Le Chef
Le chef. Le Chef ! Ah que le chef est grand, que le chef est fort, sinon il ne serait pas chef. Et Gorgyo Nonnsi Iskellia n’est pas cela. Comment diable est-il donc devenu chef ? Qu'importe, il se donnera bien lui-même.
La nuit est froide qui coule sur Praïzan, et avec ou sans torche, la nuit est sombre. Il fuit la torche, il fuit ce que la lumière va éclairer des êtres. Dans l'ombre, ils ont l'air si humains. Dans l'ombre, cette tour pourrait faire penser à une horlogerie. La nuit cache ces choses et la vérité dévorée se débat dans le ventre de minuit, la peau prend des formes humaines, cette tour de garde, d'où tonnaient les canons, prend la silhouette du temps qui passe en tonnant. De la Sacralité du Roi et de la débauche de ses gouvernements, livre deux, chapitre cinq, page de gauche, douzième ligne, d’Herry de Caston, mauvais auteur, le livre est bon : “Praïzan a peur.” 1258, pense Gorgyo, temps inquiet, déjà l'effroi était aux portes ; déjà dix tours devant les murs ; déjà on ramenait des canons de Sereaux, leur poudre et boulets et leurs eaux ; déjà une ville de mille ans craignait la guerre. Et il voyait dans ces pages de pierres le mot de ses livres, là la névrose des auteurs, ici les édits des grands effrayés, toujours le décret de Praïzan, qui a peur, qui a peur.
La torche le rejoint et alors qu'il entre dans la lumière il prononce ces mots : “Je ne sors pas de la nuit couard, ce soir, je ferais que nul n’y entre l’âme au trépas.”
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