XII
Lia s’en mêle
La vie dans une madrasa, pour une adolescente un peu rebelle, n’était pas une partie de plaisir. Et Lia, depuis son 15e anniversaire, estimait avoir franchi l’étape de l’obéissance aveugle, aussi bien aux préceptes coraniques ancestraux qu’aux exhortations familiales de toutes sortes.
Ses grands-parents, qui l’accueillaient lors des week-ends et pendant les petites et grandes vacances, rencontraient de plus en plus de difficultés à se faire obéir.
Cela commença par la tenue vestimentaire. Lia refusa de porter hors de l’école le hidjab uni réglementaire et s’en acheta plusieurs de couleurs vives, imprimés de motifs divers ou même brodés de paillettes, tels qu’on peut en voir sur les passerelles des défilés de mode ou dans les grandes villes des pays islamiques les plus libéraux.
Ce fut bientôt le maquillage : rouge à lèvres, fard à paupières, blush et gloss apparurent dans sa trousse. En contravention avec toutes les règles du bon islam. Au risque de se voir sanctionner par la police des mœurs, cet effrayant escadron de cagoulés en noir et vert, chargé de faire respecter la charia dans toute sa rigueur, capable de vous bastonner en public au moindre écart, même si ses victimes de prédilection du moment étaient les punks qu’il tondait et envoyait en camp de rééducation.
Mais cela ne s’arrêta pas là. Avec son smartphone, Lia put bientôt ouvrir un compte FB, créer son profil, se choisir un avatar aux yeux bleus et y poster photos et commentaires.
Sa jolie frimousse ne laissa pas indifférent. Les amis de ses amis voulurent faire partie de son réseau. Elle répondit oui à tous. Des tas de filles, évidemment, mais pas mal de garçons aussi.
Au début, dans l’enthousiasme de la nouveauté, Lia avait communiqué assez fréquemment par vidéo avec sa mère. Mais bientôt, après quelques remontrances sur sa tenue ou le lieu dans lequel elle se trouvait lors de l’appel, elle préféra s’en tenir à des MMS moins compromettants. Finalement, elles convinrent d’un rendez-vous bimensuel, à jour et heure fixes, qui les arrangeait toutes les deux.
Mais un matin, ayant tapé sur son clavier par simple curiosité ou juste prémonition le nom de sa fille, Ratih aboutit sur le profil FB de Lia et y découvrit deux photos de celle-ci en compagnie d’un garçon nommé Bagus. Son sang de mère ne fit qu’un tour. Elle saisit son téléphone et appela sa fille.
Le visage de Ratih apparut sur le portable de Lia :
— C’est toi, maman ?
— Oui, Lia, ce n’est que moi. Dis donc, c’est quoi cette photo sur ton profil FB avec ce Bagus ? C’est qui ?
— Quoi, maman, tu es allée sur mon profil ? On n’est pas amis. Comment as-tu vu cette photo ? Tu as un compte FB aussi ?
— Je l’ai vue parce que tu n’as pas protégé l’accès à tes photos. N’importe qui peut les voir. Mais réponds à ma question, s’il te plaît. C’est qui, ce Bagus ?
— Maman ! C’est ma vie privée. Ça ne te regarde pas. De toute manière, y'a rien à dire.
— Ton père est au courant ?
— Ça ne va pas ?
— Méfie-toi, Lia, s’il apprend que tu fréquentes des garçons, tu vas te retrouver mariée avant d’avoir su comment.
— On n’est plus au Moyen Âge, maman !
— Et si tu tombais enceinte ?
— Maman, je ne serai pas enceinte avant d’être mariée, je te le promets.
— Je suis loin de toi et je ne voudrais pas qu’il t’arrive ce qui est arrivé à cette Sharifa, décédée deux jours après un avortement clandestin, l’année dernière..
— Maman, arrête d’envisager toujours le pire ! Et ne me questionne plus là-dessus. Je ne te répondrai pas. Est-ce que je te demande, moi, si tu couches avec le chauffeur de ton patron ?
Un long silence s’ensuivit. Ratih, interloquée, mal à l’aise, percée à jour, ne savait quoi répondre. Finalement, elle raccrocha sans un mot.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 2015. Tous droits réservés.
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