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Tombeau. Est-ce que nous nous sommes aimés par hasard ? Ou bien est-ce par chance ?
Je ne sais pas.
Dans les profondeurs d’un site de rencontres, entassement de solitudes, de désespoirs côte à côte, cherchant à troquer leurs bras, leurs mots, leur queue, leur vide contre baisers, douceurs, gorges profondes. Dans cette vitrine, je me présente bouche-pute, cherche à rendre mes dix-huit ans désirables dans le regard de ces autres posés sur moi. Pourquoi suis-je là ? Redémarrer la machine, s’extirper du néant, de la haine, du gouffre. Alors remplir des cases, chercher celui qui survivra à ma combinaison de critères. Et puis tomber sur toi, Tombeau. Tu ne coches aucune case, alors pourquoi tu m’attires ? Qu’est-ce que tu cherches, toi, dans ce tourbillon de mots, de provocation, de chevelures et de cambrures ?
Quelques jours plus tard. Du froid qui froisse, un souvenir drapé d’engelures. Je revois tes chaussures d’or battre les pavés. L’approche d’un soleil dans les gerçures de décembre, sous la brûlure d’une cigarette que tu maintiens entre deux doigts. Il y a en toi une fausse assurance volée aux draps ouverts de nombreuses proies. Tu portes des yeux de merle, petits et vifs. J’effeure des miens ta peau blonde qui conserve le rythme de l’été jusqu’aux morsures de l’hiver. Un élégant voyou : c’est l’image qui s’est imprimée en moi. Prédateur, tu me fixes, m’intimides et lorsqu’on se rencontre, dans le noir de nos regards, on se submerge, se reconnaît. Nous sommes marqués des mêmes yeux, de la même violence, ou est-ce de la même brume ? “Hmm, Abysse, c’est ça ?”, tu dis. Et tandis que j’acquiesce, tu me demandes : “Abysse, dis-moi, est-ce que tu avales ?”. Un rire. Tu découvres alors ton sourire de baston, une dent sciée à la moitié, brute. Des coups de poings nomades y ont versé leur sang, il y a des pluies de cela. Mes ancêtres manient coups et couteaux et règlent les dettes par anticipation, peut-être. Je te souris en retour. Tu ignores encore mon venin d’Andalouse et ma bouche d’avaloire, à déglutir des montagnes de secrets gitans. Tu ignores cette langue amère qui porte les queues mais pas les mots. Tu ignores que je suis ta femme fatale et que tu épuiseras, dans les années qui s’annoncent, ton énergie à m’apprendre à ne plus avaler, à cracher le feu qui me ronge. Crache, crache, tu diras. Crache sur mon ventre, sur mon coeur, sur ma vie. Arrête d’avaler, crache, Abysse.
Tu ne sais pas.
Et moi non plus, je ne sais pas.
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