Excentrique
Au milieu des personnalités les plus en vogues, des chanteurs à la mode, des tops modèles qui sont si maigres qu’elles filent des complexes à n’importe quelle femme avec un minimum de formes et de rondeurs, et des plus riches CEO du monde, je m’y perds moi-même… Tout me semble tellement étrange, moi, fille d’ouvrier, au bras du golden boy le plus riche et le plus sexy de cette salle, habillée de soie et de dentelle, des pierres précieuses aux oreilles et à mon annulaire gauche, côtoyant footballeurs internationaux, chanteuses et dirigeants de nombreux pays.
Si un regard pouvait tuer, je serais morte cent fois en moins de cinq minutes. Vous savez les tops modèles dont je parlais avant ? Eh bien, même si elles sont accompagnées des plus riches ou des plus beaux hommes de la planète, elles me fusillent de leurs yeux trop maquillés. Même chose pour les CEO féminines présentes dans la salle.
Le rouge me monte aux joues, je crois que mon cœur va me lâcher. Je me suis figée sous la pression des regards. La main chaude de Daniel, posée dans le creux de mes reins, se presse sur la dentelle de mon dos, me rassurant.
Tu es magnifique. Elles sont jalouses parce que tu es plus belle et plus intelligente qu’elles. Je t’aime, mon cœur, me murmure-t-il.
Je lui retourne son sourire, des frissons me parcourant le corps entier. Nous entrons dans la salle de réception et, déjà, des hommes vêtus de smokings griffés s’approchent pour saluer mon fiancé, entrainant épouses, concubines et maîtresses dans leur sillage. Commencent alors les présentations interminables, les félicitations pour nos fiançailles et les regards sur ma bague puis sur mon corps, me déshabillant, me jugeant et me critiquant. Je me crée un sourire aussi faux que les griffes collées aux doigts des harpies qui nous entourent, parle avec chacune de leur vie avec un calme que je suis loin de ressentir. Le temps s’allonge, et, en même temps, me semble tellement court par moments, surtout quand Daniel est obligé de s’éloigner un peu de moi.
Au bout d’un moment, alors que je parle avec plaisir avec la magnifique épouse d’un CEO magnat de l’informatique, quelque part, un gong retentit. D’un coup, la pièce s’anime et tout le monde se dirige vers un coin de la salle transformée en une grande salle à manger.
- Venez avec moi, ma chère, allons manger.
- Ce n’est pas nécessaire, Madame Yang, je conduirai moi-même ma fiancée à notre table, l’interrompt brutalement Daniel en réapparaissant dans mon dos avant de me tendre le bras pour que je m’en saisisse.
- Merci pour cette agréable proposition, Madame Yang. Mais si je ne le suis pas, il va m’embarquer de force et me porter sur son épaule comme un homme préhistorique, répondis-je avec diplomatie et en la faisant rire.
Je passe mon bras sous celui du dit-homme préhistorique qui lui ne rigole pas à ma plaisanterie, et le laisse me guider jusqu’à notre table, idéalement placée dans l’immense salle à manger. Galant homme, il me tire ma chaise, et attend que je sois assise pour s’installer à son tour. Monsieur et Madame Yang nous rejoignent rapidement, et celle-ci se remet à parler aussitôt son fessier posé sur l’assise rembourrée, comme si nous n’avions pas été interrompues.
Le repas est excellent, comme on pouvait s’y attendre, venant de la meilleure cheffe de tout New-York. Pendant que nous mangeons, elle passe de table en table, discutant avec les convives et s’enquérant de la qualité de la prestation. Elle finit avec notre table, nous mettant dans une position gênant supérieure à celle des chefs d’États assis au milieu de la salle. Les murmures s’amplifient quand elle me fait un bisou sur la joue tout en me prenant dans ses bras, salutation normale pour nous deux, nous nous connaissons depuis des années et, avec Daniel, nous allons manger régulièrement dans son restaurant où la meilleure table nous est toujours réservée, même si nous arrivons sans prévenir.
