Chapitre 13

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Je vois des champs, qui au contraire des rangées mornes de tubercules rabougris que je connais, débordent des progénitures de la terre. Je vois l'ombre mouchetée que dessine le feuillage d'un arbre en vie. Je peux même sentir une brise fraîche soulever mes vêtements lorsque je me tiens juste en dessous. Plus loin, j'entends le clapotis d'une eau agitée. Une rivière ! Vivante et nerveuse, elle coule d'une eau si claire qu'on la croirait immaculée. En amont, un claquement plat et régulier attire mon attention. Une sorte de roue dentelée tourne, soulevée par la force du courant. Comme si une sorte de magie réemployait l'écoulement naturel de l'eau pour le convertir en énergie. Je découvre d'ailleurs un humain qui s'affaire sur cette structure énigmatique. Il ne me voit pas. Parce qu'il est de dos ou parce qu'il ne peut pas me voir ? Il a des vêtements propres et en bon état, mais beaucoup trop léger, nos balles le transperceraient facilement. D'un réflexe, ma main se dirige vers ma ceinture où est habituellement rangé mon Smith, mais je réalise alors que je n'ai pas de ceinture. Ni de main.

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Un chat joue sur les remparts, il chasse un rongeur et prend de l'aplomb pour se préparer à l'assaut. Je le suis jusqu'à une charmante roseraie, taillée de façon millimétrique. Du sable pave l'allée comme une touche de luxe. Le sable est notre lot quotidien, ici il ressemble à une denrée rare. Le rongeur se faufile derrière les fissures du mur. Le chat le poursuit en passant sous l'embrasure d'un portail en fer forgé. Je m'en approche et admire le travail de finition des têtes. J'essaye d'y voir quelque chose à travers des barreaux. Rien. C'est comme si l'on avait dressé un écran noir de l'autre côté. J'essaye d'ouvrir la grille. Je ne peux pas. J'essaye de l'escalader, de passer au travers. Rien du tout. L'exploration s'arrête ici.

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Une ville. Une ville immense à l'architecture jusqu'ici jamais rencontrée. Loin des armatures en bétons disgracieuses qui font le squelette des villes mortes que nous chassons. Celle-ci se meut en arrondis et en couleurs chatoyantes, les murs semblent faits d'agglomérats de terre cuite ou d'argile, sans pour autant renvoyer une impression de construction bancale. Bien au contraire, le bouquet de bâtiments pointe fièrement vers le ciel ; colline de maisonnettes, allées bordées d'arbres chauds et de pavés frais. Des ponts et tunnels rendent l'ensemble traversier, mais impossible d'en discerner plus de détails. Dès que l'on s'approche, la vision se floute. Se pixellise ? Comme si la ville rechignait à laisser couler le moindre détail hors d'elle. Elle garde jalousement sa chaleur et son intimité.

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Zilla

Encore embarqué dans les senteurs florales de ces jardins inconnus, je me sens glisser mollement, mais sûrement de mon bolide. Lorsque je sors, brutalement, de ma rêverie, il est déjà trop tard. La moto s'incline à cent quatre-vingts degrés et le sol n'est plus qu'à quelques centimètres de mon visage. J'ai tout juste le temps, dans un réflexe inespéré, de rétracter mes bras autour de ma tête pour la protéger. Mon épaule droite encaisse le choc. Une douleur sourde la vrille aussitôt. Douleur qui ne s'explique pas uniquement par le choc qu'elle venait d'amortir sur le sable. Je me rappelle de la balle qui m'a transpercé le bras, juste au-dessus du biceps. Je serre les dents quelques minutes en me roulant dans le sable, le temps que la brûlure cuisante du choc s'estompe légèrement. Je reprends alors, haletant, mes esprits. Il n'y a rien autour de moi, rien d'autre que le cadavre, en voie de calcification, d'un arbre. Et du sable, toujours du sable. Plus de signe de la ville ni des combats. Le calme.

Je souffle bruyamment et tente de ramper sur le dos jusqu'à l'arbre. Je me sers du tronc sec pour me hisser en position assise. Puis je reprends ma respiration. J'avise à quelques mètres d'ici la Triumph qui m'a évacué loin de ce guêpier. Et qui sera probablement la cause de ma perte. Avec ma blessure, j'ignore comment j'ai pu conduire jusqu'ici, mais je sais que je ne pourrais pas repartir.

