VII

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Le grain de sable

Au début de mai, il arriva que le chauffeur de la villa Paradise dut rompre son contrat et regagner sa lointaine province natale du Sichuan pour prendre soin de ses parents malades, en accord avec la coutume ancestrale toujours en vigueur dans les campagnes.

C’est ainsi que Ratih vit débarquer Li-Tsou, un jeune chinois de Hong Kong, venu le remplacer.

L’ancien chauffeur était un cinquantenaire ventripotent aux allures de bouddha poussif. Li-Tsou avait un corps d’athlète et vingt-cinq ans de moins.

Fidèle à ses engagements, Ratih adopta aussitôt une attitude de défiante froideur vis-à-vis du nouvel arrivant. Et celui-ci la lui rendit bien : avec ses trente-cinq ans passés, elle n’était pas de sa génération et Li-Tsou regarda d’abord Ratih avec tout le distant respect dû à une aînée.

Quelques semaines passèrent ainsi. Chaque matin ou presque, le nouveau chauffeur emmenait Ratih prendre le Sentosa Express. Son statut d’employée ne lui permettait pas de monter à l’arrière de la limousine où seuls le petit Cho et ses parents avaient le droit de s’asseoir. Aussi Li-Tsou et Ratih furent-ils amenés à se côtoyer quotidiennement, même s’ils n’échangeaient que les seuls propos nécessaires à l’accomplissement de leur service :

— Bonjour, Mrs Ratih. Où allons-nous ce matin ?

— Bonjour Li-Tsou. À la gare du Sentosa Express, s’il vous plaît.

— Certainement, Mrs Ratih.

À quelque temps de là, Mme Chang remarqua que Ratih mettait du fard à joues et à paupières ainsi que du rouge à lèvres pour aller au marché, à l’inverse de ses habitudes. Elle s’en ouvrit aussitôt à son mari, car la principale hantise des employeurs de maids était le non-respect de la clause implicite de chasteté qui leur était imposée. Les contrats étaient léonins : en cas de découverte de relations intimes au domicile de l’employeur, ou pire encore, en cas de grossesse, c’était la rupture et le renvoi immédiat au pays, avec pertes et fracas.

À ce stade, Ratih ne s’était encore rendu compte de rien. Puis, un matin, alors qu’elle parachevait son maquillage devant la glace, elle prit soudain conscience du motif de cet acte : ne cherchait-elle pas de nouveau à plaire ?

Mais à qui, grands dieux ?

Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver la réponse à cette troublante question.

Et cela l’effara.

Tous ses plans, d’un coup d’un seul, se retrouvaient mis en danger.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2015. Tous droits réservés.

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