- Caroline, ma chérie, tu aurais dû me dire que tu venais à ce gala ! Je me serais dégagée de ma cuisine ! Ô ma belle ! Je suis tellement heureuse de te voir !, crie-t-elle à mon oreille.
- Pauline ! On s’est vues hier ! Et je pense t’avoir répété une dizaine de fois au moins que nous venions, dis-je en riant.
- Avant ou après le pot de glace et la bouteille ?
- Avant ET après. Merci de me rappeler de ne plus faire de soirée filles seulement avec toi…
- Comme si ça ne t’avais pas plu ! Il n’empêche qu’on devra aller à la salle au moins deux fois cette semaine pour éliminer les excès d’hier, grimace ma meilleure amie.
- Ou alors, je te sors de ton laboratoire fou pour une virée shopping en talons hauts et en mode « Sex & the City »…
- Oooooh ! J’aime encore plus ton idée ! Est-ce que tout se passe bien ?, demande-t-elle à la tablée, passant du français à l’anglais sans problème.
- Je ne savais pas que vous connaissiez Pauline Herman, s’étonne Madame Yang.
- On se connait depuis des années, répondons-nous en chœur.
- En tout cas, c’est délicieux !, intervient Monsieur Yang. J’ai rarement goûté une viande aussi tendre et juteuse.
- Ah ! Merci, monsieur. Bon, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut absolument que je retourne en cuisine, on m’a collé un nouveau commis qui ne connait rien à la cuisine et qui risque de détruire le dessert si je ne suis pas avec lui ! Ma belle, faisons cette virée shopping après-demain, demain je serai morte de fatigue à cause des incapables qui m’entourent.
- OK ! On se voit lundi alors. Merci ma chérie. Et tu cuisines vraiment comme une déesse, lui dis-je en lui claquant une bise retentissante.
Je me rassieds et souris à mon fiancé pendant que Pauline retourne au travail. Je sens à nouveau des regards assassins dans mon dos. J’aimerais tellement me tourner vers ses yeux accusateurs et leur demander s’ils ont une vie et des amis aussi, mais Daniel saisit ma main et embrasse ma bague en me regardant droit dans les yeux. J’y lis un avertissement et y vois une source de réconfort face à mon malaise. Petit à petit, les bavardages reprennent et les œillades quittent mon dos pour se diriger vers leurs assiettes. Je me sens si petite, si inférieure et vraiment pas à ma place, sur cette chaise, au milieu de cette salle au luxe tapageur typiquement américain. J’aimerais redevenir cette étudiante qui travaillait à la poissonnerie d’un hypermarché belge que j’étais l’année dernière.
À la même époque, il y a un an, j’étais étudiante en Histoire et en Lettres, je galérais pour payer ma chambre estudiantine, malgré mon boulot et l’aide de mes parents. Nous étions à la période des fêtes et, comme chaque année à la poissonnerie, c’était la course entre l’étale, le rayon réfrigéré et les frigos où nous préparions les commandes. Pour la première fois depuis que j’avais commencé y travailler quatre ans plus tôt, nous travaillions le jour de Noël. Pour faire plus de bénéfices avaient dit les directeurs du magasin. Ce jour-là, j’avais commencé mon service depuis une demi-heure, et, déjà, j’avais fait trois aller-retours avec les frigos. Cette troisième commande, c’est celle qui a changé ma vie.
