Chapitre 4

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De là où j’étais, je pouvais voir mon cousin. Il avait l’air passablement secoué par cette histoire. Normal, étant le seul membre du staff de la station, il était en quelque sorte responsable de nous. Comme si nous étions des enfants dans une colonie de vacances. Je le vis froncer les sourcils. Il regardait par terre. Il s’est baissé et a ramassé une bouteille vide qui avait contenu la boisson fluo qui semblait ravir les papilles de tant de jeunes en ce moment. Il a reniflé le goulot, peut-être parce qu’il se demandait quelle odeur pouvait bien sentir cet élixir. Il a eu l’air dégouté, a regardé la bouteille comme si elle venait de l’insulter et l'a mise dans un sachet qu’il avait en poche. Ses patrons lui avaient sans doute donné comme consigne de veiller à ce que la cabine reste propre, et il n’y avait pas de poubelle dans le téléphérique. Espérons qu’ils ne lui tiendraient pas rigueur pour le cadavre qui traînait à terre. Humour noir. Désolé.

J’observais mes deux suspects. Ils se parlaient à voix basse. Steve avait l’air en colère contre David, qui avait l’air de bredouiller des excuses. Ce dernier semblait cacher quelque chose dans sa poche. Soudain, dans une secousse terrible, le téléphérique s’est remis en marche. Des cris de surprise ont fusés dans la cabine pendant que nous perdions l’équilibre. L’objet que David s’efforçait de cacher lui a échappé. Le jeune homme s’est dépêché de le ramasser et l’a fourré dans sa poche. J’ai bien vu ce que c’était. Une seringue.

Le soulagement pouvait se lire sur les visages. Mon cousin discutait avec Marion. Luke a serré sa femme contre lui. On allait s’en tirer. Mais ce n’était pas fini. Les meurtriers d’Eric devaient payer. La police allait nous interroger et je savais ce que j’allais leur dire. Steve et David se sont violemment disputés avec Eric. Que David avait une seringue dans la poche et que s’ils vérifiaient, ils y trouveraient certainement des traces de cyanure. Je détestais avoir à faire ça, mais un meurtre n’est pas une chose qu’on peut laisser passer.

La cabine est enfin arrivée à la station, après un voyage qui m’a paru durer une éternité. Il y avait une ambulance qui nous attendait, au cas où il y aurait des blessés. La police était là aussi, ce qui m’a étonné sur le moment puisque personne n’aurait dû savoir ce qui s’est passé.

La porte s’est ouverte sur un homme rondouillard d’une cinquantaine d’années, à la moustache sévère. Il est entré et s’est présenté comme étant l’inspecteur Julius Crawford, du bureau de police local. Il nous a demandé de bien vouloir patienter avant de sortir puis il a remarqué le corps d’Eric sur le sol. Des secouristes ont alors fait leur entrée et se sont dirigés vers le cadavre. Le policier nous a tous regardé.

– Mais que s’est-il passé, ici ??

– Un meurtre, inspecteur, a répondu Luke. Il a été empoisonné. Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, mais vous tombez plutôt bien…

– Je suis ici parce qu’une source m’a informé que des personnes que nous recherchons depuis un moment pour trafic de stupéfiants se trouvent ici, parmi vous.

Steve et David ont subitement parus très nerveux. C’est là que j’ai voulu entrer en scène pour dire à tout le monde ce que j’avais découvert quand mon cousin m’a coupé.

– Inspecteur, si vous le permettez, je vais vous apporter mon aide pour ce qui est de ce meurtre. J’ai découvert certaines choses et, si je ne me trompe pas, je crois savoir qui a tué cet homme.

Tout le monde a dévisagé Bernie. Le silence était pesant. J’étais à la fois surpris et curieux d’entendre ce qu’il avait à dire. Était-il arrivé à la même conclusion que moi ?

– Pour commencer, comme vous le savez sûrement, nous sommes ici depuis hier soir. Eric était mort ce matin et Luke, qui est médecin, nous a appris qu’il sentait l’amande, symptôme qui indique que cet homme a été empoisonné au cyanure. En toute logique, ce meurtre a été commis cette nuit, par l’un d’entre nous. Au début, je ne voyais pas trop comment cela avait pu se produire, puisque nous étions tous présents. Nous dormions, mais nous étions là. Pas question de lui faire prendre le poison de force. Cela nous aurait logiquement réveillés. Il fallait donc que le meurtrier soit très discret. Ou alors qu’il ou elle gagne la confiance de la victime pour lui faire ingérer un aliment empoisonné.

Bernie sortit la bouteille vide qu’il avait ramassé plus tôt.

– Le seul aliment que j’ai vu dans cette cabine est cette boisson, très sucrée, que certains d’entre nous ont bu. J’ai eu la confirmation de mes soupçons juste avant que la cabine ne redémarre. Cette bouteille empeste l’amande amère…

L’inspecteur prit la bouteille d’un air sceptique. Il renifla le contenu et parut très étonné.

