66. La révolte de la blonde
Malcolm
Nous sortons du bois après une nuit sans sommeil, nous ne nous sommes même pas arrêtés pour dormir, l’important est que nous retrouvions nos lieux de vie avant que le Conseil n’ait eu le temps de mener son enquête et ne se rende compte de notre absence. Je ne sais pas comment je fais à avancer car tout mon esprit n’est obnubilé que par une seule vision, celle de Jade emmenée par ce Géant qui va hanter mes nuits pendant tout le reste de ma vie, il ne peut en être autrement.
Mais comment avons-nous pu être aussi naïfs et inconscients ? Comment ai-je pu faire prendre tant de risques à la femme que j’aime et l’abandonner ainsi aux griffes acérées du Conseil ? Je me demande si elle est encore vivante ou s’ils l’ont déjà recyclée. Et si elle est vivante, où est-elle ? Dans une des cellules du Conseil, sûrement. Mais c’est impossible d’y accéder sans les autorisations adéquates et je ne me vois pas demander tranquillement l’accès à la pièce où elle se trouve sous peine d’aller la rejoindre sans rien pouvoir faire pour nous sauver.
Liz est toujours derrière moi. A plusieurs reprises, elle m’a empêché de faire demi-tour. Elle m’a poussé quand, pris d’un accès de stress ou d’angoisse, je me suis stoppé. C’est elle aussi qui m’a convaincu qu’il valait mieux retourner au centre ville le plus rapidement possible afin de prendre le temps de réfléchir à la suite, une fois à l’abri. Je repense à notre fuite et je crois que si elle n’avait pas été là, ça fait longtemps que j’aurais été capturé. Heureusement qu’ils n’ont pas de chiens pour nous retrouver et que je connais la forêt beaucoup mieux qu’eux. Cela nous a permis de prendre rapidement de la distance et d’échapper à leurs recherches. A un moment, Hugo, le pote de Marco, est passé très près de nous. Liz, qui l’avait entendu approcher, m’a attiré avec elle dans un fossé et nous sommes restés immobiles le temps qu’il s’éloigne. Je ne sais pas comment on a fait, mais on a réussi à échapper à toutes leurs tentatives de nous retrouver et, alors que j’enfourche déjà mon vélo pour rentrer chez moi, elle m’arrête en tirant sur mon bras.
— Eh, Malcolm, bordel, tu crois que tu vas où comme ça ? Avec ce qu’il s’est passé, ça va vite grouiller de gardes partout. Il faut qu’on se mette d’accord maintenant sur ce qu’on va faire, sinon on ne pourra plus communiquer !
Je tombe de mon vélo et me relève en m’énervant contre Liz.
— Mais tu crois que tu fais quoi, là ? On n’a pas déjà assez de problèmes comme ça ? Ce n’est pas en me blessant qu’on va arriver à quelque chose ! Il me faut être entier si je veux pouvoir sauver Jade !
— Faut aussi que tu réfléchisses avec ta tête et pas avec ton cœur, là, le poète ! Tu ne peux pas agir sans peser le pour et le contre, sinon tu vas finir avec elle, mais certainement pas libre !
— J’ai plus de tête et mon cœur est en feu. J’ai mal partout de la savoir aux mains du Conseil. Bordel, il faut que j’aille la délivrer avant qu’ils ne la recyclent ! Laisse-moi partir ! crié-je presque en essayant de me dégager de sa main qu’elle a reposée sur mon bras.
— Calme-toi, sinon je vais te gifler pour te remettre les idées en place ! gronde-t-elle en se rapprochant de moi. Il faut établir un plan. Comment tu veux entrer au Conseil, la trouver, la récupérer et partir sans te faire griller ? Et pour quoi faire, ensuite, hein ? Votre vie ici est foutue si on ne réfléchit pas à ce qu’on va faire.
Elle ne m’a pas frappé mais ses mots ont le même effet que la gifle qu’elle me promet et je m’effondre au sol, à l’endroit même où je viens de tomber quelques instants avant.
— Tu veux faire quoi, alors ? pleurniché-je, complètement désespéré. A part prendre d’assaut le Conseil, je ne vois pas de solution. Et si c’est moi qui lance les choses, ils vont tout de suite griller que c’est moi le père… Je… C’est mort, Liz. Je crois que c’est la fin de notre histoire.
— Je vais aller voir ses mères. Il faut qu’on arrive à ébruiter que Jade a été arrêtée et qu’on motive les gens. Tout le monde l’aime bien, Malcolm, et… je me dis que personne ne peut vouloir qu’on fasse du mal à une femme enceinte, non ? Il faut qu’on ébruite nous-même les choses avant que le Conseil ne le fasse à sa sauce. T’en penses quoi ?
— Et ça va changer quoi d’ébruiter les choses ? Ils vont tout étouffer et la vie va reprendre comme avant. Ce sont tous des moutons sur cette île. Je te jure que si j’apprends qu’elle est recyclée, je fais un malheur au Conseil. Tant pis pour les conséquences.
— Tu crois qu’ils vont recycler une femme enceinte ? Je… non, impossible, souffle-t-elle. C’est à nous de les décider, Malcolm. Je suis sûre que les femmes peuvent être touchées par ça, et tu es quelqu’un de respecté chez les hommes, non ? On doit insuffler un mouvement de rébellion commun, tu ne crois pas ?
— Un mouvement de rébellion ? Comme le dernier que j’ai fait où je me suis retrouvé seul ? Comment on fait pour mobiliser tout le monde, Liz ? Ils ont tellement peur qu’ils sont incapables de bouger ou de tenter quoi que ce soit contre le Conseil ! C’est horrible, j’ai l’impression que tout est déjà perdu d’avance. J’ai été trop con d’attirer Jade dans ce traquenard.
