Dans l'autre du Collectionneur
Le jeune Centaure s’avance à pas prudents à la suite de son guide.
Ce dernier ne présente aucune des prothèses mécaniques courantes chez ceux de sa race, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il en est dépourvu.
L’Elfe le conduit à travers une galerie de statues, avant de s’arrêter en plein milieu.
Il relève la manche droite de son costume de domestique, ce qui révèle la plaque de métal qui y est incrustée et qu’il porte à ses lèvres…
« Monsieur a de la visite. » Prononce-t-il d’une voix neutre.
Aussitôt, le carrelage sur lequel il se trouve commence à s’abaisser dans le sol ! Ils sont sur un monte-charge !
Le Centaure réprime un piaffement nerveux, alors qu’il s’enfonce dans les entrailles de la terre.
Rapidement, un mur de verre remplace la pierre, permettant d’admirer le spectacle de la pièce se situant sous la demeure : une gigantesque caverne naturelle, bardée d’anarchiques plateformes de toutes tailles et formes, reliées par des ponts de métal ou de pierre, et sur lesquels s’aligne des silhouettes dont le Centaure ne peut distinguer pour l’instant la nature.
« Bienvenue dans l’antre de monsieur. » Annonce l’Elfe, toujours aussi neutre.
Ils achèvent leur descente en douceur.
Le guide reprend sa marche aussitôt, conduisant l’invité dans le dédale des œuvres. Car oui, ce sont bien d’innombrables œuvres d’art qui jalonnent la caverne !
Tableaux de tous les courants artistiques existants.
Statues de toutes les tailles, couleurs et formes possibles et imaginables.
Figurines d’absolument tout et n’importe quoi, dans des dizaines de matériaux différents.
Bijoux brillants dans leurs écrins ouvragés.
Tapisseries subtiles aux tailles variées.
Maquettes minimalistes de bâtisses et navires.
Machines complexes aux mille et un effets.
Vitraux chatoyants et colorés…
…Et encore des myriades d’autres formes d’arts !
Mais ce n’est là qu’une partie de la collection du maître des lieux !
Il y a également des reliques du passé.
Florilèges de monnaies antiques.
Morceaux de ruines anciennes.
Ustensiles primitifs.
Fossiles d’animaux éteints.
Fragments de pierres décorées de fresques…
Non, vraiment, il faudrait des jours entiers pour juste espérer tout voir !
L’Elfe les fait emprunter une succession d’escaliers, qui les mènes finalement à une cavité dans la roche, qui a été aménagée en espace de travail.
C’est là que se trouve le propriétaire de tout ce qui les entoure.
Le Centaure se fige à l’entrée de ce lieu.
Lui qui a eu l’occasion de naviguer sur plusieurs navires de pirates et de contrebandiers depuis son enfance, il pensait en avoir suffisamment vu pour ne plus être apeuré par grand-chose.
Puisque, à l’instar de tous ceux de sa race, il ne craint pas vraiment la mort, il se disait qu’il n’y avait rien qui puisse lui faire peur !
Or l’Elfe qu’il découvre lui fait bel et bien peur.
Bien qu’entièrement courbé en avant, son dos gratte malgré tout le plafond du bureau, qui cumule pourtant à plus de trois mètres de hauteur !
Son buste est assisté par un appareil articulé qui lui forme comme une colonne vertébrale de dragon.
Ses deux bras démesurés sont remplacés par des prothèses extensibles aux doigts mobiles et bien trop nombreux, qui donnent à ses mains un aspect de tentacules.
Il n’a pas de jambes, mais des pattes d’aciers comme celles d’un monstrueux crabe.
Quant à son visage allongé et plissé de rides pendantes, il est soutenu dans ses mouvements par une sorte de minerve articulée.
Et pour parachever cet extravagant tableau mécanique, ses yeux sont substitués par huit lentilles rotatives de couleurs différentes, disséminées dans une plaque d’acier planté dans le crâne de l’Elfe gigantesque.
« Vous êtes l’envoyé du Shire. »
Il n’a pas ouvert la bouche, c’est un appareil relié à sa gorge qui a prononcé ces mots atones.
« Ou… oui… »
« Monsieur. » Complète le domestique, son ton parvenant à être sec pour une fois.
« Monsieur. » Répète donc le jeune contrebandier, pas assez idiot pour se risquer à être impoli.
« Eh bien ? J’attends. Votre capitaine devait me livrer. »
« Oh ! Oui… pardon… il m’a remis une lettre pour vous. »
Il tend l’enveloppe, dont l’Elfe se saisit sans mal avec ses nombreux doigts.
Il l’ouvre et la porte à hauteur de ses regards.
Après un temps, il froisse le papier.
« Savez-vous ce que votre chef vient de m’écrire ? »
« Non… »
« Il m’informe que le joyau que je lui ai commandé lui a échappé. C’est pourquoi il me propose de lui donner un délai. Je n’y vois pas d’objection. Mais quand je l’ai engagé, je lui ai bien stipulé les termes de notre collaboration… aussi, il m’écrit qu’il m’envoie le dédommagement que je lui ai demandé en cas de retard. »
Le jeune Centaure aval sa salive, sans trop savoir d’où vient son soudain malaise montant.
Le gigantesque Elfe déplie son énorme corps mécanisé vers son visiteur, alors qu’il continue
« Il ne vous a pas dit de quoi il s’agit, je présume. »
« Non… »
« Ceux qui me déçoivent doivent me donner l’un de leurs employés, afin que leur corps rejoigne ma collection. »
Le pauvre contrebandier ouvre la bouche dans un cri de douleur muet quand il sent son dos se faire labourer brusquement.
Il s’effondre, sans comprendre ce qui l’a touché exactement…
Quand il relève difficilement la tête, tandis que des points commencent à danser devant ses yeux, il voit le domestique qui s’approche de lui, ses mains s’étant pourvues de griffes redoutables, alors que son visage mince s’est allongé en un museau félin aux crocs aiguisés.
« Par le sang de Launique… Un putain de félidé-garou… et merde… » parvient-il à articuler, avant d’être frappé une nouvelle fois.
Il meurt rapidement, alors que les derniers mots qu’il perçoit sont : « Vous allez faire partie de la collection de monsieur le Collectionneur. Sentez-vous honoré. »
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