60. Le futur père au bord de l’impair
Malcolm
Je profite de ma pause pour me rendre dans mon bureau où j’ai accumulé ces derniers jours pas mal de livres sur la géographie de l’île et des mers environnantes. J’ai aussi mis de côté quelques romans d’aventure où des héros développent des plans d’évasion ou de fuite des mains des méchants. Je sais que ces derniers ne sont pas des sources très sûres pour élaborer une stratégie et réussir à m’enfuir de l’île, mais je ne vois pas d’autres pistes pour le moment. En tous cas, j’essaie de savoir à quelle distance se trouve le continent et quelle route suivre si jamais on venait à ne pas prendre un des bâteaux qui fait la liaison de manière régulière mais qu’on cherchait à rejoindre une terre plus accueillante pour un couple comme nous de manière autonome.
Aujourd’hui, je me plonge dans un ouvrage vraiment ancien, où certains de nos ancêtres ont consigné leurs observations sur les voyages effectués. L’information n’est pas récente, mais je sais qu’elle est plus fiable que tous ces nouveaux ouvrages où plus aucune mention d’autres territoires n’est faite. Si j’en crois cette historiographie sommaire, le moment du grand basculement entre une information libre et réfléchie et la dictature du secret qui s’est instaurée par la suite, se déroule il y a soixante à quatre-vingts ans. Heureusement que les livres de géographie ne sont pas considérés comme des ouvrages polémiques et que je peux toujours les consulter librement ! Les informations que j’y trouve ont l’air correctes mais ne sont pas très rassurantes. Le continent est au moins à une semaine de bateau de distance. Si on n’est pas guidé par quelqu’un qui a l’habitude, il y a de quoi finir nos jours au beau milieu de l’océan, sans autre perspective qu’une mort lente de soif, de faim ou d’insolation. Réjouissant.
Alors que je suis plongé dans l’étude des cartes, quelqu’un frappe à ma porte. Je me demande qui vient me déranger ainsi pendant ma pause et me lève, à contrecoeur, quand le malpoli réitère ses coups qui m’empêchent de me concentrer.
— Oui, c’est pour quoi ? demandé-je, m’arrêtant dans mon geste en constatant que c’est nul autre que Marco qui se présente, la revue de l’île entre les mains.
Que me veut-il ? Et pourquoi tendre vers moi la revue comme ça ? Il y a quelque chose d’incriminant contre Jade ou moi ?
— Salut, Malcolm. Je te dérange ? Je voulais juste, comment dire... J’ai lu ton poème, je le trouve vraiment magnifique.
Il arrive avec des compliments, ça ne se fait pas de confirmer qu’il me dérange, si ?
— Ah oui ? Il te plaît tant que ça ? Vas-y, entre, je suis en pause, mais je peux bien t’accorder quelques minutes.
— Oui, je le trouve inspirant et… on voit que tu as hâte de devenir père, continue-t-il en venant s’asseoir.
Il a raison sur ce point, mais pourquoi est-ce que cela le met dans cet état ? Je l’observe, intrigué, alors qu’il ouvre la revue à la page du poème et le relit, l’air vraiment ému. Je m’approche et passe derrière lui pour relire à mon tour ma création qui ne me semble pas si formidable que ça. Les mots sont certes bien choisis, mais je ne vois pas pourquoi ce petit texte lui fait autant d’effet.
Le plaisir d’un futur père
Un petit être est apparu, je ne sais pas comment
Mais je ne serai pas déçu, ce sera un vrai enchantement
Son existence même est le début d’une nouvelle aventure
Celle de devenir des parents, merci à notre Mère Nature
C’est une nouvelle bien trop surprenante
Elle fait peur, elle est vraiment inquiétante
Elle remet tout en question, chamboule mon monde
Redéfinit mes priorités et mes envies en une seconde
Et pourtant, cette nouvelle responsabilité qui bouleverse mon univers
Je l’attends avec une impatience presque cavalière
Jamais je n’aurais cru que les étoiles s’aligneraient aussi parfaitement
Le long de cette Voie Lactée qui me conduit à toi, mon Enfant
A toi, petit être pas encore arrivé
Je suis prêt à t’accueillir et à te bercer
Je ferai tout pour te protéger et te guider
Dans cette vie à venir, si tu savais comme je vais t’aimer
Ce texte a été un vrai exercice de style car j’ai voulu témoigner de la bonne nouvelle qui occupe mes pensées sans toutefois donner des éléments pouvant laisser croire que ce bébé qui est en train de grandir ne le fait pas dans des éprouvettes ou des machines mais au sein même de la femme que j’aime. Je suis assez content du résultat mais je ne comprends toujours pas ce qui a motivé Marco à venir me rejoindre dans mon bureau.
— Tu l’aimes donc tant que ça, ce petit poème ?