— C’était perdu d’avance à la seconde où vous avez décidé de plonger dans le grand bain tous les deux, soupire-t-elle. Mais Jade ne va pas se laisser faire, et de notre côté, il faut qu’on s’organise aussi. Les alliés certains, déjà. Les mères de Jade vont forcément vouloir intervenir. Mathilde… je me charge d’elle. Et elle a des amies qui critiquent pas mal le Conseil une fois qu’elles ont bu l’eau de vie de ma fermière. De ton côté, tu peux compter sur quelqu’un ?
Je réfléchis un instant à ce qu’elle est en train de me dire. Je n’en reviens pas de l’énergie qu’elle a encore et de la foi qui se dégage d’elle. La jolie blonde est accroupie devant moi et s’est saisie de mes mains, j’ai la nette impression qu’elle veut me transmettre son envie de se battre et ça me fait un bien fou. Non seulement cela me calme, mais cela me permet aussi de sortir un peu du désespoir dans lequel je me suis enfermé ces dernières heures. Et puis, quitte à être recyclé, autant le faire avec les honneurs, non ?
— Oui, je connais plusieurs personnes qui sont prêts à me soutenir contre le Conseil. Il y a Joel, l’ingénieur, tous mes ex sauf Marco... Mais comment s’assurer qu’ils ne font pas que nous dire oui ? C’est bien gentil de dire qu’ils sont prêts à nous aider, mais concrètement, on va jusqu'où ?
— On bloque l’île. C’est comme ça qu’on fait, chez moi. Quand les décideurs font n’importe quoi, on arrête de bosser et on emmerde le monde. Fais pas cette tête, je te jure que ça marche. Et puis, s’il faut, on monte tous au Conseil. Franchement, tu crois qu’ils vont pouvoir recycler tous les rebelles ? Je pense qu’on peut créer un mouvement suffisamment fort pour les pousser à calmer le jeu, non ?
— Je ne sais pas si ça marchera… mais j’ai pas mieux. Tu crois que les mères de Jade ne vont pas être arrêtées et qu’elles pourraient lancer le mouvement ? C’est ce qui aurait le plus de poids, non ? Et moi, je relaie du côté des hommes en essayant de ne pas me mettre trop en avant. Enfin, s’il faut me mettre en avant, vu notre situation, je vais le faire, je n’ai pas le choix.
— Je crois qu’il ne faut pas qu’on tarde à faire les choses, mais que ça peut marcher. Quant à toi… effectivement, c’est un risque à courir. Tu es prêt à assumer les conneries de ton super-spermatozoïde ?
Je me relève, emporté par une nouvelle énergie. C’est comme si me mettre en mouvement pour venir en aide à la femme que j’aime était le déclic dont j’avais besoin pour arrêter de me lamenter sur mon sort. Comme si cette idée qu’on essayer de faire quelque chose était suffisante pour m’insuffler le courage que j’ai perdu.
— Je suis le fabricant du super-spermatozoïde, j’assume, ça fait partie de la garantie ! affirmé-je alors qu’elle se redresse aussi. On va tous se mobiliser pour elle et tant pis si nous devons tous finir recyclés. Les membres du Conseil, quand ils seront seuls sur l’île, ils verront bien si on peut la gérer et en faire quelque chose ! Il faut qu’ils se mettent à nous écouter. Et à accepter que respecter la Nature, ça ne veut pas forcément dire les hommes d'un côté, les femmes de l’autre. Il faut qu’on leur montre qu’un autre monde est possible et que nous sommes trop nombreux pour nous faire taire !
Emporté par mon dynamisme, j’ai levé le poing en l’air et Liz, amusée, le rabaisse avant de répondre à ma diatribe.
— Eh bah putain, il était temps ! J’ai cru qu’ils t’avaient coupé les couilles par la simple pensée, là-bas, sérieux ! glousse-t-elle. Allez, Joli Cul, on va y arriver, j’en suis sûre.
— Excuse-moi, Liz. C’est toi qui me redonnes la foi. Et si ça ne marche pas, tout ça, au moins, je serai recyclé avec les honneurs ! Merci, Jolie Blonde. Et fais gaffe à tes fesses en rentrant. Pas sûr que Mathilde me pardonne si je me mets à faire disparaître toutes ses conquêtes !
— C’est toi qui dois faire gaffe à ton cul, surtout ! Entre les mères de Jade, Mathilde… et moi, t’as intérêt à gérer !
Pris d’un élan d’affection, je la serre contre moi à sa grande surprise. Un peu tendue, elle se relâche rapidement et nous partageons quelques secondes l’un contre l’autre. C’est fou comme ça fait du bien de ne pas être seul pour affronter la situation. Et c’est incroyable comme Liz a réussi à garder la tête froide malgré les événements. Je regrette de la mêler à nos histoires mais je suis content de son soutien et de sa présence. Sans elle, je ne sais pas où on serait.
En enfourchant mon vélo, je commence à faire mes comptes. Nous sommes déjà deux, un homme, une femme. Il suffit que chacun de nous arrive à convaincre quelques personnes pour qu’ensuite, ça fasse un effet boule de neige et que la quasi-totalité de l’île se joigne à nous. Vu à quel point la situation nous touche sur le plan personnel, Liz et moi, on devrait réussir à trouver les mots justes pour convaincre même les plus récalcitrants. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Nous allons lancer un processus qui a plus de chance de mal finir que d’aboutir à la libération de Jade, mais la probabilité n’est pas de zéro. Enfin, c’est à cet espoir infime que je veux m’accrocher. Ce n’est pas enthousiasmant comme perspective, mais l’espoir est revenu et ça, ça n’a pas de prix.
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