49. Conseil de mères

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Jade

Je ferme la porte du cabinet et sursaute en tombant nez à nez avec Liz. Elle me donne un coup de main depuis que j’ai rouvert, à la demande du Conseil, pour éviter que je ferme à cause de l’épuisement. Finalement, il faut croire que Séverine m’a un peu écoutée.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu as fini il y a une heure !

— Je t’attendais pour rentrer.

Je jette un œil en direction de la bibliothèque et soupire. Pour une fois que j’avais une bonne raison de voir Malcolm…

— Donne-moi quelques minutes, je dois aller chercher un livre vite fait, j’ai fait une demande au Conseil, c’est enfin validé.

— Ok, je te suis.

— Si tu veux, mais tu ne pourras pas descendre au sous-sol, dans tous les cas…

Bon sang, est-il possible d’avoir juste quelques minutes pour se bécoter tranquillement ? J’en ai marre d’être seule, éloignée de lui.

Je traverse la rue, Liz sur les talons, et entre dans la bibliothèque. Murielle a fini de bosser, c’est bien dommage, il faut que je me dirige vers le comptoir du beau poète dont le sourire qui naissait sur ses lèvres disparaît bien vite en voyant que je ne suis pas seule.

— Bonsoir, Malcolm… J’ai besoin d’un livre stocké loin des yeux innocents, souris-je en lui tendant mon autorisation. J’espère qu’on va vite le trouver dans le bazar du sous-sol, je suis fatiguée et j’ai hâte de rentrer chez moi.

Ou pas… J’espère qu’on va vite le trouver et se bécoter comme des ados, surtout.

— Bonsoir les filles. C’est à cette heure-ci que vous terminez le travail ? Et c’est quoi ce livre que tu cherches ? demande-t-il en examinant le papier. Ah oui, je vois, il faut aller dans la réserve. Liz, tu nous attends ici ? C’est une personne à la fois dans la réserve.

— Je vous attends, oui. Ne traînez pas trop quand même.

— Compte sur moi, soupiré-je théâtralement, je n’attends qu’une chose : retrouver mon lit.

Je m’oblige à ne pas trop détailler Malcolm qui contourne le comptoir et me fait signe de le suivre, mais c’est peine perdue quand il me passe devant. J’ai développé une réelle obsession pour son dos et ce fessier bombé… Vive le vélo, c’est tout ce que j’ai à dire !

Je dévale les escaliers à sa suite et glousse quand il m’attrape par la taille et me plaque contre la porte qu’il vient de refermer.J’ai l’impression que nous ne nous sommes pas vus depuis une éternité et je savoure de retrouver la chaleur de son corps, les caresses de ses mains et la gourmandise de ses lèvres sur les miennes. Bon sang, je pourrais mourir pour ces moments en tête à tête, c’est trop bon.

— Un bonjour comme je les aime, murmuré-je en dessinant sa mâchoire de mes lèvres.

— Et moi, j’adore les baisers que tu me parsèmes, répond-il en venant picorer mon cou.

— Si seulement Liz n’était pas en haut, soupiré-je, le corps parcouru de frissons sous ses baisers.

— Oui, quelle idée de la ramener ici ! me réprimande-t-il gentiment.

— Crois-moi, si j’avais eu le choix, elle ne serait pas là et tu serais déjà tout nu, Beau Poète !

— Il faut qu’on se trouve un petit temps rien que tous les deux, très vite. Je meurs d’envie de sentir ce joli popotin tout nu entre mes doigts.

— Ben voyons… Quel obsédé !

Dit-elle… La pire des hypocrites, étant donné que mes mains sont glissées sous son tee-shirt et caressent sa peau sans même que je m’en sois rendu compte.

— Tu es sûre qu’on n’a pas le temps ? me demande Malcolm dont le souffle se fait court.

— Tu as vu la tête que j’ai après un orgasme ? pouffé-je. Liz va nous griller dans la seconde. Il va falloir être patient… Samedi soir au moulin ?

— J’y serai. Et n’oublie pas de ramener ton joli sourire, j’en aurai besoin pour éclairer ma soirée.

Je lève les yeux au ciel sans pouvoir m’empêcher de sourire, et me love contre lui pour profiter encore quelques secondes de cette bulle délicieuse que je n’ai aucune envie de percer. C’est trop doux, trop agréable, comme un pansement cicatrisant mes plaies du moment. En tout cas, je quitte la bibliothèque bien plus sereine et de meilleure humeur, même si j’aurais vraiment aimé passer plus de temps avec lui.

