68 : Il y a plus de coquins que prévu !

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Malcolm

Après la nuit que nous avons passée à marcher et les événements que nous venons de vivre, la première chose que je fais en pénétrant dans mon appartement, c’est de filer à la douche. En plus d’effacer les traces, j’ai besoin de sentir l’eau sur mon corps, non seulement pour me débarrasser de toute cette terre qui s’est accumulée pendant notre fuite, mais aussi pour me nettoyer l’esprit. Et c’est vrai que ça fait un bien fou de passer ce petit temps sous l’eau chaude. Cela m’aide à mettre de l’ordre dans mes pensées.

Tout d’abord, il faut que je range mon sac et fasse disparaître toute preuve de ma tentative de fuite. Remettre la nourriture au frais, les habits à leur place. Ensuite, regarder mon emploi du temps pour ne pas oublier d’aller travailler. Quoique… cela n’est pas nécessaire si nous lançons la grève. Mais bon, ce serait bête de me faire remarquer si la grève ne commence que dans une semaine et que je suis censé travailler aujourd’hui. J’étais tellement sûr de réussir cette fuite que je n’ai pas du tout regardé mon planning. Quel inconscient !

Bon, et maintenant, il faut que je sache qui contacter pour que le mouvement se lance et pour convaincre d’autres personnes. J’hésite car je ne sais pas à quels habitants faire confiance. Il suffit que l’un d’entre eux nous dénonce et le mouvement sera étouffé dans l'œuf. Il suffit qu’un d’entre eux aille tout raconter au Conseil et c’est le recyclage pour Liz et moi. L’enjeu est important mais j’ai rapidement en tête la conversation que j’ai eue avec Joël, l’ingénieur qui parlait des secrets du Conseil. Ça peut être bien de commencer par lui. Même s’il n’est pas intéressé, je pense qu’il ne nous dénoncera pas.

Je sors de ma douche et m’essuie vigoureusement. Je me dis que dans mon malheur, j’ai vraiment de la chance d’être tombé sur Liz. Son idée est folle mais à part la folie, que nous reste-t-il pour sauver Jade ?

Je regarde sur le petit guide de l’île et constate que l’ingénieur habite dans un coin reculé, ce qui explique que je l’ai si peu croisé jusqu’à présent. Je suis un peu fatigué, mais je n’écoute pas mon corps qui me demande de le ménager et, après avoir pris soin d’effacer les traces de ma tentative de fuite dans mon appartement, j’enfourche à nouveau mon vélo pour aller chez Joël. Vu l’heure, il ne doit pas encore être parti travailler et doit sûrement être chez lui. Je me dépêche afin de ne pas le rater et suis ravi de le voir ouvrir la porte de son logement, même si sa chemise n’est qu’à moitié boutonnée.

— Joël, je sais qu’il est tôt, mais il faut qu’on parle. C’est urgent, je peux entrer ?

— Heu… oui, oui, bien sûr, entre. Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as l’air… au bout du rouleau.

Je ne me fais pas prier et pénètre dans son petit intérieur dont les décorations m’amusent. Les murs sont en effet tapissés de formules plus ou moins alambiquées. C’est fou comme le résultat ne donne pas une impression de laisser aller.

— Je suis fatigué, oui, mais c’est parce que j’ai mené mon enquête, inventé-je. Sur la disparition de la seule Doc de l'île.

— La disparition de la Doc ? Je n’en ai pas entendu parler… Qu’est-ce que tu as découvert ?

— Elle serait sous la menace de recyclage par le Conseil parce qu’elle a voulu mener une expérience la rapprochant de la nature. Elle est enceinte, attend un bébé, et ça, le Conseil ne peut pas le supporter alors qu’elle n’a fait qu’appliquer de simples principes naturels. Tu imagines ?

— Wow, attends… T’es sûr de toi, là ? Elle est vraiment enceinte ? Mais elle est folle !

— Oui, je suis sûr. Et le Conseil est encore plus fou qu’elle s’ils recyclent une femme enceinte, tu ne trouves pas ? Il faut qu’on lui vienne en aide, sinon, non seulement ce serait trop injuste pour elle mais ce serait dangereux pour nous tous ! Une île sans doc, ce serait du jamais vu et un vrai risque !

— J’entends, Malcolm, mais… qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Je veux dire… à part demander une audience qui ne servira à rien, on ne peut pas faire grand-chose.