— Il est magnifique, oui. Tu t’es officiellement casé ? Je n’ai pas eu l’info…
— Ah non, j’ai écrit ces vers selon l’inspiration du moment. Tu sais, des fois, tu penses à quelqu’un ou quelque chose et tout à coup, c’est comme si ton cerveau se mettait à te parler et tu dois écrire les mots avant qu’ils ne s’envolent et disparaissent à jamais. C’est un peu ce qu’il s’est passé pour ce petit texte sans prétention.
— Je vois… Ça t’a donné envie de devenir père, alors ? Tu n’avais pas l’air si pressé que ça quand on se fréquentait.
Je l’observe un instant et une folle idée me vient en tête. Peut-être que si je la joue finement, je vais pouvoir obtenir des informations de sa part ? Même si c’est risqué, j’ai très envie de tenter le coup et d’essayer de lui faire lâcher des éléments sur ce port et la sécurité qui y règne. Le tout reste de savoir si le jeu en vaut la chandelle.
— Eh bien, disons que je me suis mis à y réfléchir et que l’idée chemine lentement dans ma tête. Mais, tu sais, dans notre monde qui a l’air si fragile, c’est compliqué. On est quand même en équilibre instable et on pourrait être amenés à manquer rapidement de ressources. Ça fait un peu peur pour l’avenir…
Je suis passé derrière lui et j’ai posé mes mains sur ses épaules pour le détendre un peu et essayer de le pousser à la confidence. Avec de la chance, je vais réussir à extorquer quelques informations utiles. Il faut juste que je dose bien mon jeu d’attraction sans tomber dans ses bras. Un vrai défi.
— Pourquoi ? On fait tout ce qu’il faut pour que ça se passe bien. Le Conseil bosse d’arrache-pied pour nous garantir une vie confortable, Malcolm. Il ne prendrait jamais le risque de nous donner des enfants si nous risquions de manquer de quoi que ce soit.
— Tu es sûr ? Je ne sais pas, je vois dans mes livres que l’économie ici est fragile. On est quand même bien dépendant de ce bateau qui vient tous les six mois. Tu imagines ce qu’il se passerait s’il venait à ne pas ramener ce dont nous avons besoin ? Je ne sais pas comment tu fais pour être si serein.
Je surjoue un peu les choses, mais je lui masse désormais les épaules tout en lui caressant la nuque.
— Arrête de lire tes bouquins et fais confiance au Conseil. Ce bateau n’a jamais manqué un ravitaillement, à ce que je sache, il est fidèle au poste. Et le Conseil a toujours un atout dans sa manche, au pire, il trouvera une solution. Et donc, tu as trouvé ta moitié pour accueillir ce bébé qui te fait envie ? me demande-t-il en se tournant vers moi.
Il ne lâche pas grand-chose et j’ai un peu de mal à savoir comment continuer à avancer pour qu’il me donne des informations confidentielles et qui pourraient nous aider dans notre fuite.
— Disons qu’il y a quelques possibilités que j’explore, si tu vois ce que je veux dire.
Je me penche vers lui et dépose un petit baiser dans son cou avant de reprendre comme si de rien n’était.
— Tu vois, pour moi, un compagnon idéal, c’est quelqu’un qui est là pour moi et le bébé, qui prend sa part dans la vie de tous les jours… et qui est bon au lit, aussi, mais ça, je n’ai pas d’inquiétude te concernant ! Tu sais tout à fait te servir de ton mât de cocagne ! Par contre, j’ai entendu dire de la part d’autres membres de la garde qu’on vous envoyait souvent dans des missions commandos au sud de l’île. Ça fait peur aussi, ça. Et si tu revenais blessé d’une telle expédition ?
— Aucun risque sur ces missions, crois-moi, rit-il. C’est du gâteau, là-bas, presque ennuyeux.
— Du gâteau ? Mais tu es fou ! J’ai l’impression que quand vous partez vous entraîner, vous y allez à cinquante et que vous y restez des mois !
— C’est parce qu’on tourne. C’est loin, quasiment un jour de marche. Donc on reste une semaine sur place, c’est tout.
Il n’est pas bavard, mon ex, c’est fou. Peut-être qu’il est déjà trop excité et qu’il n’a plus les idées claires ? Je reprends un peu de distance et me demande comment relancer la conversation.
— Une semaine, ce n’est pas bien long, finalement. Pour le bébé, si un jour je me décide, tu seras le premier informé, sois-en assuré, ajouté-je en lui souriant.