Le magnifique jeune homme qui était venu la chercher m’avait tendu son papier, sans même décrocher du regard son maudit téléphone. En bougonnant, j’étais partie la chercher, relisant le papier qui indiquait l’une des plus grosses commandes que nous avions eues. Quand j’étais revenue cinq minutes plus tard avec cette énorme caisse remplie de dix homards cuits d’un kilo chacun, de vingt cagots d’huitres et de cinq kilos de noix de Saint-Jacques, il avait enfin daigné me regarder. C’en est suivi un peu plus de trois longues et horribles heures à être observée comme un animal extraordinaire visible pour la première fois dans un zoo. Ce n’est pas vraiment dérangeant quand on doit courir plusieurs kilomètres, mais perturbant quand on ne peut même plus parler à son chef sans sentir le poids d’un regard insistant et entendre un « Tssss » assez bruyant que pour attirer vers lui, puis, suivant son regard, vers Michaël et moi, les œillades interloquées de tout le monde. Du coup, pour recevoir mes consignes ou même pour échanger avec mes collègues, on devait aller dans les frigos ou dans la réserve. On avait beau lui demander de partir et d’appeler la sécurité, il refusait de partir avant de savoir mon nom et d’avoir mon numéro de téléphone. Cette tâche lui avait été facilitée par mes amis qui criaient « Caro » toute la sainte journée pour diverses raisons, et il ne lui avait pas fallu trois heures pour savoir que je m’appelle Caroline.
À la fin de mes quatre heures de service, Papa était venu me chercher avec ma voiture pour que je conduise un peu en ville et dans la dense circulation du jour de Noël. Je me débrouillais bien avec mon embrayage difficile, quand un gros « BAM » a retenti à l’arrière de ma pauvre Gudulle. Je m’étais parquée en catastrophe (mais très bien, pour une fois), de peur d’avoir cassé quelque chose. Il y avait bien quelque chose de cassé : j’avais un énorme coup dans mon pare-chocs arrière et un phare brisé. La voiture rutilante qui se trouvait derrière nous se gara et un Daniel avec un faux sourire d’excuses qui laissa vite place à un vrai sourire triomphant en était sorti, plus que très content que sa ruse ait fonctionné. Papa s’était énervé, comme d’habitude, mais grâce à quelques bons mots et à la promesse de tout faire réparer à ses frais, Daniel avait trouvé toutes les informations qui lui étaient nécessaires pour savoir qui je suis et avait fait le constat avec mon « Dark Vador » qui avait fait aggravé les conséquences du choc. Et c’est presque en amis qu’ils se sont séparés, Papa et Daniel avec un grand sourire et moi très perturbée par le baisemain que ce dernier m’avait fait avant de partir.
Tout le mois suivant, j’avais été constamment espionnée par tous les moyens possibles : caméras, voitures garées devant la maison, drones, il avait mis la barre très haut pour m’empêcher de m’enfuir. Même à l’école, j’étais suivie, ce qui me compliquait la vie et ruinait mes efforts d’étude et de concentration pour mes examens. En plus de la surveillance, il y avait eu les fleurs, les cartes et les nombreuses demandes de rendez-vous. À croire qu’il voulait me rendre folle ou dingue de lui. Je ne pouvais littéralement plus faire trois pas dehors sans que je ne reçoive un SMS me demandant où j’allais et pourquoi. Même aller ouvrir le poulailler était devenu une épreuve.
C’est ma grand-mère, le jour de son anniversaire, qui m’avait convaincue d’accepter un rendez-vous en voyant le jardin fleuri qui avait envahi la maison, et en ayant plus qu’assez de recevoir des appels téléphoniques au moins deux fois par jour pour savoir comment j’allais, malgré les visites rares qu’on se faisait. À la maison, tout le monde avait d’abord pris ça à la rigolade, un stalker pour la grande sœur coincée qui lui faisait une cour endiablée, c’est toujours rigolo. Du moins jusqu’à ce qu’on ne puisse plus faire un pas sans tomber sur un vase rempli de roses rouges, que les téléphones et smartphones sonnent toutes les heures pour prendre de mes nouvelles et qu’on continue de livrer monts et merveilles, même si nous n’allions plus ouvrir la porte d’entrée.
