Trop, c'est trop!
Impossible de rester ici plus longtemps. Je sens le regard de mon père dans mon dos, jugeant encore une fois le fait que je parle à un homme. Je n'ai pas le droit de parler, de regarder ou de sourire à un homme. Pourtant, Jacky se comporte plus comme un grand frère que comme un potentiel petit-ami...
- Jacky, éloigne-toi de ma fille et va plutôt faire quelque chose d'utile.
- Ou... Oui, monsieur, chef, président, bafouille le pauvre garçon.
Je sens la rage monter en moi. J'en ai assez du comportement de gougeât de cette brute, cet homme qui se croit tout permis me concernant, juste parce qu'il est mon père.
- Tu n'étais pas obligé de chasser tous les mecs avec lesquels je parle, tu sais? Je suis assez grande que pour prendre soin de moi-même sans avoir besoin de ton aval.
- Tant que tu es sous mon toit, c'est moi qui décide qui, quand et comment, c'est clair?
Rageant mais préférant ne pas empirer ma situation, je quitte le grand salon dans lequel j'étais pour regagner ma chambre au premier étage. Je claque la porte pour marquer mon état d'esprit et m'allonge dans mon lit. Au même moment, mon téléphone me notifie l'arrivée d'un message.
"Hé girl! Comment ça va? Ton père ne te fait pas trop la misère?"
Hellen. On peut toujours compter sur elle pour mettre les pieds dans le plat avec sa gentillesse et sa bonne volonté. Mais je ne peux pas lui en vouloir, je l'aime trop pour ça, et elle est l'une des seules personnes au monde à connaitre mon mal-être quant au comportement de mes parents et de leur invasion dans ma vie. On s'est rencontrées à l'université. Et si ça ne tenait qu'à ça, mes parents pourraient l'apprécier. Mais elle fait partie d'un autre club de motards, les Hidden Demons. Je ne sais pas pourquoi, mais la plupart des clubs que je connais ont un rapport avec l'Enfer. La preuve, le club que mon père dirige s'appelle Hell's Angels, les Anges de l'Enfer.
En y repenssant, ça fait un moment déjà que je n'ai pas fait une virée dans la Cité des Anges à moto. Ni une ni deux, je prends ma veste en cuir, mon casque et sors par la fenêtre, descendant à l'aide de l'arbre qui frôle la vitre. Ma Harley n'est jamais garée très loin de lui, à l'écart des autres motos du club. C'est ma chérie, mon seul soutien dans ce club, mon seul moyen d'être enfin moi-même.
Plusieurs heures plus tard, je rentre enfin à la maison. Je suis épuisée par le vent qui m'a fouetté le visage pendant que je roulais. Je suis à nouveau calme et sereine, ce qui n'était pas gagné ce matin. Je passe la porte d'entrée sur la pointe des pieds. Du métal résonne dans les couloirs, ce qui veut dire que la majorité des membres est présente et que je peux m'éclipser sans que ça ne se remarque. Je reste discrète et me dirige vers la cuisine pour piquer de quoi manger avant de remonter dans ma chambre. Je n'ai pas envie de voir une bande de motards puants ivres se frotter contre des petites minettes pas très couvertes et très ouvertes. C'est le genre de trucs qui me dégoutent. Bien sûr, ça fait plaisir à mon père vu qu'il ne veut pas que je m'approche trop. À croire que des gamines de 15 ans qui baisent avec ses membres, c'est bon, mais dès que c'est sa petite fille, plus personne ne peut rien faire. On dirait que j'ai 4 ans avec son comportement. C'est pas comme si je n'avais jamais vu personne à poil et baiser, après tout, j'ai été à l'université et je n'étais jamais loin d'une fête. Et qui dit fête estudiantine, dit alcool et sexe à gogo. Donc je ne comprends pas son comportement.
- Te voilà enfin! Il était temps que tu rentres. Ton père t'attend dans son bureau, et il n'est pas très content de toi.
- Comme d'habitude, Maman. Papa n'est jamais content de ce que je fais ou de ce que je dis.
- Ne parle pas comme ça de ton père, jeune fille. Je te rappelle que tu dois le respecter comme ton président et comme ton père.
- Et lui jurer fidélité et obéissance, aussi? N'y comptes pas, c'est déjà pas mal que je vous adresse encore la parole.
