternel. Un homme âgé me releva. Une femme m’offrit à mouchoir pour essuyer mes pleurs. Je chutai à nouveau, comme si je n’avais plus de force sur mes jambes, mais j’en eus assez pour consoler deux petites filles pleurant sur mon sort. L’homme me releva encore une fois, mais je chutai une dernière fois quand j’aperçus un bouquet de fleurs laissé à l’endroit du pont où elle avait sauté. Je remerciai le bon samaritain pour son aide, mais l’heure du recueillement était advenue. Et il partit. Je veillai une longue partie de la nuit. Je fis de longues prières et louanges à celle que j’ai tant déçue et outragée. À présent, seul son sort m’importe, car le mien était déjà scellé.
J’ôtai un à un mes vêtements, peut-être, allaient-ils mieux servir à un autre que moi. Je trouvai une lettre d’amour que j’avais écrite à son attention sans la lui donner. Je la lus avec ferveur. Je rêvais une dernière fois. De l’instant où je lui donne la lettre. Du moment où elle me dit oui devant l’autel de l’église. Peut-être qu’une fin joyeuse aurait pu avoir lieu, mais jamais, au grand jamais, je ne le saurais…
Je posai la lettre à l’endroit des fleurs. J’entendis le chant des sirènes au fond de la seine. Sa mélodie était si envoûtante que je n’eus pas d’hésitation au moment de sauter. J’eus bien un moment de flottement dans l’eau où je voulais me ressaisir pour respirer, mais je n’avais plus la force pour remonter à la surface. Alors la folie me fit entrevoir ses douces créatures, je bus la tasse. Je revivais des souvenirs sur mes premières joies, mes grands regrets, et mon unique amour. Ils iront bientôt me rejoindre dans la tombe...
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