C’était avec les pieds de plomb et une très forte envie de mettre un poing dans ce beau visage que je m’étais rendue au premier rendez-vous que j’acceptais. Malheureusement pour le bien-être de ma famille et de ma petite personne, je m’y étais bien amusée et avais trouvé mon perturbateur charmant, et notre rendez-vous étant tombé le jour de la Saint-Valentin, j’avais eu droit à un bouquet de cent et une roses d’un rouge sombre et aux pétales veloutés. Après plusieurs autres demandes accompagnées de brassées de roses et de mots doux de sa part tombées dans l’oreille d’un sourd, c’est Maman qui a craqué et qui m’a supplié d’accepter un second rendez-vous ou de porter plainte à la police. Je m’y étais rendue avec l’esprit ailleurs car j’avais finalement réussi tous mes examens. Daniel n’avait pas compris que si j’étais si contente et heureuse, c’était pour d’autres raisons que lui ! Mais, à la fin de la soirée, j’étais de plus en plus intriguée et j’avais approuvé un troisième rendez-vous qui avait été encore meilleur que les deux précédents. Durant cette rencontre, il m’avait enfin avoué que je l’attirais comme un aimant et qu’il voulait réellement apprendre à me connaitre. En me déposant à ma chambre étudiante, il m’avait volé un baiser. Surprise, je m’étais laissé aller, sans savoir pourquoi je relâchais ma vigilance en côtoyant cette homme qui me faisait ressentir des choses que j’avais cachées depuis bien longtemps.
De fil en aiguille, nous nous étions mis en couple, sortions au moins une fois par semaine ensemble, le reste du temps, nous envoyons des messages constamment, même pendant mes cours présentiels, et j’étais tombée amoureuse de cet homme trop beau que pour être vrai, comme une Raiponce attendant son Prince dans sa tour ou une Belle au Bois Dormant endormie jusqu’à ce que son Prince l’embrasse.
Quatre mois plus tard, j’étais sortie vice-major de ma section tout en décrochant en même temps mon permis de conduire, au plus grand bonheur de mes parents qui voyaient enfin l’un de leurs enfants réussir, et de celui de Daniel qui me proposa un travail dans son entreprise comme éditrice. Je ne pouvais pas refuser cette offre pour de multiples raisons : passion, position, argent et surtout de pouvoir croiser tous les jours celui qui faisait battre mon cœur.
Après quelques semaines de travail avec lui, j’étais déjà changé de poste pour celui d’assistance personnelle. J’entendais les ragots dans mon dos, ceux qui disaient que je couchais avec le patron. Hors, c’est la seule chose que nous n’avons jamais faite, nous ne sommes pas encore passés à l’acte, malgré des tensions qui montrent que nous sommes prêts pour l’étape supérieur, le prouvant avec quelques attouchements, le soir dans le fond de notre lit ou sous la douche. Mais nous l’avons passée pour arriver à l’emménagement de moi chez lui, un peu plus de neuf mois après notre rencontre. Mes parents ont eu un peu peur que je m’engage trop vite avec cet homme que je connaissais à peine, mais Daniel, toujours aussi beau parleur, avait réussi à trouver les mots qu’il fallait pour les rassurer et pour qu’ils lui fassent entièrement confiance quant à mon bien-être et mon bonheur.
Tout ceci pour ce conclure la semaine dernière, jour de Noël, par une demande en mariage en bonne et due forme, ma famille et nos amis qui n’avaient pas su faire le déplacement jusqu’à New-York en vidéo-conférence sur l’immense télévision du penthouse. Je l’admets, j’ai pleuré en le voyant à genoux au milieu de milliers de pétales de roses rouges comme celles qu’il m’avait offertes lors de notre premier rendez-vous, dans le salon, en revenant d’une course de dernière minute pour le travail. Il avait eu ce genre de mots doux qui font succomber d’amour n’importe qui en me présentant une magnifique bague en or blanc avec un gros diamant taille marquise. Je ne pouvais dire que oui !
