I

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  Anaximandre avait toujours prit un malin plaisir à se donner l’apparence que l’on attendait d’un magicien. Cela avait changé au fil du temps et du lieu, mais à Rivetendre cette année-là, il avait teint en gris ses longs cheveux rêches, ainsi que sa barbe qui descendait jusqu’à son ventre. Il semblait pourtant n’être âgé que d’une trentaine d’année. Un chapeau bleu marine, haut et aux bords larges, le protégeait du soleil. Il arrivait régulièrement qu’une bourrasque audacieuse le lui vole, mais Anaximandre se contentait alors de sourire ou de grogner, selon son humeur. Il tendait le bras, le chapeau dansait dans les courants d’air, puis revenait. Sous son chapeau et sous sa barbe, Anaximandre portait une grande robe du même bleu que son couvre-chef, parée aux épaules de galons de cuir de formes étranges et liserée de passepoils couleur groseille. Il avait un grand bâton de bois plaqué d’argent, orné de gravures dorées, qui l’aidait autant à marcher qu’à lancer ses sorts.

  De la même manière, sa demeure avait exactement l’apparence qu’on attendait d’elle. Il s’agissait d’une tour située en bordure de la ville. Le rez-de-chaussée où il recevait ses clients tenait autant de la boutique que du laboratoire. Des étagères étaient garnies de plantes rares et d’instruments étranges, une vitrine fermée à clef laissait voir des dizaines de fioles pleines de liquides dorés, argentés, azurs ou carmins. Dans la cheminée pourtant éteinte, de la fumée s’élevait d’une marmite pleine d’une étrange mixture verdâtre. Il vendait à faible prix des médicaments, des onguents et des potions diverses.

  Anaximandre sortait peu de chez lui, il ne répondait qu’à quelques invitations de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, à quelques autres des classes populaires, et aux convocations de la garde qui, parfois, faisait appel à son expertise dans les affaires liées à la magie.


  La pluie était arrivée avant le soleil, ce matin-là. Anaximandre ouvrit au troisième coup contre sa porte. Lorsqu’il vit Bruine de Rivetendre, son sourire s’effaça aussitôt. La protectrice de la ville semblait épuisée, et les gardes qui l’accompagnaient n’était pas en meilleure forme.

  — J’ai besoin de vous, dit-elle.

  — Entrez.

  Il emmena ses invités au deuxième étage, un grand salon accueillant. D’un geste de la main, il raviva les braises de la cheminées. Les flammes crépitantes éclairaient des tableaux représentant des scènes de l'histoire de la ville. Il invita les gardes à s’asseoir dans les nombreux fauteuils que comptait la pièce avant de leur servir du thé. Il laissa son bâton plaqué de métaux précieux contre un mur, s’assit sur un canapé et posa son chapeau à côté de lui. Un chat brun sauta d’une hauteur et vint se lover sur ses genoux.


  Le thé fit un grand bien à Bruine. Ou peut-être était-ce l’endroit, ou bien autre chose. Elle se sentit apaisée, mais ne s’autorisa ce sentiment que durant le temps nécessaire pour finir sa tasse. Un grand miroir lui renvoyait son reflet. Sa peau bleutée était blême, des mèches imbibées d’eaux de ses cheveux vert pâle retombaient comme des algues échouées sur son front et ses oreilles pointues. Et ses yeux, d’ordinaire si bleus, avaient prit la couleur grisâtre d’un ciel orageux. À la veille de ses vingt-neuf ans, elle était aussi ridée que son père qui en avait trente de plus et avait vu bien plus de combats. Même son armure rutilante semblait terne. D’un coup d’œil, elle constata que ses hommes ne valaient guère mieux. En face d’elle, le mage la regardait en silence.

  — Merci, dit-elle enfin.

  — Prenez votre temps.

  — Il s’est passé quelque chose, cette nuit…

  Anaximandre la laissa reprendre ses esprit. Il voyait que son sort fonctionnait, les gardes semblaient déjà plus reposés. Mais pas Bruine. Son regard se perdit un court instant sur un tableau montrant Samandra, la duchesse légendaire, prenant le contrôle des eaux de la baie pour écraser une armée ennemie. C’était la toile préférée du mage. À la lumière rasante du soleil, le soir, on distinguait dans l’immense vague derrière Samandra la silhouette du djinn qui lui avait offert ses pouvoirs. Le djinn avait d’immenses yeux émeraude, un regard farouche et déterminé. Le regard qu’avait habituellement Bruine et qu’elle tenta de simuler.

  — J’aimerais que vous veniez voir. C’est dans le quartier du port.

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