Minuit
L’horlogerie donne les douze cognes de minuit, si l’horlogerie fonctionnait encore. Mais dans les cœurs de Gorgyo et d’Asquin, douze coups résonnent, tonnent et tonnent. Le chef écoute le temps, son carnaval qui approche et douze fois appelle. L’heure gronde, une fois, deux fois, ce soir on ne dort pas. L’heure gronde, trois fois, quatre fois, les murs sont longs et s'allongent. L’heure gronde, cinq fois, six fois, Asquin se souvient et ferme ses paupières. L’heure gronde, sept fois, huit fois, les ténèbres ont ouvert les yeux. L’heure gronde, neuf fois, dix fois, la porte est fermée. L’heure gronde, onze fois, douze fois.
Voici venu minuit dans le monde, heure de Poraxe et de Prégammon, heure du bien extrême et du mal immodéré qui ici s’accoupleront. Voici venu minuit, heure des médiocres mals et biens éphémères.
Gorgyo se lève.
Ils l’écoutent, et l’écouteront toujours, même après cette nuit.
“Je demanderais votre attention. En l’honneur d’un contrat passé avec le village de La Porte convenu ce jours-ci, contre quoi nous avons obtenu la nourriture qui nous rempli et un sommeil qui, j’espère, nous ravira de l’indignité dont nous aurons à nous acquitter ce soir, en l’honneur de ce contrat je dis, nous sommes chargé de la tête et du bras de la justice de La Porte, nous investissant ainsi du pouvoir de sentence et du droit d’exécution, pouvoirs et droits dont nous jouissons seuls dans l’unique affaire du jugement du meurtrier Asquin de la Mer dont la délivrance de la sentence ainsi que son exécution est dorénavant notre députation selon les termes du contrat.”
Personne ne parla.
“En d’autres termes, Asquin, qui fut jugé coupable du meurtre de quatre citoyens du village de La Porte il y a trois jours, est désormais à la merci de notre châtiment.”
Qui pouvait alors parler ?
Les tables furent poussées contre les murs, les chaises misent en demi-cercle, faisant face à Asquin, et les plus jeunes de la troupe n’osaient poser leurs questions. Gorgyo vit cela et demanda à Grandpont d’emmener Lok aux cuisines pour chercher de l’eau. Ils n’eurent pas l’impression de sortir de la salle en passant la porte. Sans témoins, les confusions n’ont pas peur de paraître et Lok posa sa question en toussant.
“Il se passe quoi ?
- Tu peux rester si tu veux, tu es encore malade.
- Je vais bien, il se passe quoi ?
- Sauvegarde des villages. Asquin appartient à Draone, un crime à La Porte, elle condamne mais les deux villages veulent droit de punition. L’un pour sa dignité, l’autre pour celle des victimes. Dignité donne de mauvais conflit. Les villages ont appris, peuvent pas se battre pour ça.
- Mais pourquoi nous ?
- Troisième parti. Neutre. Hors de politique des villages. On décide, personne n’est content, personne n’est furieux, problème disparait, pas de mauvais conflit. Pas de dignité non plus. Justice d’abandon.
- Mais on est… on est censé faire quoi ? Tu l’as dit, ils l’ont condamné, déjà condamné, qu’est-ce qu’on est censé faire nous ?
- Jugé coupable du crime, oui, mais sentence pas encore décidé. Justice de Praïzan, cœur, tête et bras : culpabilité, sentence et exécution. Nous, nous déciderons de la sentence et nous l’exécuterons.
- Mais, qu’est-ce qu’on sait de la justice nous ? Je suis encore en train d’apprendre à lire, comment tu veux que je puisse juger un gars comme lui, un gars- Putain, un gars qui est pas mauvais ?! Un aventurier ? Des nôtr- des vôtres ? Comment vous pouvez le jugez ?
- Tu es bien rapide à juger de sa bonne nature.
- Oh toi je vais te-
- On ne juge jamais une personne, mais toujours un criminel, si tant que la justice nous intéresse. Mais ici, ce n’est pas justice, ce n’est que politique.
- Un criminel- Mais ? Et si on décide qu’on aime bien la personne ? Comment tu veux la séparer du criminel ? Si on aime bien, et qu’on donne une trop bonne sentence, les villages ils sont toujours contents ?
- Non, pas toujours content. Solution : sentences potentiels décidés par villages lésés. Deux choisis, ce sont les mêmes. Pas de justice, juste politique. Juste survie des villages. Parfois, les débats font naître de bons arguments, les villages ont déjà acceptés de nouvelles réponses. Mais ici… Etrange.
- Et nous on suit comme des chiens ? On va condamner quelqu’un qu’on connait pas, pour un crime dont ne sait rien ?!
- Savoir… Étrange, Gorgyo aurais fourni un dossier, prévenu avant. Lok, normalement les villages fournissent, si ce n’est justice, au moins un dossier. Sans informations sur le crime, comment juger le criminel ?
- Bah alors faut y retourner, voir le maire du village !
- Non. Mauvais maire, fait attention à lui, Lok. Il y a des gens qui ont des clés pour toutes les portes du monde, ils ouvriraient ton cœur puis ton ventre.
- On peut juste leur dire qu’on veut pas le faire ? On leur repaye la nourriture et le logis ? C’est même pas leur foutu palais en plus, c’est toi qui nous as ouvert les portes, Grandpont. Pourquoi on a besoin d’eux ?
- On ne brise pas un contrat avec les villages. Et je sens que le contrat était plus complexe qu’il n’en dit.
- Alors on fait quoi ?
- Nous oublions la justice, vous crachez sur votre dignité et Praïzan pleurera pour Asquin.
- Votre ?
- Perdu il y a longtemps. Revenons.”
Devant la porte, Lok posa une dernière question.
“Grandpont, c'est quoi Poraxe, Prégammon ou je sais pas quoi ?
-Conte Kyonnite. Poraxe et Prégammon, mal et bien. A minuit, on eu un enfant, mauvais et bon et nul des deux. Il s’appelait Prokiana, la justice. L’idée ne me déplait pas, j’écrirais peut-être dessus. Où as-tu entendu ça ?
- C'est rien, c'est pas grave. ”
Jamais sorti, ils entrèrent, et plus jamais Lok ne sortira.
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