Je ne le regrette pas, j’aime mon golden boy, mais tous les regards qui pèsent sur moi, les remarques sur mon corps et mon comportement, c’est épuisant. Tant physiquement que moralement… J’en suis même venue à effrayer tout le monde en devenant malade à la moindre bouchée de nourriture et en faisant presque plus de sport que les étudiants de la section Éducation Physique ! Sur moins de deux mois, j’avais perdu quinze kilos en me sentant plus mal que jamais quand je n’étais pas avec ma famille ou avec Daniel qui en devenait complètement dingue de me voir souffrir ainsi, allant jusqu’à menacer de renvoyer ceux qui me dénigraient. Aussi bizarre que ce à quoi ça ressemble, Daniel a été la cause de mes problèmes tout en étant le remède pour les résoudre. Depuis, j’ai tout de même repris dix kilos pour arriver à mon poids idéal, celui avec lequel je me sens bien dans mon corps et qui me permet de mettre ce que je veux, avec des hanches et une poitrine développées mais pas trop grosses. Et je ne me laisse plus toucher par les racontars et les tabloïds qui nous inventent une vie sexuelle hyperactive et très originale, ce qui a plutôt tendance à nous faire rire.
Le souper se termine et nous allons passer à la principale activité de cette soirée : la loterie géante (et incroyablement chère) en faveur d’une association parrainée par l’ONU pour l’aide au développement du Tiers-Monde. La plupart des prix sont des séjours dans des villas inhabitées depuis longtemps, ou dans des stations balnéaires ou de ski privées, des essais de voitures très rapides, de robes de créateurs, etc. Mais ce que tout le monde attend, c’est la « vente » des premières danses de presque la moitié des femmes présentes dans cette salle. Évidemment, Madame Yang et moi faisons partie du lot…
Un rapide changement de robe et un masque sur le visage plus tard, je me retrouve sur scène à écouter l’animateur exagérer sur les personnalités des muses qui sont sur l’estrade avec moi. Quand arrive mon tour, j’ai envie de m’enfuir, il va trop loin ! Je m’appellerais Annabella Rodriguez, avec une diplôme de médecine avec une spécialisation en chirurgie nerveuse, joueuse de violon, de piano (ça, c’est vrai) et de clarinette (il n’est pas très loin de la vérité, je suis flûtiste) et je m’adonnerais à la peinture et aux acrobaties aériennes et nautiques durant mon temps libre. Vaste programme et véritable génie, cette chirurgienne…
Je suis évidemment la dernière à passer, augmentant mon stress. La plupart des enchères sont parties pour un demi-million de dollars, la plus chère étant celle de Madame Yang, achetée par son mari pour un million et demi. Ma propre vente monte très vite : un demi-million est le prix de base, puis je passe directement à deux millions. Je sais que c’est là un coup de mon cher et tendre à la simple vision de son visage fermé et concentré : il ne laissera personne m’avoir. Trois millions. Cinq. Dix millions. Je peine à garder la bouche fermée et les yeux dans mes orbites. Ça monte trop haut et je vois les précédents lots me fusiller du regard et tordre leurs bouches pulpeuses. Sauf l’extraordinaire Madame Yang qui sourit et m’encourage d’un geste de la tête. Tout ça ne va pas m’aider à m’intégrer parmi les harpies…
Mon prix continue d’augmenter à une vitesse affolante : j’ai atteints les cinquante millions et l’animateur ne sait plus où donner de la tête.
- Cent-cinquante millions et ça sera le dernier prix !, s’exclame une voix familière.
Des « Ooooh ! » et des « Wooow ! » retentissent un peu partout. Daniel a perdu la boule ! Je veux bien qu’il soit multimilliardaire, mais cent-cinquante millions de dollars pour moi, c’est trop ! Je vaux maintenant le triple du dernier chiffre donné et trois cent fois le prix de base !
- Cent-cinquante millions, une fois ! Cent-cinquante millions, deux fois ! Cent-cinquante millions trois f…
- Cent-septante-cinq millions !, coupe une voix nasillarde qui appartient à un petit vieux tellement gros qu’il ne doit plus voir ses pieds, ni grand-chose d’autre, d’ailleurs…
- Deux cent millions !, s’indigne Daniel en avançant vers moi tout en tuant des yeux celui qui a eu l’audace de vouloir se placer entre nous et qui se tasse sur sa chaise grinçante sous son poids.
