Mauvais ingrédients et bon diner
La salle est fermée. Qu'importe. Les bougies sont lourdes et les ombres grignotent lentement la lumière. Qu'importe. Les monts et les monceaux d'aliments fument et les nez s'engorgent et les dents croquent et craquent et déchirent l'os de la viande, la viande du cadavre. Qu'importe ! Ce ne sont pas les ingrédients qui font les bons diners.
Quand Ztaav entra dans ce salon, le toit noir, les murs lointain dans cette pénombre proche, la porte aux gonds grinçant et à la poignée obstinée, la troupe était déjà assemblée. Un homme, qui ne peut se donner car il ne se connaît pas, Grandpont de son nom, mélangeait deux alcools devant Lok-en-santé, devant Lok le dolent. Et il accompagna ce verre de ses mots : "Gielkalo et Prepp. Gielkalo flotte. Prepp tombe. Et toi tu vole." Et Lok vola, droit dans le sol. Guérie d’une de ses maladies, ce dernier ne semblait pas hésiter à en chercher d’autres.
Gorgyo présenta Asquin peu après, quand tout le monde était assis et qu’on remarquait le neuvième inconnu qui, résigné, était à leur table. Il donna son nom, il n'y avait rien d'autre à donner sinon qu’il n’était pas malheureux d'être ici, qu’il resterait une nuit avec eux, et puis ils trinquèrent, non pas à la santé, plutôt à ces mots prononcé avec douleur mais sans fuite par leur chef : “Au compagnon qui dorment, à ceux qui cherchent le sommeil, et à ceux qui cette nuit le trouveront.”
Levons nos verres.
La troupe mange, chacun avec leur abandon, d’autres sans retenu. On se remplit de terre et de mer, et plus d’un cherche le ciel au fond d’un verre ; tous le trouveront à leur droite ou gauche. L’un chante, l’autre danse, on parle dans les coins, on roule sous la nappe, quelqu’un rit sur une table et l’on rate les blagues inratables. Gorgyo voit le neuvième inconnu sourire, un instant. Rien qu’un instant. Minuit ne se voit pas. Sur un mur, une ombre se cabre, se relève et grandis, vague contre la lumière et, immense, ouvre une gueule aux dents de bougies et parle d’une voix de Ztaav. Il déclame qu’on lui a enseigné un texte, une belle lettre, un sujet horrible, mais beau, très beau. Profoï le lui avait enseigné. Profoï, qui est Profoï ? Qui est-il qui imite les ombres sur les murs ? Il parle comme un autre, ni lui, ni soi, toujours un autre. Qui est Profoï le vide ? se demande la troupe. Lok hait. On danse, une table tombe et on danse en roulant. Kraka rote. Très soudain mais ainsi est Kraka. Elle déclare avoir un dieu du vent dans l’estomac, et il souffle de temps en temps tandis qu’au fond de la salle on entend tousser. Les ombres lentement quittent Askin, on le remplit à nouveau. Minuit est encore loin. On rit dans un coin, puis dans un autre, une bouteille saute, Lok avec. Grandpont n’a plus de Gielkalo. Quelqu’un cogne contre le mur, le Carco cogne en retour et Lok a peur d’être heureux. Une grenouille se fait entendre dans la salle au côté de cette vérité qui flotte : "Ztaav dit ce qu'il pense et Gorgyo pense ce qu'il dit." On a éteint une bougie, une voix alors propose de bruler le palais pour la remplacer. La voix n’aime pas l’architecture du lieu. A qui appartient-elle ? Comment la donner ? Ah, comme ça. La voix déclare à Ztaav qu’elle brûle d’envie de lui dire quelque chose. Ztaav répond : "crame bien.” Les cendres de cette voix appartiennent à un homme du nom de Mélékarine Narb Sabir, ou simplement Mélék. Les ombres vaguent entre les bouteilles vides alors qu’on chante une mauvaise chanson sur les sépes. Grandpont n’a plus de Prepp et le mot Niquedouille est prononcé. Lok se cache, il touche le rêve et le hait. De l’autre coté du mur, on demande le silence, à quoi Profoï répond que l’on dort après la mort, on lui rétorque que justement, on aimerait sommeiller. Askin rit. Minuit apparait à l’horizon. Lok veut savoir combien coûte une fleur de Trébles. Gorgyo ouvre un livre, petit le livre, sept cent pages seulement, on aurait pu faire plus, mille ! déjà mieux, deux mille ! déjà beaucoup. Mélék décide de parler et regrette. On entend Ztaav réprimander le jeune Lok, il lui dit ces mots sans détours : “T’es vieux, t’a un siècle dans la caboche, ton esprit il est né dans les boules de ton grand-père, l’a trouvé une sortie y’a vingt ans. Allez, souris et pite !” Kraka rit et plusieurs voix scandent que la baleine a soufflée. Grandpont parle à Gorgyo, il veut son avis sur son manuscrit. Grandpont a écris, comme à son habitude, au sujet de la justice. Kraka offre trois mille, déjà trop. Profoï imite la grenouille et l’on entend le mot Assonance quelque part dans la salle confuse de mots et de membres chauds. Askin se donne lentement au Carco, ainsi il se reprend. Minuit n’a plus de temps. Sous une table, on murmure que l’on veut l’épée, personne n’entend le mur crier que l’on veut la paix. Paix, Lok la voudrais bien. Grandpont a décidé de bruler son manuscrit et d’en commencer un nouveau. Quelqu’un fait le choix de dire Balsamique. Les ombres ont des couronnes et les rois chantent des chansons paysannes. Mélék, enfin, finit une phrase, malheureusement personne ne l’entend. Les ténèbres ont grimpés les murs, pendues au plafond elles font des bouches, les bougies leurs yeux. Lok dirait que c’est le silence qu’il veut, mais ce ne sont pas ses oreilles qui se déchirent ni ses poumons qui le tuent. On entend danser dans le mur. Quelque chose crépite au fond de la salle et Askin a oublié la mort.
Il est dit que les ingrédients ne font pas les bons diners, mais les compagnons font les repas mémorable.
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