Furieuse, ma mère quitte la cuisine pour retourner au bar. Je chope en vitesse de quoi me faire un sandwich, le mange en m'asseyant sur le plan de travail puis me résigne à aller au bureau de mon père. Je le trouve assis à sa table de travail, les sourcis froncés.
- Ne toque pas avant d'entrer, bien sûr...
- C'est toi qui voulais me voir. Puis-je savoir pour quelle raison, cette fois?
- Où étais-tu passée? On a passé toute l'après-midi à te chercher partout, et mademoiselle revient comme une fleur à la nuit tombée?
- Je suis juste allée faire un tour en moto, en passant chez nos fournisseurs pour commander ce qu'il faut pour la fête de la semaine prochaine et pour m'assurer qu'ils ont bien compris ce qu'on attend d'eux. Maintenant, si tu n'es pas content, tu n'as qu'à te démerder tout seul!
- Ne me parle pas sur ce ton! Et tu ne pars pas sans escorte, encore moins pour faire le boulot de ta mère.
- Le boulot de ma mère? Et comment voudrais-tu qu'elle le fasse? Elle n'a aucun moyen de transport et ne sait même pas où se trouvent nos fournisseurs. En passant, je suis passée chez Tom, la livraison d'armes aura bien lieu dans deux semaines chez les Jap.
- NE VAS PLUS JAMAIS CHEZ TOM! TU SAIS QUE CE N'EST PAS UN LIEU POUR TOI! C'EST TROP DANGEREUX!
- Ne me hurle pas dessus. Non, ce n'est pas plus dangereux que d'aller dans un centre commercial, et quel est ton problème avec les garçons? Je peux comprendre qu'en tant que père, tu veuilles me protéger, mais m'empêcher de rencontrer tous les hommes de plus de vingt ans et célibataires, c'est pas comme si j'allais leur sauter dessus et leur ordonner de me baiser devant tout le monde! Je ne suis pas une de tes poufs qui passent leur soirée en string et crop top avant de se faire sauter sur une table de billard.
- N'insulte pas les filles, tu veux? Elles n'ont pas eu autant de chance que toi et sont très heureuses d'avoir un toit au-dessus de leur tête et des hommes qui les respecteront un minimum.
- Qui les respecteront? Tu te fous de moi? Ce porc de Jones a explosé l'arcade sourcillière d'Amanda pas plus tard qu'hier parce qu'elle avait refusé de lui tailler une pipe. En même temps, je la comprends, la pauvre. Qui voudrait sucer un vieux spagghetti mou qui sait à peine bander et qui sent l'alcool, le tabac et le rence à dix heures du matin?
- Fraya, ne pousse pas ma patience à bout. Jones n'est pas un porc et Amanda s'est pris un chambranle en quittant sa chambre parce qu'elle avait encore une fois trop bu.
- Raconte ce que tu voudras, mais je sais ce qu'il s'est passé, j'étais là quand elle est sortie de la chambre de ce porc, le visage en sang et en larmes, et c'est moi qui l'ai soignée.
- Fraya! Quand vas-tu grandir et accepter les ordres? Je t'interdis d'aller vers les dortoirs des célibataires et de t'approcher d'eux!
Je rage tellement que c'est à peine si je n'écume pas. J'en ai assez de son comportement d'homme des cavernes. Je me lève et sors en claquant la porte au nez de mon père furax, percuttant en même temps le porc dont on parlait une minute plus tôt. Il empeste le bourbon bon marché et le tabac froid. Il me sourit en essayant de mettre sa main sur mes fesses, mais je suis plus rapide que lui et le mets à terre en un mouvement. Évidemment, il faut que ma mère arrive au moment où ce gros tas touche le sol, le bras tordu et les larmes aux yeux. Elle hurle de colère, me repousse contre le mur et l'aide à se relever. Cette fois, c'en est trop, je vais me barrer de cette baraque, et le plus tôt sera le mieux.
Je regagne ma chambre sous les regards compatissants et éberlués des membres tout en envoyant un message à Hellen.
"Plan A activé"
" Bien reçu, lieu sécurisé et prêt, j'y serai dans 2 jours"
"Bien, préviens Loup Solitaire"
Deux jours. Il ne m'en faudra pas autant pour finir de préparer mes affaires, de les expédier dans ma maison et de récupérer l'argent que j'ai caché à mes parents toutes ces années.
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