Pourtant, quand je gare ma voiture devant la maison, je déchante un peu. Mon planning bien établi, à savoir douche, repas, dodo, est chamboulé pour la soirée. Nous sommes accueillies par mes mères qui prennent un malin plaisir à me serrer dans leurs bras comme un vêtement à essorer.

— Tu as changé de parfum, Moune ? grimacé-je en me bouchant le nez tandis qu’elle me relâche enfin.

— Mais non, enfin, qu’est-ce que tu racontes ?

— Il sent fort, t’as dû mettre la dose. Qu’est-ce que vous faites ici ?

Je déverrouille la porte et leur fais signe d’entrer. Autant dire qu’elles vont s’attarder ici pour la soirée et que je n’aurai pas mon quota d’heures de sommeil.

— Il faut qu’on parle, Angelote.

Alors là, ça sent mauvais… Est-ce que je peux encore fuir ? J’en doute. J’en viens à prier pour que mon téléphone sonne pour une urgence, mais évidemment, elles n’arrivent que la nuit quand je suis en plein rêve.

— Bon… je vais aller chez Mathilde, ce soir, et vous laisser en famille, grimace Liz qui m’abandonne lâchement. Bonne soirée à toutes les trois !

— Liz !

Trop tard, la porte claque déjà. Merci du soutien, l’amie.

— Je peux prendre une douche avant ? Et puis, puisque vous êtes là, vous n’avez qu’à préparer le dîner pendant ce temps.

— Oui, mais ne nous fuis pas trop longtemps, Jadounette. On a vraiment besoin d’échanger avec toi.

Je soupire en allant m’enfermer dans la salle de bain. Honnêtement, je suis à deux doigts de fuir par la fenêtre, juste pour éviter la conversation. Je sais ce qu’elles veulent, c’est sûr. Rares ont été les fois où mes mères se sont montrées aussi sérieuses toutes les deux, et les échanges n’ont jamais été agréables à vivre. Alors je traîne un peu sous la douche, j’avoue. Je cherche le courage d’affronter mes mamans, d’écouter leurs mots et de ne pas me braquer trop vite.

Quand je regagne la pièce de vie, emmitouflée dans mon peignoir, je découvre que la table est mise et m’installe en face d’elles. Elles ont rapidement préparé une petite salade et je me sers sans attendre, même si elles m’ont coupé l’appétit.

— Je vous écoute, mais sachez qu’on dirait deux dragons, vous me faites flipper.

— Tu sais qu’on t’aime et qu’on ferait tout pour toi, Jade. Et là, c’est le moment où on doit intervenir pour te protéger.

— Je n’ai plus dix ans, je n’ai pas besoin que vous me protégiez contre la petite péteuse de la cour de récré qui s’amuse à me tirer les cheveux.

— Là, ce n’est pas d’une petite péteuse dont on parle, mais du Conseil. On a peur pour toi ! Il faut que tu arrêtes tes bêtises avec le bibliothécaire, sinon tu vas finir comme les deux derniers recyclés.

— Vous déconnez ? Mes moments avec Malcolm sont les seuls qui me permettent de ne pas me jeter en pleine mer et me laisser couler, en ce moment ! Hors de question que j’arrête, plutôt me pendre.

Oui, j’aurais peut-être dû faire du théâtre. Enfin, ce n’est pas quelque chose qui se fait ici, mais j’ai lu des articles intéressant sur les acteurs et autres rôles sur le Continent, ça m’a donné envie de regarder des films. Bref, j’avoue que j’en rajoute, mais à peine. Je suis sérieuse, il n’y a qu’avec lui que je me sens moi-même et que je profite vraiment.

— Non, on ne déconne pas. Tu prends des risques inconsidérés ! Si tu te fais prendre, tu seras recyclée, et nous aussi parce qu’on ne laissera pas partir notre petite fille chérie. On aurait trop de chagrin à continuer sans toi. S’il te plaît, entends la voix de la raison.

Je soupire et repousse mon assiette avant de croiser les bras sur ma poitrine. Je n’ai aucune envie d’arrêter tout ça, moi, mais ce qu’elle vient de me dire me remue plus que je ne veux bien l’admettre.