J'essaye de ne pas penser à l'étrange éventualité d'achever ma route ici, contre cet arbre, aussi desséché que lui. Qu'est-ce qui m'a pris de filer inconsciemment ? Une suite logique à mon isolement progressif au sein de ma propre famille, dont je n'arrive plus à me sentir proche en dépit de mes efforts ?

Ne cherche pas si loin, Zilla. Tu t'es pris un plomb, t'as disjoncté et ton corps a fait ce qu'il maîtrise à la perfection sans l'aide de ta tête : piloter.

Je ferme les yeux et tâche de faire appel à mes souvenirs les plus frais. Je suis descendu dans la mêlée, y ai semé un beau carnage, et après ? J'ai vu Os. Il était planté là. En face. À quelques mètres à peine du champ de bataille. Toujours aussi chétif, toujours aussi foutrement inconscient, mais loin d'être aussi vide qu'avant. Il semblait animé, réactif... presque... vivant ?

Après cela, une femme aux traits et à la coupe d'homme, engoncée dans ses vêtements épais ou renforcés, s'est interposée dans ma vision et m'a attaqué. C'est à ce moment-là que le fil de l'histoire devint flou. C'est comme si j'avais perdu le contrôle de mes gestes ou plutôt, qu'ils s'étaient exécutés d'instinct, pour se calquer à ceux de mon adversaire.

Je crois comprendre que, d'une étrange façon, ma conscience a fusionné avec celle d'Os. Il nous est parfois arrivé la même chose lors du sexe. D'étranges moments où son esprit s'imbriquait au mien avec une telle proximité que j'avais l'impression que nous ne formions plus qu'un tout uniforme. La sensation fut similaire lors du combat. Je savais quel geste exact la guerrière allait effectuer et à quel moment précis. Jamais cela n'aurait été possible sans son aide. Mais pourquoi m'aurait-il aidé au juste ? N'est-il pas censé avoir changé de camp ?

Je n'aurais jamais de réponses à ces questions si je crève ici comme un con.

— Ah Larry... Dans quels beaux draps t'es-tu encore mis ?

Je sursaute et rouvre les yeux instantanément. La nuit s'est bien installée, troquant la chaleur cuisante de la journée par un air glacial, ainsi que les derniers rayons de soleil étouffés par l'horizon noir. La lune nous fait tout de même grâce de son halo faiblard. Je plisse les paupières pour tenter de discerner, dans cette quasi-obscurité, la silhouette qui vient de me parler. Il n'y a personne. Pas le moindre souffle, pas le moindre bruissement.

Ben voyons Zilla, la balle t'aurait percuté la caboche que j'aurais pu comprendre que tu débloques, mais là, rien ne va plus.

Je m'adosse à mon tronc et me replonge dans cet état de divagation semi-halluciné, comme pour pourchasser la voix. Et je la vois. Vision floue qui se reforme comme un collage, morceau par morceau. C'est une femme aux cheveux blonds, comme les miens, soignés, contrairement aux miens. Son visage irradie d'une lumière surréaliste, à moins qu'il ne s'agisse de l'éclairage aigu d'une pièce bardée de néons artificiels. Mais ses yeux doux, verts de jade, et son sourire chaud sont d'une indéniable sincérité. À ses oreilles pendent deux bijoux lourds et colorés, un col blanc soyeux épouse son cou. Et son ventre... Son ventre est rond comme un ballon. Elle parle à nouveau.

— Ils disent que tu ne peux pas avoir une greffe biologique, car tu es sur liste noire. Enfin... il paraît qu'ils font de très bonnes prothèses bioniques maintenant. La cicatrisation sera juste un peu plus longue.

Qui es-tu ? J'essaye d'articuler ma question, mais rien ne sort. Je veux lever ma main, la tendre vers sa joue, effleurer cette peau qui paraît si douce. Mais je découvre alors que de main, il n'y a point. Juste un moignon enveloppé de gaze, coupé net sous l'épaule.

