1. La découverte
Je n’ai pas une vie très palpitante : je me lève, je pars au travail, je rentre, je dors. Toutes les journées se ressemblent. Je continue comme ça jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. Je me suis résignée, c’est ma vie. Mes rares jours de repos, je les passe devant la télévision ou mon ordinateur, rien de bien passionnant de ce côté-là non plus.
Aujourd’hui, je me rends au bureau, comme d'habitude. Pourtant, quelque chose semble avoir changé, l’atmosphère m'apparait vraiment tendue. Je balaie du regard l’open space à la recherche d’un indice qui pourrait expliquer ce sentiment et je constate que mes collègues me scrutent du coin de l’œil ou me fuient du regard. Je réfléchis rapidement. Rien ne me vient qui pourrait expliquer ce comportement étrange. Est-ce que je les aurais mis mal à l’aise d’une façon ou d’une autre ? Me demandant si la paranoïa ne commence pas à me gagner, je laisse tomber et fais comme si je n’avais rien remarqué d’inhabituel. Je m’assois derrière mon bureau, face à mon ordinateur et commence mon travail routinier. Mais je sens tous ces regards, même si je ne les vois pas.
La matinée passe et je me sens de plus en plus mal à l’aise. À la pause déjeuner je décide d'en parler à une de mes collègues. Aux dernières nouvelles, on est en bons termes. Je lui demande ce qu’il se passe.
— C’est ce qu’on récolte quand on insulte les gens en ligne, gratuitement qui plus est. On ne t’a jamais rien fait, m’explique-t-elle agressivement.
Face à mon regard interrogateur, elle comprend que je ne comprends absolument pas de quoi elle parle. Elle me fait signe de la suivre jusqu’à son bureau. Elle rallume son ordinateur qui s’était mis en veille et ouvre une page sur son profil Instabook. Elle me montre un commentaire sous l’une de ses photos :
« Regarde-toi, espèce de truie, tu ferais mieux de te suicider »
Je regarde le nom et la photo de profil de l’auteur, c’est moi ! C’est mon nom et l’une de mes photos. Je tombe des nues, qu’est-ce qui se passe ? Je n’ai jamais écrit ça de ma vie.
— Je te jure, Sam, chuchoté-je. Je n’ai pas écrit ça, ce n’est pas moi. Je n’ai même pas de profil sur ce site.
Le regard, jusqu’ici dur de Sam se changea en un regard compatissant. Je pense qu’elle croit ce que je lui dis.
— Le problème c’est que tu... la personne qui se fait passer pour toi a laissé un commentaire de ce genre sur le profil de chacun d’entre nous...
Sam décide de me montrer les pages de certains de mes collègues :
« Tu n’es qu’un bon à rien, t’es moche, jette-toi par la fenêtre »
« Tu ressembles à Peggy la cochonne »
« Suicide-toi, tu rendras service à tout le monde »
Il y en a des dizaines et des dizaines comme ça, tous plus horribles les uns que les autres. Je demande à Sam de se rendre sur la page de l’auteur. Il y a mon nom, ma date de naissance et même les écoles que j’ai fréquentées, de la primaire à l’université. En nous rendant dans les albums photos, je remarque qu’il y a des dizaines de photos de moi, il y en a même que je n’ai jamais mises sur internet. Je me laisse tomber sur une chaise, abasourdie par cette découverte.
— Ce n’est vraiment pas toi alors ? me demande Sam, un peu perdue.
Je réponds par la négative d’un signe de tête sans quitter l’écran des yeux, incapable de prononcer un mot. Quelqu’un se fait passer pour moi et compte bien bousiller le peu de vie sociale qu’il me reste.
En rentrant chez moi ce soir-là, je décide de me rendre de nouveau sur le profil de l’imposteur. Je ne sais pas comment réagir à tout ça. Je fouille de fond en comble cette page afin de trouver ne serait-ce qu’un petit indice qui me mènerait à cette personne. En vain. Je remarque cependant que cet inconnu connaît toute ma vie par cœur. L’angoisse, sentiment que je n’ai pas ressenti depuis longtemps, me tord l’estomac au fur et à mesure que je parcours ce maudit profil. Chacun de ses « amis » a fait partie de ma vie à un moment donné. Ce profil aurait vraiment pu être le mien, aurait vraiment pu être rédigé de ma main. Qu’une personne mal intentionnée connaisse ma vie aussi bien me terrifie. Au bout d’une heure, peut-être deux, je décide de fermer cette page et de boire un verre, afin de de me détendre. Avec un peu de chance, l’imposteur se lassera vite et me laissera tranquille. Que pourrais-je faire d'autre, de toute façon ?
Les jours suivants n'ont en rien différé des autres : de nouvelles insultes ignobles postées sur les profils de mes connaissances proférées par un auteur qui se fait passer pour moi. Je lutte pour faire comprendre à ces gens que je ne suis pas la personne qui se cache derrière ce profil, mais très peu semblent vouloir me croire. La situation devient peu à peu invivable, tout le monde m’en veut, j’éprouve un sentiment de culpabilité alors que je n’y suis pour rien. Je ne sais absolument pas comment me sortir de cette situation. Je ne sais absolument pas comment trouver la personne derrière tout ça.
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