— Donc, vous préférez que je joue la petite doc toute sage, parfaite et attentive aux demandes du Conseil, mais foncièrement malheureuse ? Plutôt que de vivre quelque chose de magique et qui m’épanouit pleinement ? C’est ça que vous voulez pour votre fille ?

— Nous, ce qu’on veut, c’est que tu ne te mettes pas en danger… et là, vous risquez gros, tous les deux. Le sort de Zoé et Oliver n’a pas refroidi vos ardeurs ?

— Bien sûr que si, soufflé-je. On fait encore plus attention qu’avant, mais… ça ne change rien au fait que je ne veux pas arrêter. Ou que je ne peux pas. Je… j’ai la trouille, tous les jours, mais c’est plus fort que moi, vous comprenez ?

— C’est à ce point-là ? s’inquiète Moune, attendrie.

— Bien sûr que c’est à ce point-là ! Vous me voyez prendre des risques inconsidérés juste pour tirer mon coup ? Je… je suis dingue de lui, murmuré-je en détournant le regard.

— Ouais, parce qu’un dildo, c’est quand même plus dur et ça s’épuise pas aussi vite, grogne Mounette. Tu es folle, ma chérie, et tu nous rends folles d’inquiétude pour toi. Je n’en dors plus…

— Eh bien, vous auriez sans doute dû serrer davantage la vis en m’élevant… Et je peux vous assurer qu’un dildo n’a rien à envier à… enfin, bref, je n’en viendrai pas à discuter de ça avec vous. Je vous assure qu’on fait très attention pour ne pas nous faire prendre.

— Tu vois, Moune, je te l’avais dit qu’il aurait fallu être plus sévères ! Même notre fille le dit !

Je lève les yeux au ciel et picore dans mon assiette en les observant. Je comprends qu’elles puissent s’inquiéter pour moi, vraiment, mais je n’ai pas envie de devoir choisir entre elles et lui. J’ai plus que conscience des risques que je prends, mais je préfère vivre un an avec plein de petits moments de bonheur, que vingt en devant rester à distance.

— Vous savez, continué-je, vous n’avez aucune idée d’à quel point je suis bien loin de la petite citoyenne parfaite. Il y a bien des fois où j’aurais pu finir recyclée, Malcolm n’est pas ma première bravade.

— Quoi ? Tu as eu d’autres mecs ? Mais tu ne nous as jamais rien dit ! s’emporte Mounette toujours prompte à me juger.

— Non, mais j’ai hébergé Zoé, par exemple, alors que le Conseil la cherchait. J’ai aussi fermé le cabinet pendant deux jours sans autorisation. Pendant ma formation, j’ai fait l’école buissonnière plusieurs fois, j’ai lu des livres interdits, j’ai piqué des fruits au magasin, des médicaments dans la réserve. Il faut que je continue ? Je ferai peut-être mes mémoires, un jour, tiens, plaisanté-je.

— Franchement, si ce n’est pas ta fille biologique, c’est à n’y rien comprendre ! ricane Moune en regardant sa femme qui lève les yeux au ciel. On dirait que tu fais comme Mounette quand elle était jeune : bêtise sur bêtise !

— Sérieux ? Avant de devenir aussi sévère, t’étais une rebelle ? m’esclaffé-je. C’est la meilleure, celle-là !

— Oui, le Conseil a menacé de la recycler plusieurs fois, ça l’a un peu calmée, pouffe Moune qui se prend une petite tape de mon autre maman.

— Bon, eh bien, je peux vous dire qu’avec Mathilde, ado, on a déjà piqué le bâteau de la vieille Marie-Anne plusieurs fois, je suis plus à ça près, ris-je en lançant un regard provocateur à ma mère-plus-si-coincée-que-ça, finalement.

— Ah si tu savais ma fille, ce bateau, je crois qu’on l’a tous déjà piqué ! se confie Mounette. Demande à ta mère les folies qu’on y a faites !

— Je ne veux pas savoir, grimacé-je en levant les mains devant moi. Stop.

Nous rions toutes les trois avant de reprendre un peu notre sérieux. Je suis bien consciente qu’elles s’inquiètent pour moi et je m’applique à les rassurer au maximum sans pour autant changer d’avis. Bien sûr, j’ai la trouille, et ce qui est arrivé à Zoé et Oliver me fait forcément me poser des questions, douter, craindre davantage d’être prise sur le fait, mais il me suffit de croiser le regard de Malcolm, de le voir me sourire, de me lover contre lui, pour que mes peurs se taisent. C’est comme ça, non négociable.

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