Je me réveille en sursaut, suffoque dans un état de panique rarement ressenti avec une telle intensité. Premier réflexe, porter ma main gauche à mon bras droit. Il est toujours là. Blessé, mais encore en un seul tenant.

C'était quoi ça ?

Je masse avec deux doigts l'arête de mon nez et secoue la tête assez fort pour me ressaisir. Étrangement, je me sens mieux. La douleur dans mon bras s'est estompée. En fait, je ne ressens plus rien dans le bras tout court, ce dernier est comme anesthésié. Mon corps fébrile se sent traversé d'une nouvelle énergie. Sans doute Talinn parlerait-il de boost d'endorphine différé ou d'une connerie technico-scientifique du genre.

Il faut que je me magne. Cette ville emmurée et encerclée de vert, cette femme lumineuse et propre sur elle, aux yeux calqués sur les miens... Ces visions cryptiques à deux balles ne doivent pas me détourner du présent : à savoir qu'une armée de femmes testostéronées tenait tête à mon armée et que j'ignore, à l'heure actuelle, ce qu'il en reste. Et s'il en reste quelque chose, nul doute que Grimm aura su profiter de l'occasion pour vendre ma mort ou ma lâche désertion.

Alors Zi, tu vas redresser ta caboche, monter ta carcasse sur cette moto et filer vers ces lumières là-bas qui appartiennent à l'un ou l'autre des camps.

Enfin... Il n'y a pas que les Rafales dans cette histoire... Os. Oui, Os en saura sans doute davantage sur ces visions. J'ai même l'intime conviction que lui seul pourra me dire où va la suite de mon destin.

Mais pour cela, je dois commencer par le commencement : reprendre le contrôle des Rafales pour de bon.

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Fen

Le cul enfin posé à quelques mètres du feu de camp, je mâche sans y penser une ration de viande séchée. Je n'arrive pas à la savourer. Mes yeux rivés sur les flammes au loin sont comme hypnotisés par cette danse. Je suis littéralement vidé. Et je ne suis pas le seul.

Les combats se sont interrompus à la tombée de la nuit lorsque la chape d'obscurité a rendu les affrontements trop compliqués. Pour autant, la pause n'est pas pour tout de suite. L'heure est au bilan.

Je retire ce que j'ai dit plus tôt : la grosse Bertha n'était pas de trop, loin de là. Sans cela, c'est probablement elles qui nous auraient roulés dessus. Faut dire, on s'attendait pas à les trouver à ce point armées jusqu'aux dents. Quant à nos stratégies habituelles, elles ont été contrées comme un jeu d'enfant par leurs défenses adaptées. Mais pour le coup, c'est nous qui sommes cons. Fallait bien se douter que le Nonosse les aurait préparées.

L'aile de Wolf a salement encaissé. Le brave molosse reste droit dans ses bottes, mais est quand même revenu la queue entre les jambes à la base. La moitié de ses hommes ont été décimés et la moitié de la moitié s'est fait capturer. Grimm a été plus chanceux de son côté. Il n'a perdu que quatre de ses gaillards, pour autant il ne fait pas le fier non plus.

Une chose cependant aura rafraîchi son foutu sourire insolent :

— Je vous jure que je l'ai vu ! Le chef s'est barré fissa vers l'est ! Moi je vous le dis, il s'est fait dans son froc en voyant qu'on prenait cher. S'il revient, pas de pardon pour cette lopette !

J'aurais aimé croire que Grimm racontait des salades, un récit bien accommodant pour celui qui aspire à finir calife à la place du calife. J'aurais préféré croire le chef blessé ou capturé par l'ennemi plutôt que ça. Pourtant, toute la brigade rapporte le même témoignage, y compris Ramsay et River. Or j'ai plutôt tendance à les croire, les frères R.

C'est le monde à l'envers : Zilla qui nous abandonne et Luth qui revient, acclamé d'honneur, avec une otage. Une putain d'otage !

Avec elle, plus la bodybuildeuse lanceuse de grenade, ça nous fait deux prisonnières. Contre plus ou moins quinze en face – on n'est pas exactement sûr pour le compte des morts – ce n'est assurément pas à notre avantage.

