VII
Le bâtiment était vide. Lorsque tout le monde fut sortit, Anaximandre dressa une barrière magique autour. Laissant à la garde le soin d’expliquer la situation aux badauds, le mage se précipita dans sa tour. Là, il se plaça devant un grand miroir. Il psalmodia quelques mots et son reflet s’effaça. À la place, il vit un corridor plongé dans l’obscurité. Il rentra à l’intérieur et, pour la première fois depuis des années, il fut dans la Tour Errante. Sans prendre le temps de saluer ses anciens camarades, il se hâta jusqu’à la septième bibliothèque. Devant une lourde porte en bois, une grille métallique en interdisait l’accès de son métal noir et froid, paré de pics acérés. Une angoisse étrange se répandait dans le couloir, suintant à travers la porte fermée comme le sang d’un massacre à travers un plancher. C’était un couloir que tous, étudiants comme maîtres émérites, évitaient.
Anaximandre saisit le petit heurtoir et frappa trois coups. Après quelques minutes, un grincement déchira le silence du couloir. La porte de bois s’ouvrir lentement. La bibliothécaire paru surprise de le voir.
— Bonjour, Nax.
— Bonjour, Rosa.
Elle posa sa main décharnée sur la grille, qui disparu comme la flamme d’une bougie que l’on souffle.
— Allez, entre.
L’intérieur de la pièce était occupé par une grande bibliothèque. Il faisait terriblement froid. Tout, dans cette salle, semblait en attente, comme un fauve prêt à sauter au cou de sa proie. Au fond, une large fenêtre laissait entrer une lumière blafarde qui ne repoussait qu’à peine les ténèbres moites de la salle. Il y avait là quelques sièges, autour d’une petite table. C’est là que Rosalyn Vayl, marchant avec difficulté, appuyée sur sa cane, emmena Anaximandre.
Lorsqu’ils furent assis, le mage regarda longuement sa vieille amie. Elle avait bien changée. Ce teint cireux n’appartenait pas à la Rosa qu’il avait connu, pas plus que ces traits émacié ou ce dos voûté. Les longs cheveux roux dont elle était fière jadis était devenu blancs. Les yeux noirs où pétillait toujours une étincelle de malice étaient comme éteint. Elle le scrutait, essayant sans doute elle aussi de revoir le jeune étudiant qu’elle avait connu.
— Malgré nos promesses, on ne s’est pas revu depuis nos études, dit-elle. Combien de temps cela fait-il ?
— Cent quatre-vingt deux ans.
— Cent quatre-vingt deux ans, murmura-t-elle. Et pourtant, je suis sûr que derrière ta barbe tu es pareil au jeune Nax qui voulait explorer le monde. On ne peut pas dire la même chose à mon sujet.
— Que s’est-il passé ?
— J’ai cru que le sang de ma mère me protégerai, mais j’avais tort. Ces livres te rongent, Nax. Elfe ou pas, ils te rongent jusqu’à la mort.
Anaximandre garda le silence.
— Enfin, tu n’es pas revenu pour parler de ça, je suppose. De quoi as-tu besoin ?
— Rosa, je suis désolé de ne pas être revenu.
— C’est pas grave, Nax.
Ses yeux semblaient dire le contraire.
— Ça va, je t’assure. C’est moi qui ait choisit ce poste, je ne le regrette pas et la dernière chose dont j’ai besoin, c’est de ta pitié. Dis-moi ce qui t’amène.
— Il y a un problème, à Rivetendre. L’un des mages que j’ai formé, avec Tragodor, a trouvé un livre similaire à ceux que tu gardes. Il a tenté d’invoquer un diable.
Elle sourit.
— Et tu as besoin de moi pour réparer vos erreurs. En cela, tu n’as vraiment pas changé.
— Je sais, dit-il honteusement.
— As-tu touché au livre ?
— Non, il s’est prit un coup d’épée mais nous l’avons laissé par terre ensuite.
— Bien. As-tu vu les incantations ?
— Il créait un anneau de sang.
— C’est la méthode la plus facile. Bien, je vais venir, tu me montreras tout ça.
— En fait, je pensais te laisser avec Bruine de Rivetendre, la protectrice. Tu te souviens de tes cours d’histoires ?
— Tu oses me poser la question, plaisanta-t-elle, alors que tu trichais dès que tu en avais l’occasion ? Cela dit, je suis curieuse de voir l’ascendance de la duchesse et du djinn.
— Elle te plaira, je pense, c’est tout à fait ton type.
— Je ne suis pas sûre d’être le sien, dans cet état.
Elle sourit tristement.
— Que vas-tu faire, pendant ce temps ? poursuivit-elle.
— Je dois retrouver Tragodor.
— Il pourrait être mêlé à ça ?
— Je l’ignore, mais je veux en avoir le cœur net.
— Bien. Laisse-moi une heure pour faire mes affaires et prévenir ma hiérarchie.
— Merci, Rosa.
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