Une si petite erreur...

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Obnubilé par le parfum devenu entêtant, j'avais oublié toute prudence, et m'étais lestement aventuré en dehors du couvert protecteur de la forêt. J'avais quitté les légères senteurs de mousse et d'humus qui persistaient malgré le froid pour m'approcher de la construction humaine – qui exhalait de vagues remugles de terre, de fumée et d'humain – pistant les effluves qui me guidaient, jusqu'à me poster sous une fenêtre basse d'où l'odeur attirante s'échappait.

Un simple regard m'avait permis d'identifier la provenance de ce parfum suave : dans un berceau en bois, un tout petit humain dormait, seul et sans défense.

Je mange rarement de la viande immature, cette chasse trop facile n'est pas vraiment à mon goût... Les êtres à peine nés n'ont que peu conscience du danger que nous représentons, nous autres prédateurs. Leur instinct leur souffle bien entendu de fuir, mais le processus est plus lié à un certain automatisme qu'à une peur réelle. Aussi jeunes, ils ne connaissent guère que la signature olfactive de leur propre espèce. Ils sont juste capables de nous sentir étrangers, sans véritablement percevoir que nous sommes tout en haut de la chaine alimentaire, et qu'il n'y a plus guère qu'à désespérer.

Je n'avais donc jamais respiré la véritable odeur de la peur en poursuivant de très jeunes proies, et le goût de leur chair à peine poussée avait toujours été à l'avenant : des arômes plus que décevants, car quelconques et fades, incomplets pour ainsi dire...

Mais là, l'odeur était tellement alléchante que j'avais hésité : le goût associé à des effluves aussi divins ne pouvait pas être décevant, quelle logique aurait permis cela ?

Je m'étais donc avancé, et avais pénétré dans la chambre enfantine, à la faveur de la fenêtre très légèrement entrouverte pour laisser entrer l'air pur de la nuit. Contrairement à ce que je pensais, la petite chose – dont j'estimais l'âge à environ 1 an – n'était pas endormie : elle m'avait regardé calmement, ses grands yeux violets largement ouverts, presque écarquillés... de peur ?

Une brève inspiration goûtée du bout de la langue m'avait immédiatement renseigné : pas la moindre trace de frayeur dans l'odeur alléchante qui se dégageait du petit corps allongé là, et même plutôt de légères traces d'une excitation naissante, rapidement confirmée par quelques mouvements agités de ses bras minuscules et potelés, accompagnés de gazouillis et syllabes incompréhensibles. Surprenant... Cette chose était-elle totalement dépourvue d'instinct animal ?

J'en oubliais presque que j'avais décidé d'en faire ma proie, et désormais tout autant fasciné par le comportement étrange du petit être que par son odeur si tentante, je m'étais avancé jusqu'au bord du berceau, tournant le dos à la porte grande ouverte.

Erreur de débutant ? Je n'étais encore qu'un louveteau avec mes quinze années humaines... Un coup violent assené par le père de l'enfant – sans doute alerté par les fameux gazouillis – m'avait pris par surprise, et proprement assommé.

Un retour à ma forme humaine avait suivi ma perte de conscience, cela se produit toujours quand nous perdons notre lien spirituel avec la lune. Je fus donc reconnu comme le plus jeune fils du château voisin et épargné, mais en échange de ma vie sauve, mon père se trouva contraint à la promesse d'accueillir ce bébé dépourvu d'instinct de conservation dans notre famille, et d'assurer sa subsistance.

Le père de l'enfant – qui n'était pas si bête – , lui arracha également la promesse d'épousailles bien au dessus de sa condition, quand le moment serait venu. La petite chose étrange était en effet femelle, dernière née de six enfants dont cinq étaient déjà mariés ou promis.

Le secret fut exigé sur cette affaire, mais il est vain de croire en la capacité des humains à garder le silence. Un secret connu par deux personnes l'est déjà par une personne de trop, et bien plus de deux personnes avaient eu connaissance de cet épisode malheureux. Le paysan y avait veillé pour s'assurer la vie sauve.

La rumeur tarda certes à enfler, mais au bout du compte, le secret finit par s'éventer...

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