- Deux cent millions, une fois ! Deux cent millions, deux fois ! Deux cent millions, trois fois ! Adjugé à monsieur de Beauffort pour deux cent millions de dollars. Très chère docteure, si vous voulez bien…, s’extasie puis m’invite à descendre l’animateur qui ne semble plus savoir ce qu’il doit faire face à cette somme horriblement trop élevée et transit.
Je descends prudemment sur mes hauts talons dorés et prends la main de mon fiancé. Lui sourit comme un bienheureux, moi, je le fusille du regard et le rabroue d’avoir dépensé une telle somme d’argent pour moi. Il me répond tout naturellement qu’il aurait pu donner toute sa fortune pour moi, ce qui me fait fondre d’amour et de bonheur. Nous retournons à notre table sous les regards condescendants de la plupart des participants de la loterie pendant que l’animateur qui s’est ressaisi remercie les généreux donateurs puis nous annonce que nous avons récolté plus de sept-cent-cinquante millions de dollars pour l’association. Monsieur Guterres, le secrétaire général de l’ONU et qui est très impliqué dans cette organisation, prend la parole pour nous remercier de notre générosité et nous invite à ouvrir le bal.
La salle de réception dans laquelle nous sommes entrés à notre arrivée s’est transformée en salle de bal avec une piste de danse et un petit orchestre symphonique. Les premières danses mises en vente doivent ouvrir le spectacle, le plus haut prix au centre. Silencieusement, je me remercie d’avoir pris quelques cours de danse de salon lors de ma phase de sport intensif. Au moins, je sais où je dois mettre mes pieds et ce que je dois faire… C’est une surprise que je réservais à Daniel, mais tant qu’à se faire remarquer en positif, autant montrer mes talents de danseuse et claquer le clapet aux quolibets qui volent ! L’orchestre commence une valse lente et envoutante et mon golden boy m’entraine avec lui. Bientôt, les autres couples commencent à valser avec nous et les masques tombent les uns après les autres. J’enlève le mien en dernier et un « Oh ! C’est elle ? » émane de la foule bordant la piste. Je ne peux m’empêcher de sourire de toutes mes dents à mon cavalier tout en continuant à pirouetter et à faire virevolter ma robe.
Nous continuons à danser sur les cinq valses suivantes et sur le foxtrot, puis nous nous arrêtons un instant, les pieds en feu et le souffle court. Monsieur et Madame Yang nous complimentent sur nos talents et se taquinent pour savoir lequel de Daniel ou de moi s’en est le mieux débrouillé, ce qui nous fait bien rire.
- Indubitablement, Caroline est la meilleure de nous deux, intervient mon fiancé.
- Que du contraire, très cher, vous vous êtes incroyablement mieux débrouillé que moi, et je pense que vous allez être sacré meilleur danseur de ce gala, rétorquais-je, faisant rire notre petit groupe de plus belle.
Nous quittons l’hôtel où se passait la soirée pour regagner notre appartement new-yorkais. Tout au long de la soirée dansante, plusieurs hommes ont voulu venir demander ma main pour une danse, mais avant même d’avoir pu m’approcher, ils étaient refoulés par les regards courroucés et possessifs de Daniel. Décidément, la jalousie et le sentiment de possession excessifs qu’il éprouve pour moi ne partira pas de sitôt… Nous avons encore dansé quelques fois, finissant toujours sous les applaudissements et les compliments, même après un simple slow… J’ai senti monter en Daniel l’envie irrépressible de vouloir me ramener à la maison, à l’abri de l’avidité des autres hommes. Il a d’abord un peu résisté, mais a fini par céder à ses pulsions après le départ de la majorité des diplomates et une énième demande pour une danse.
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