— Je peux te faire confiance ? Tu me promets de ne rien dire même si tu n’es pas d’accord et ne veux pas te joindre à nous ?

— Bien sûr ! Pourquoi j’irais balancer ? J’ai une tête de vendu ? grimace-t-il.

— Je ne sais pas, mais tu as conscience que si je te dis ce que j’ai en tête et que tu ne vas pas voir le Conseil, ça fait de toi un complice ?

— J’ai fait de toi l’un de mes complices la dernière fois qu’on a discuté tous les deux, non ? Écoute, je serai une tombe, mais je vais devoir aller bosser à un moment donné, tu sais ? Alors, sans mauvais jeu de mots, accouche avant la doc, Malcolm, me lance-t-il, fier de sa vanne.

Je ne peux m’empêcher d’esquisser un petit sourire et me décide à me confier à lui. Advienne que pourra.

— Tu connais Liz, tu sais, la réfugiée tombée du bateau ? Eh bien, elle veut organiser une grève. Elle dit que si on est assez nombreux, ils ne pourront pas tous nous recycler et qu’on peut l’emporter. Elle fait la même chose que moi avec les femmes. L’idée est de contraindre le Conseil à nous écouter et à les faire libérer Jade.

— Je vois, soupire-t-il. C’est risqué mais pas déconnant. Très risqué, même. Si quelqu’un vous balance, c’est recyclage pour vous. Pourquoi prendre ce risque pour une nana qui a fait n’importe quoi ?

— Elle n’a pas fait n’importe quoi, Joël. C’est l’expression toute simple de la nature. C’est comme Oliver et Zoé, tu sais. Ici, sur l’île, il y a des hommes et des femmes qui s’aiment et ça ne devrait gêner personne. Tu ne crois pas que rien n’est plus normal que ça ?

— Tu ne cacherais pas quelque chose, toi, par hasard, sourit-il. Tu as raison, entre nous… Possible que j’aie déjà fauté.

— Tu as déjà fauté avec une femme ? Mais… qui est-ce ? Il faut lui demander de se joindre au mouvement ! Et si tu connais d’autres mecs qui sont dans cette situation, ça fera des alliés potentiels…

— Une ingénieure… une petite jeune canon, d’ailleurs. La douce peau d’une femme, soupire-t-il, l’air rêveur. Faut pas mourir con, et puis, y a pas de mal à se faire du bien, non ? Je vais en discuter avec des personnes de confiance au travail aujourd’hui, mais tu sais, il y a une différence entre se faire plaisir et l’assumer...

— Il faut leur dire que c’est moi qui assumerai en cas de souci. Et puis, plus on est nombreux, plus le risque est faible. Des ingénieurs devraient comprendre ça, non ?

— Sans doute, oui. J’espère… Tu peux compter sur moi, en tout cas. J’espère qu’il y aura des volontaires... Pourquoi tu te mouilles comme ça, toi ?

— D’abord et avant tout, par souci de justice. Et puis, qui sait ? Peut-être que j’aime bien fauter plus que de raison aussi, moi…

— Je vois… Si c’est toi qui fautes avec la Doc, belle prise ! On se tient au courant ? Tu bosses à la bibliothèque, aujourd’hui ?

— Non, je suis en repos. Je vais continuer mon petit tour pour ameuter les gens. L’effet papillon, tu vois. Ou colibri. Bref, il faut plein de petits trucs pour arriver à un grand changement. Merci de ton écoute et de ton soutien, en tout cas. Cela me rassure de voir que je ne suis pas tout seul.

— Crois-moi, il y a des secrets partout sur cette île, alors un de plus ou un de moins… Bon courage, Malcolm, j’espère vraiment qu’on réussira à faire quelque chose.

Je ressors rasséréné de ce petit entretien. J’envoie une petite pensée à Jade : “Mon amour, les choses avancent. Tiens le coup !” Alors que je repars sur mon vélo, je repense à la conversation et je n’en reviens pas que nous soyons si nombreux à avoir essayé le plaisir hétérosexuel. Cela explique sûrement le succès des livres interdits. Et puis, cela est de bon augure quant à la mobilisation des autres. Le Conseil ne peut rien si nous sommes nombreux, quel que soit le sujet. C’est ça la vraie démocratie.

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