Dans un silence digne, douze Nains prennent place autour d’une table circulaire.

Le porte-parole actuel réajuste ses grosses lunettes sur son nez crochu, avant d’annoncer d’une voix traînante :

« Avant que débute la réunion des Grands-propriétaires, je signale que l’usurière Jonc-placide a quitté cette assemblée, pour être remplacé par madame Nigelle-hyperréaliste, émérite tailleuse de bois. »

Des applaudissements accueillent la nouvelle arrivante.

Cette formalité effectuée, le porte-parole reprend : « Bien, à présent, je propose que nous commencions la séance ! »

Il est approuvé, tandis que chacun s’empare des fiches qui lui font face.

La réunion se déroule sans anicroche, chaque point mis à l’ordre du jour passant tour à tour devant les Grands-propriétaires.

Financement pour la réparation d’un pont, préparation de l’arrivée prochaine d’une délégation Orc en visite diplomatique, débat sur le jugement futur d’un trafiquant d’art, demande de restauration pour certaines statues d’un temple de la périphérie des racines de la capitale … chaque chose est mûrement discutée et décidée collégialement.

Puis le porte-parole lit enfin le dernier point : « Ancolie-roublard, sculpteur de statuette et vendeur d’informations humaines, soumet une demande de séjour à durée renouvelable pour son associé, Faustin Veland, récemment excommunié paladin diurne de Lordrol. Il requière, en outre, une protection d’identité pour celui-ci. Qu'on le face entrer ! »

Un instant plus tard, Ancolie s’assoit à la place des réclamants.

« Votre double demande va vous coûter cher, l’ami. Pensez-vous pouvoir payer ? »

Le Nain hoche la tête sans hésiter.

L’un des membres des Grands-propriétaires se tourne vers le porte-parole.

« Que donne-t-il ? »

L’intéressé s’empare d’une liste, qu’il lit sans attendre : « Une statuette originale qui aurait dû figurer à la prochaine exposition des meilleurs sculpteurs du monde. Une dague de pierre de conception Halfeline de la période post-croisade Arpagnosio-Mahètrienne. Et un tableau familial du siècle dernier. »

Au fur et à mesure qu’il cite les œuvres, il les fait apparaître avec un sortilège basique de lumière incorporé dans le bois de la table.

Les membres approuvent poliment. Le payement semble équivalent à la requête.

« Très bien, cela devrait suffire. »

« Oui, ça ira. »

« Même en comptant la demande de protection d’identité ? »

« Ah effectivement, il y a ce détail… »

« On pourrait demander un droit de révéler ce secret après une période de, disons, deux ans ? »

Ancolie lève la main à cette dernière intervention.

« Non. Je réclame une protection à durée indéterminée. »

Les douze Nains se consultent du regard et échangent rapidement, avant d’arriver à un accord :

« D’accord. Mais cela coûtera un de vos secrets et un des siens. Acceptez-vous ? »

« Faustin m’en a donné la permission, oui. »

Aussitôt, on lui fait passer une effigie de Mystikdna, dont il se saisit respectueusement.

Les perles sculptées autour du cou de la déesse s’illuminent en vert, alors que l’artéfact consulte les souvenirs et secrets du réclamant.

Après un instant, dans son esprit apparaît une série de secrets pouvant équivaloir au prix de sa requête.

Il fait son choix, puis les annonces à voix haute.

Aussitôt, dans le temple principale, la statue de Mystikda enregistre l’obtention de ce secret par les Grands-propriétaires, l’ajoutant à la comptabilisation de leurs fortunes d’arts et de secrets.

« Très bien. » Conclut le porte-parole, « Votre associé peut désormais vivre à Kósmo-déntro ! »

Ancolie s’incline, puis s’en va après y avoir été autorisé.

Dès qu’il sort du bâtiment des Grands-propriétaires, il s’empresse d’aller héler un taxie-écureuil.

Une fois de retour dans les étages intermédiaires de la cité arboricole, il presse le pas jusqu’à retrouver l’enceinte protectrice de son petit manoir personnel.

C’est dans une chambre aux rideaux tirés qu’il se rend.

Là, Faustin sommeille, pour le moment assommé par les médicaments.

Doucement, Ancolie monte sur le lit, puis se love contre son ami.

« Réveil toi vite, mon andouille d’humain. »