Extraordinaire
Enfin. L'impatience est à son paroxysme. Grâce à sa maman, la petite fille à la vie ordinaire va rencontrer une personne extraordinaire. Quelqu’un comme elle. Les adultes appellent ça un médium, elle l'appelle son sauveur. Dans la pièce qu'elle peinait à imaginer depuis trois semaines, la voilà qui partage ses sensations, ses souvenirs, ses visites, ses peurs et ses déceptions. L'homme souriant écoute et respecte ensuite un long temps de silence. A-t-elle raison d'espérer ? Peut-il vraiment l'aider ?
— Pourquoi mon papi ne vient pas ?
— Qui te dit qu’il ne vient pas ?
— Ce n’est pas lui que je vois.
— Ceux que tu vois n'ont pas de visages, n'est-ce pas ?
La petite fille demeure silencieuse.
— Peut-être est-il parmi eux, poursuit l'homme. Peut-être est-il même plusieurs d'entre eux.
— Je ne reconnais pas ses vêtements.
— Parce que tu crois qu’il va rester en costume toute sa mort ? Ce n’est pas très confortable un costume, si ? Peut-être a-t-il choisi, dans son voyage vers l’après, d’être plus à l’aise. Un pantalon sombre, avec un gilet. Peut-être même est-il pieds nus. Et d’ailleurs, pourquoi le cherches-tu ?
— Je vois tellement de gens que je ne connais pas que je voulais le voir lui et être rassurée de le sentir près de moi dans ce monde terrifiant.
— Peut-être se dit-il que tu as assez de visiteurs comme ça pour le moment pour t’importuner, surtout s’il ressent ta peur. Ton grand-père t’aime si fort que pour te protéger, il reste en retrait. Pour l’instant ou pour toujours et ça, tu vas devoir l'accepter.
L'homme poursuit en expliquant que parfois, les morts, pour se protéger face à la douleur de voir les êtres aimés poursuivre leurs vies sans pouvoir les toucher, leur parler, les sentir, est trop lourde et ainsi, ils restent en retrait.
— Et parfois, ils importunent des inconnus, termine-t-il en douceur.
— Comme moi ?
Silencieux et toujours souriant, l'homme acquiesce.
— Tu dois comprendre, petite, que ce que tu perçois est rare. Tu es spéciale. Tu es extraordinaire. Et lorsque certaines âmes réalisent que tu peux les voir, ils se raccrochent à toi. Tu matérialises l'espoir que rien n'est perdu et qu'ils ont encore un lien avec les vivants.
— Comment faire pour qu'ils me laissent dormir, pour qu'ils me laissent tranquilles. Certains me font vraiment peur, souffle alors la fille.
— Leur as-tu déjà demandé ce qu'ils voulaient ?
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