Emma

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« J’accepte le défi ».

Elle ne savait pas encore dans quoi elle s’engageait lorsqu’elle accepta de relever le défi proposé par son amie : passer une semaine sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Elle qui croyait en quelque chose, mais certainement pas en un quelconque Dieu, ne connaissait même pas l’existence de ce pèlerinage. La perspective de marcher avec pour seul bagage un sac à dos et dormir dans des « gites » ou à la belle étoile ne l’emballait pas plus que ça. Mais plus que tout, Emma avait peur. Comment allait-elle s’en sortir sans condition physique, avec un sac beaucoup trop lourd pour elle sous un soleil de plomb ?

La seule raison pour laquelle elle avait accepté avait été la lueur de défi dans le regard de son amie. Elle voulait lui prouver qu’elle était capable de nombreuses choses, y compris marcher entre 15 et 20km par jour et isolée de ses attaches quotidiennes. Mais elle ne voyait toujours pas l’utilité d’un tel effort. Pourquoi se rendre au Puy-en-Velay et être entourée de cette frénésie divine, quand elle n’avait juste qu’à utiliser ses deux jambes ? Marcher, elle pouvait le faire juste en sortant de chez elle.

Malgré tout, elle se retrouva un jeudi matin de juin à entamer ses premiers kilomètres, une coquille Saint-Jacques accrochée au sac et un crédenciale en main. Ce qu’elle prit au début pour une promenade de santé se transforma très vite en un véritable calvaire. Pourquoi personne ne l’avait prévenu qu’après le Puy, tout n’était que montées, montagnes et douleurs aux cuisses ? Décidemment, le GR 65 jetait Emma dans le grand bain sans préavis.

Après deux heures de marche elle n’en pouvait plus. Il était 13H37, le soleil la frappait de plein fouet, la chaleur rendait l’air irrespirable. Elle fit une pause à l’ombre d’un arbre et but une longue gorgée d’eau. Elle se rendit alors compte que sa gourde était déjà vide. Elle n’avait pas marché plus d’une journée qu’elle envisageait déjà de rentrer chez elle et retrouver son cocon douillet. Mais Emma devait se rendre à l’évidence : elle était seule, au milieu des champs auvergnats, sans eau et surtout sans perspective de trouver une gare une bonne vingtaine de kilomètres. Sur ces pensées, elle décida de poursuite sa route, elle n’avait de toute façon pas d’autre choix.

Plus les heures passaient, plus sa soif grandissait. A chaque pas, elle espérait tomber sur un village et une supérette dans laquelle elle pourrait se ravitailler en eau. C’est à ce moment qu’elle se souvint d’une scène du film Saint-Jacques…La Mecque qu’elle avait regardé avant de partir. Elle ferma les yeux et entendit Pascal Légitimus lui dire « On marche sur des GR, des chemins en pleine cambrouse pas sur des autoroutes, il n’y aura pas des Carrefour et des Mammouths à tous les coins de rue ». Une réflexion qui la frappa. Elle prit soudain conscience qu’elle avait besoin de s’hydrater. Elle se sentait bête : dire qu’au quotidien elle n’avait qu’à ouvrir le robinet pour avoir accès à l’eau potable, eau qu’elle gâchait par-dessus tout. Qu’est ce qu’elle n’aurait pas fait à cet instant pour n’avoir ne serait-ce qu’une seule goutte de ce breuvage.

Elle continua d’avancer et passa devant un champs génisses. Elle s’arrêta et s’approcha d’un petit groupe :

« Hé salut les cocottes ! Vous n’auriez pas un peu d’eau pour moi ? » Evidemment aucune d’entre elle ne prit la peine de lui répondre. Alors qu’elle ruminaient tranquillement, Emma ajouta :

« Ouais, je m’en doutais. Bon je verrai si je peux en trouver ailleurs. A bientôt les vachettes ! ». Elle avait conscience qu’elle avait certainement l’air d’une folle, mais elle était seule sur ce chemin et personne ne pouvait la juger.

