La station service
Petit texte sans prétention écrit sous une tonnelle en Picardie il y a 3 ans. C'est l'histoire d'une femme qui aimait les autoroutes. ça se passe en Picardie, même si rien ne se passe, c'est quand même là que ça aurait pu se passer. Bon c'est encore un personnage un peu paumé parce que les gens heureux n'ont rien à dire, c'est bien connu ;)
C’est la nuit. J’écoute une chanson que je suis la seule à entendre. Si je coupe le son et que je tends l’oreille, j’entends des voitures nous suivre, nous dépasser et puis disparaître pour toujours. Quand les choses se dissipent et m’échappent, j’ai peur alors je ne coupe pas le son, me plonge dans des vieilles chansons, allume mille feux éphémères dans ma tête en pensant à cette journée où rien n’a changé parce que, je ne sais pas, peut-être que c’est ça d’abord, la vie : voir et comprendre que rien ne change, sauf les chansons. Comprendre aussi qu’on finit toujours par être rattrapé par ses désillusions.
Si je ferme les yeux très fort, est-ce que je vais me retrouver pile à l’endroit où je voudrais être ?
À côté de moi, le conducteur augmente le volume de l’autoradio, me demande si j’aime la chanson française et le Boss alors, est-ce que je connais ? Et d’abord, c’est où que je vais comme ça, sapée comme un clodo un lundi soir ? Et sinon j’ai une famille au moins ? Des gosses ? Quelqu’un qui m’attend ? Et par hasard est-ce que je joue d'un instrument? Je ne réponds pas. Qu’il s’imagine que je n’ai pas entendu, que je suis une demeurée ou dieu sait quoi mais qu’il me dépose à la prochaine station-service et qu’on n’en parle plus. Une station-service SVP ! J’achèterai un grand café et des pastilles au café aussi. J’ai envie de changer de vêtements. De tête aussi d’ailleurs.
22h41. Nuit ronflante et phares aveuglant mon visage. Aucune idée de l’endroit où on est mais toujours pas de station-service.
22h42. Nuit d’été qui passe trop vite et qui s’étend, à n’en plus finir, sur le paysage plat et vertigineux à la fois de la Picardie. J’ai sommeil. Sommeil à en mourir. Depuis quand je n'ai pas dormi ? Cent ans peut-être. Je repense à ma maman qui aurait mille ans si elle était toujours en vie. Repense aux étoiles qu’elle me montrait du doigt en disant « Eh ! tu sais pourquoi le Bon Dieu a mis autant d’étoiles dans le ciel ? C’est pour nous rappeler qu’il faut jamais arrêter de rêver. »
Sortie d’autoroute. Arrêt au péage. Je soulève la masse de mes cheveux sales.
Est-ce que j’ai vraiment arrêté de rêver ? Si oui, quand est-ce que ça s’est produit ? Quand j’avais 15 ans ? 25 ? Le jour de mes 40 ans peut-être…
Insérer la carte. Barrière automatique. Les phares découpent un paysage boisé où personne ne semble habiter. Le conducteur m’annonce une station toute proche quand on sera remonté sur l'autoroute. Soulagement. Nouveau péage. Quelques minutes plus tard, je descends, remercie vaguement le type, me dirige, toute éclairée par les néons, dans la supérette ouverte 24h sur 24. J’achète un chips, du café et des pastilles au café et puis ressors dans la nuit incendiée de lumière artificielle, m’y enfonce sans savoir où je vais aller. Je n’ai pas peur. Je suis une autre fille comme les autres. Rien ne m’arrivera. Je suis armée. Armée de rêves et de désillusions. Et puis tant pis s’il m’arrive quand même malheur. Les gens parleront de moi comme de la fille qui cherchait des rêves et des pastilles au café un peu désespérément, sur les aires d’autoroute.
23h47. Nuit noire sur la Picardie.
22h48. Je ferme les yeux très fort.
22h49. Demain, c’est bientôt.
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