Mais en face aussi, ils ont perdu leur cheffe, tranchée par Zilla à ce qu'il paraît. Maigre consolation.

Pourtant, ce n'est pas pour cela que mon esprit demeure aussi embrumé. Cette vision, cette ville étrange et tout ce... vert. Nous l'avons tous expérimenté, ennemis compris, au même moment. Impossible de dire combien de temps cela a duré, mais ça nous aura tous profondément chamboulés. C'est sans doute cela la vraie raison qui nous a poussés à marquer une pause dans les combats.

Qu'est-ce que c'était ? D'où cela venait-il ? Et pourquoi ? Pour faire passer quel message ? Y'avait-il seulement un message à en tirer ? Vision réelle ou fantasme halluciné ? Tant de questions et mon intuition me souffle que le petit Os en saurait quelque chose, lui. Mais il n'est plus là.

Je pousse un large soupir puis porte ma main à la poitrine. J'avais oublié cette saloperie de blessure. Même si la balle n'a pas pénétré mon cuir de peau, elle m'aura quand même fichu un hématome assez douloureux pour rappeler sa présence à chaque respiration.

Des cris aigus fusent dans mes oreilles. Grimm et sa bande, à quelques mètres, près du feu. Ces enfoirés festoient sans décence. Comme si on pouvait appeler ce fiasco une victoire. « Les morts ont besoin d'un barouf d'honneur pour rejoindre les chevauchées ardentes ! » qu'ils justifient. Peut-être bien. D'ailleurs ils pensent que la vision provient du Saint Chromé : c'est l'extinction de tant de braves combattants d'une traite qui aura généré cette hallucination commune. Pas impossible.

Quoi qu'il en soit, je n'ai pas la tête à me saouler ou à me dégondoler avec eux. Pas alors qu'une bande de sauvageonnes, stationnée à moins d'un kilomètre, peut à nouveau attaquer et ravager ce qu'il reste de nos rangs en une nuit. Pas alors que je n'arrive à me décoller de l'impression que Grimm célèbre déjà son intronisation. Et vu qu'on ne tiendra peut-être pas jusqu'à demain, il n’a pas tort de la fêter dès maintenant.

J'attarde mon regard sur la provenance des cris. La fille que Luth a ramenée, une brunette aussi frêle que mignonne, à peu près l'exacte opposée de sa comparse, aussi dans nos chaînes, se débat dans l'étreinte de Karim. Saisie sous la poitrine, les membres coincés sous l'imposant tour de bras de l'ailier qui la ramène au centre d'un cercle qui s'agrandit à mesure que ses cris résonnent, elle s'époumone en gesticulations vaines qui font rire l'assemblée goguenarde. Daib l'attrape par les pieds tandis que la force de Karim la maintient en l'air. Il tire son pantalon et révèle au public un pubis à la toison vivace et à la fente suintante comme la rosée du matin.

D'ordinaire, je n'aurais manqué pour rien au monde un spectacle aussi alléchant, ce soir, je détourne les yeux. Ce n'est pas le bon moment.

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Wolf

Cœur touché. Cœur pincé. Moral en berne, j'ai retrouvé mes compagnons bien gris. Même le soulagement d'avoir survécu ne contrebalance pas le sentiment de gâchis immense que j'éprouve à avoir vu partir huit de mes frères, presque ma chair. Mes chers. On dit Wolf solide. La tête sur les esquilles. Bien bâti en dehors et en dedans. Ce n'est qu'avec l'habitude qu'on encaisse l'inéluctable. Alors je prends tout. Je prends tout sur moi et je trace. Adieu les gars ! La beauté de ce film onirique projeté de nulle part me rassure sur votre sort. Si c'est bien là-bas que vous êtes allés, comme dit Grimm, au moins vous serez mieux nichés qu'ici-bas.

Mais mon réconfort trouve une autre source. Je reviens du soigneur de bobos. Bon job qu'il a fait sur mes trois égratignures et mes bébés brûlures. Y'avait plus urgent que moi à traiter, mais fallait bien s'y coller quand même. C'est là que je l'ai vue.