Au fil des ses pas, le paysage changeait. C’est ainsi qu’elle se retrouva dans une petite forêt. « Mais merde où est passée la civilisation », se dit-elle. En observant autour d’elle, elle vit un petit ruisseau qui coulait sur sa gauche. Sans même y réfléchir, elle se rua sur cette petite source et entreprit de gober de grande gorgées d’eau à l’aide de ses mains. Tant pis pour les éventuelles maladies et la pollution. Elle continua de s’abreuver, genoux au sol, jusqu’à ce que sa soif soit étanchée. Elle en profita également pour se rafraichir la nuque et passer ses mains humides sur son visage. Une fois rassasiée, elle remplit quelque peu sa gourde et repartit sur le chemin.

Une heure plus tard, elle quitta le chemin de forêt et aperçut l’entrée d’un village. Sa bouteille était déjà vide et elle savait qu’elle n’atteindrait pas son lieu de repos avant deux bonnes heures. Elle s’approcha alors d’un lotissement et se dirigea vers la première maison qu’elle avait vu. Devant le portail, elle prit son courage à deux main et appuya sur le bouton de la sonnette. Au bout de quelques minutes, elle vit un homme sortir et se diriger vers le portail, escorté par son golden.

« Bonjour Monsieur. dit-elle. Excusez moi de vous déranger, je suis un peu gênée de vous demander ça mais, je viens de commencer le chemin de Saint-Jacques et je n’ai plus d’eau sur moi. Il fait extrêmement chaud, je me demandais alors si vous pouviez remplir ma gourde. »

Alors qu’elle s’attendait à un refus, l’homme tendit la main vers elle :

« Bien-sûr sans problème, donnez la moi.

- Vraiment ?

Emma semblait étonné qu’il accepte aussi vite.

- Oui, pourquoi ? Vous savez, des pèlerins on en voit tous les jours. Alors si on peut aider.

Il ne lui laisse pas le temps de répondre et partit avec la bouteille. Il revint le graal en main et le tendit à la pèlerine.

- Merci beaucoup, vous n’imaginez pas à quel point vous venez de me sauver la vie !

- Il n’y a pas de quoi , ce n’est que de l’eau. Je suis ravi d’avoir pu vous aider. Buen camino ! »

L’homme lui tourna le dos, suivit par son chien et Emma rangea la thermos dans son sac.

Elle songea à ce qu’il venait de lui dire. Il avait tort, ce n’était pas que de l’eau. Elle était reconnaissance pour cet acte, si anodin mais vital. Et là, elle se demanda si dans un tel cas, elle aurait été capable d’ouvrir sa porte sa porte à un inconnue et de lui rendre ce service.

Après un dernier effort, elle arriva enfin à son lieu de repos : une petite ferme dans laquelle les habitants acceptaient que les pèlerins plantent leur tente. Emma était épuisée, tant physiquement que mentalement. Cette journée avait été éprouvante. Elle ne s’attendait pas à ça en acceptant le défi de son amie.

Après s’être annoncée auprès de ses hôtes, elle installa immédiatement son campement. La doyenne de l’exploitation, Nicole, vint la voir pour lui proposer de partager le repas avec elle et les autres pèlerins, ce qu’Emma refusa poliment. Elle était tellement fatiguée qu’elle ne pouvait rien avaler. Voyant dans quel état la jeune femme était, Nicole lui proposa néanmoins de prendre une petite douche, ce qu’elle accepta volontiers.

Il faisait déjà nuit lorsqu’elle eut fini de se laver. Elle enfila rapidement un t-shirt, un short en coton, et se glissa les cheveux encore trempés dans son sac de couchage en Gore-Tex. Emma s’endormit rapidement. Vers 3h du matin, elle fut réveillée par le tonnerre qui grondait et la pluie qui frappait sa housse de tente. Elle tentait de ne pas y penser. Même en gardant les yeux clos, elle voyait les éclairs striant le ciel sans relâche. Elle était seule dans sa tente, au milieu d’un champ au fin fond de l’Auvergne, avec un violent orage au dessus de sa tête et pour seule protection, une toile : elle avait peur. Cette nuit là, pour la première fois de sa vie, Emma se tourna vers le ciel : elle souhaitait être protégée, et pria un Dieu dont elle ne croyait pas à l’existence quelques heures plus tôt.

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