Marco prend ce sourire pour une invitation et il se lève et s’approche de moi en ouvrant les bras. Je crois qu’il veut m’embrasser, cet abruti. Et vu que je l’ai chauffé, il doit se dire que je suis open, mais là, c’est clair que je n’ai pas du tout envie de lui. Cependant, comment faire pour le repousser ? Je le laisse m’enlacer, incapable de trouver une raison de lui résister et sens ses lèvres se poser sur les miennes alors que sa verge tend déjà son pantalon. Je sens que je vais passer à la casserole, que je vais devoir soulager ses besoins maintenant qu’il est parti dans son excitation. J’essaie quand même de reprendre un peu de distance.
— On dirait que tu veux candidater au poste de partenaire pour un bébé, toi, ris-je en faisant glisser mon doigt sur son torse.
Je sais qu’il adore ça, mais moi, ça me permet surtout de maintenir une certaine distance bienvenue dans les circonstances actuelles.
— Disons que ça me tenterait bien, oui… Que dois-je faire pour être certain d’être en haut de la liste, Malcolm ?
— Je ne sais pas si ça peut venir de toi. Tu m’as déjà donné de belles preuves et de beaux arguments, commencé-je avant de me stopper car il est en train de déboutonner sa chemise. Tu veux vraiment me faire craquer, on dirait !
— Eh bien, on a assez parlé, non ? Ça fait trop longtemps que nous n’avons pas partagé un tête-à-tête, toi et moi.
— C’est vrai en effet et le spectacle est toujours aussi… époustouflant, je dirais.
Il se débarrasse de sa chemise et s’approche vers moi, torse nu, sa musculature bien visible. Une nouvelle fois, ses lèvres viennent s’emparer des miennes et sa main se pose sur mon entrejambe qui réagit à ces caresses si familières. Je crois que j’ai joué et que j’ai perdu. Non seulement, je n’ai glâné que peu d’informations, mais il va falloir que je le satisfasse si je ne veux pas éveiller inutilement ses soupçons. C’est pour cela que je m’agenouille devant lui et abaisse son pantalon. Il n’y a pas à dire, son sexe est magnifique, et j’aime sentir comme il est dur quand je le prends en main. Je n’éprouve plus aucun désir pour lui mais je sais reconnaître un bel amant quand j’en vois un. Marco a tout ce qu’il faut pour plaire et, dans d’autres circonstances, je pense que nous aurions pu finir ensemble. Je me souviens encore des sensations lors de nos jeux érotiques… Mais ça, c’était avant de croiser le chemin de Jade et de tomber amoureux de la plus merveilleuse des femmes.
Marco n’a pas l’air de se rendre compte de mon trouble et de mon absence d’enthousiasme. Il donne des coups de bassin et essaie de se rapprocher de ma bouche car il adore comme je sais me servir de ma langue. Alors que je me résous à poser mes lèvres sur sa virilité et qu’il pousse un premier gémissement, quelqu’un frappe à la porte. Sauvé par le gong. Rapidement, je me recule et m’éloigne de Marco.
— Oui, c’est pour quoi ? demandé-je en criant à travers la porte.
— Malcolm ! La pause est finie, il y a du monde qui t’attend !
— J’arrive, j’arrive ! Donne-moi encore deux minutes, je finis avec Marco.
Lui s’est déjà rapproché de moi et, dans mon dos, m’enlace en posant ses mains entre mes jambes. Vu l’érection que je sens contre mes fesses, je crois que la situation l’excite plus qu’elle ne le calme.
— Non, Marco, je suis désolé, mais il va falloir en rester là. Je dois vraiment reprendre mon poste, sinon Murielle ne me pardonnera jamais. Je suis déjà en retard, continué-je en me dirigeant vers la porte alors qu’il me colle.
— Oh allez, Malcolm, il n’y en a pas pour longtemps ! On s’en fout d’elle ! Tu ne peux pas me chauffer comme ça et me laisser en plan.
— Si tu veux rester en haut de ma liste, il va falloir patienter, Beau Gosse, dis-je en me forçant à sourire et en attrapant sa queue qui tressaute entre mes doigts. Alors, si tu veux avoir le plaisir de m’avoir à nouveau dans ton lit, je te conseille de patienter. Un peu de frustration ne te fera pas de mal !
Sur ces paroles, je relâche la pression et quitte la pièce aussi rapidement que possible. Le connaissant, je suis convaincu qu’il ne va pas résister à la tentation de se faire plaisir, cela me dégoûte d’avance et j’espère seulement qu’il aura la décence de nettoyer après sa petite affaire. Je l’ai échappée belle et me dis que je suis complètement fou de jouer avec le feu comme ça. Mais bon, il a quand même confirmé qu’il y a des opérations dans le sud, qu’il y a des relèves toutes les semaines… Bientôt j’aurai quitté l’île et laissé tout ça derrière moi. Fini de m’avilir avec des gars qui ne pensent qu’à coucher, je pourrai m’occuper de Jade et ne plus prendre de tels risques insensés comme ça pour obtenir des bribes d’informations. Merci Murielle de m’avoir permis d’échapper au pire !
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