- D'accord, vous avez trouvé l’arme du crime et je vous en félicite, répondit l’inspecteur. Puisque vous portez encore vos gants de ski, j’imagine qu’on n’y trouvera pas vos empreintes… Mais ça ne nous dit pas qui a commis ce meurtre…

– Sur ce point, je pense avoir aussi une théorie… J’ai longtemps pataugé dans ce domaine, car chacun d’entre nous aurait pu le faire. Mais étant donné la bagarre qui avait eu lieu la veille, je ne voyais pas qui aurait pu faire boire quoique ce soit à Eric sans déclencher, au minimum, des protestations qui auraient attirés notre attention. Il fallait donc que la victime boive le liquide de son plein gré. Sur le moment, j’ai donc soupçonné Charlie d’avoir fait le coup…

– Quoi !? protesta la jeune fille. Mais ça va pas, non !?

– Du calme, tempéra Bernie, j’ai changé d’avis quand la cabine à redémarré… Dans la secousse, une personne présente a laissé tomber son portefeuille. Il s’est ouvert et j’ai vu une photo en sortir. Sur cette photo, il y avait Eric en compagnie de la personne à qui appartenait ce portefeuille. La coupe était différente, le physique aussi, mais je l’ai tout de suite reconnue.

La tension était palpable dans la cabine. Mon cousin se tourna vers Marion, qui regardait le sol derrière ses grosses lunettes. Son sang avait déserté son visage.

– Dites-moi, Marion… Pourquoi ne nous avez-vous pas dit que vous et Eric êtes sortis ensemble?

La jeune fille gardait le silence, les yeux vides de toute expression. L’inspecteur s’approcha d’elle.

– Il va falloir vous expliquer Mademoiselle…

– J’ai rencontré Eric il y a deux ans… A l’époque, j’étais mince, je portais des lentilles… J’ai été engagée dans l’entreprise où il travaillait. Je suis tout de suite tombée sous le charme. Alors, le jour où il m’a invitée à sortir, j’étais aux anges… On a passé une excellente soirée. C’était très bien parti entre nous. On est resté quelque temps ensemble. C’était parfait. Mais un jour, il n’est pas venu travailler. Quand je me suis renseignée à son sujet, on m’a dit qu’il avait démissionné et qu’il était parti à l’étranger. Je l’ai cherché partout, sans succès. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. Ça m'a brisée. Il m’avait promis de si belles choses… Je suis tombée dans une grave dépression.

Ça a été très difficile. Un jour, j’ai décidé d’en finir. Mais je ne voulais pas partir comme ça, bêtement. J’ai quitté la maison de mes parents et je suis partie faire du ski, chose dont je rêvais depuis longtemps… J’avais décidé de faire ce que je voulais avant de partir. Je travaille dans une bijouterie et on se sert de cyanure pour les dorures sur les bijoux. J’avais une dose mortelle sur moi. Mon plan était simple : profiter un maximum de ma journée au ski et puis en finir dans ma chambre d’hôtel. Et puis voilà que je le retrouve à la réception de l’hôtel, avec une autre fille sous le bras. Il lui serinait les mêmes mensonges qu’il m’avait servis… J’ai essayé de l’aborder. Au début, il ne m’a même pas reconnue ! Quand il s’est souvenu de moi, j’ai bien vu à son regard qu’il me trouvait pathétique, repoussante. Puis il m’a dit qu’il ne fallait plus que je lui parle, que je devais le laisser tranquille.

J’ai cru que j’allais devenir folle. J’étais furieuse. Il n’avait pas le droit de me traiter ainsi. Cette journée, qui devait être parfaite, a été horrible. Elle a été complètement gâchée. Et en plus je n’arrêtais pas de le voir se pavaner devant moi avec cette pouffe… Pour ne rien arranger, on s’est retrouvé bloqués dans cette machine de malheur ! La nuit est tombée. Je n’ai pas dormi. J’ai décidé d’en finir cette nuit-là et j’ai mis le cyanure dans ma boisson. Et voilà que juste à ce moment, il s’est relevé. Il a vu que j’étais éveillée. Il m’a demandé si je n’avais pas à boire. L’occasion était trop belle. J’ai savouré le moment où il a bu.

L’inspecteur est reparti avec trois personnes ce jour là. Marion, qui avait l’air soulagée, et David et Steve, qui étaient les dealers que Crawford était venu chercher au début. C’est pour ça que David avait une seringue sur lui, pour sa propre consommation. Steve s’était énervé contre lui car il n’était pas assez discret.

J’ai appris la suite par les journaux. Marion avait déjà un passé psychologique assez lourd. Elle aurait harcelé un de ses anciens petits amis et elle aurait tenté à plusieurs reprises de se suicider. Elle est internée dans un hôpital psychiatrique. Steve et David ont finis en prison, leur peine a été allégée car ils ont donné le nom de leur fournisseur, un gros poisson que la police recherchait depuis un moment. Mon cher cousin, quant à lui, s’est complètement transformé depuis cette histoire. Il est plus sûr de lui, il a trouvé sa voie. Après avoir aidé la police sur certaines affaires difficiles, il a ouvert son bureau de détectives privés. Moi, je préfère m’en tenir aux romans policiers. J’ai compris que, plutôt que d’essayer de démasquer des criminels, mon truc c’est d’écrire leurs histoires. Et celles de mon cousin, Bernie le détective. Car c’est lui, le véritable héros.

FIN

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