Daib la guidait en sens inverse. Yeux écarquillés et flétris d'effroi. Et pourtant, jamais vu visage si beau. Deux pépites d'or brun qui flashent sur un drapé velours. Balayées aux brises, des mèches soyeuses et souples charrient les bords de ses joues rondes comme des enjoliveurs. Un geste inconscient de frayeur pince ses pauvres lèvres pleines et humides. Je m'efforce d'imprimer sur ma rétine cette vision fantasmagorique. Une seconde, et déjà, elle s'évanouit dans le sillage de Daib.

Je continue ma route. Pas mes histoires. Et pourquoi pas ? Je peux pas m'empêcher : coup d'œil par-dessus mes épaulières. Flammes hautes et chaleureuses. Rituel de tribu. Les hommes ont leurs besoins. Tu connais la chanson, Wolf. Toi-même tu t'es livré à ces agapes. Rarement par envie. Souvent pour suivre la frénésie collective.

Ce soir, ce n'est pas un bon soir. Pas la tête à ça. L'humeur n'y est pas. Trop de douleur à écouler en silence et en patience. Mais la fille ? La vision se refait claire sous mes paupières. Ce visage de l'innocence, cette bouille terrorisée comme un fennec pris dans un moteur. Est-ce que tu peux vraiment laisser cela en pâture à leur voracité, Wolf ?

Je ne suis pas chef. Ce n'est pas moi qui décide. Mais Grimm non plus. Et si Grimm a son mot à dire alors pourquoi pas moi ?

Talons retournés. Pas en retour. Je gagne la lueur des fêtes et arrive alors que cette grâce du Chromé est bafouée dans sa pudeur. La volupté de ce corps fin fragile... Non, Wolf, concentration !

— Ça suffit ! Laissez-la tranquille ! À quoi vous jouez ?

Quelques esclaffements répondent à ma harangue. Beaucoup ont déjà bu. Pour oublier cette journée noire. Pour passer à autre chose.

— T'as besoin qu'on te fasse un dessin, Wolf ?

Le ton est sur la moquerie, la taquinerie. Un instant, je doute. Est-ce que je peux réellement les convaincre ? Ils se stoppent net. Temporairement. Parce que je viens leur offrir une autre distraction.

— Au cas où cela vous aurait échappé, nous n'avons pas l'avantage du nombre de prisonniers. J'ai au moins quatre camarades dans leurs griffes. Et nous ? Deux seulement ! Je veux revoir les miens, et il y a intérêt à ce que nos prisonnières soient bien traitées si vous voulez espérer leur clémence. Allons quoi ? La vie de nos frères vaut-elle moins qu'une petite bouscule ?

Je ne vois pas leur réaction. Mes yeux sont coincés sur le trésor de beauté. Son air effrayé reste figé sur sa figure, mais je crois y discerner, petit à petit, comme une flamme d'espoir qui se ravive. J'entends leurs murmures, en revanche. Ils doutent.

— Fais pas chier, retourne à la niche gentil clebs, on va pas te l'abîmer, la minette. Chiche que je t'en laisse même une part pour toi. Content ?

Mon regard ne se détourne pas d'elle. Grimm n'en vaut pas la peine. Je l'ai suffisamment pratiqué. Bon pour aboyer, moins bon pour agir. Je le devine plus que je ne le vois sur ma gauche. Je lui attrape le poignet et le tords dans une clé de bras. Il crie, il plie et il crie à nouveau, courbé en deux. Plutôt, il vocifère.

— Lâche-moi, foutue merde ! Tu te crois où ? C'est moi qui commande maintenant ! Alors t'as intérêt à pas jouer à ça !

— Faux.

Des têtes visent une autre scène, plus loin derrière moi. Pas besoin pour ma part, je reconnais la voix de Fen. Il a fini par sortir de sa torpeur pour intervenir ? Ça m'étonne pas. Même au bout du rouleau, Fen a ce talent de ramener toujours au bon moment ses talents diplomates pour calmer nos échauffourées tribales.

Son regard est affligé, mais sa barbe tressaute. L'ultime sursaut du devoir quand le cœur n'y est pas. Rarement vu les Rafales plus au bord de l'éclatement. Point de non-retour.

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