Chapitre 1

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 Théo passait la serpillière en silence. Il était passé en mode automatique, toutes ses pensées tournées vers la soirée de la veille. Alors que ses amis jouaient gaiement à Mario Kart sur la Switch, étalés sur le canapé, tout ce que Théo ressentait était de la honte. Et peut-être un peu de dégoût. Il poussa une chaise afin de pouvoir mieux frotter le sol là où un verre avait dû être renversé. La soirée avait pourtant parfaitement bien commencé. Il avait assuré, puis il avait dérapé. En temps normal, il aimait les lendemains de soirées, il aurait adoré entendre ses amis s’amuser et il se serait dépêché de ranger. Mais ce jour-là, il prenait tout son temps pour passer la serpillière, s’attardant sur les détails, peu désireux de les rejoindre. D’ailleurs, il avait hâte qu’ils partent et qu’il puisse retourner se coucher. Il ne se sentait pas bien : l’alcool lui restait sur le foie et il ne pouvait se sortir de la tête l’image de sa cousine partant les cheveux dégoulinants et le regard blessé. Il se détestait.

 Alors qu’il passait de la cuisine à la salle à manger, plongeant une nouvelle fois la serpillière dans son seau, il se remémora la soirée, cherchant à quel moment ça avait dérapé.

***

La veille :

 Son cœur vibrait au rythme des basses. Théo se faufila entre les corps discutant et dansant, en direction de l’entrée. Une fille retint son bras, il s’arrêta pour lui indiquer où étaient les toilettes ; une deuxième lui demanda si elle pouvait changer la musique et il l’envoya voir Thomas, son meilleur ami de toujours ; plus loin, un verre se pencha dangereusement vers lui et il le retint, souriant à son propriétaire. Il atteint enfin la porte d’entrée qu’il ouvrit d’un geste théâtral, laissant éclater un grand sourire à destination de ses derniers invités.

 — Mec, j’ai cru que t’allais jamais arriver !

 Dehors, le soleil finissait de se coucher, teintant le ciel en orange.

 — La faute aux meufs, répondit son ami en indiquant les deux filles derrière lui.

 — On voulait pas venir avant que la fête ne commence, dit l’une d’elle.

 Théo leva un sourcil moqueur et leur fit signe d’entrer. Après une grande tape dans le dos de son ami, il s’exclama :

 — Bon, alors ce grand oral, t’as géré ?

 — Ecoute, ça s’est pas trop mal passé. Et merci d’avoir décalé la soirée pour moi, c’est cool.

 — Eh ! J’allais quand même pas te laisser de côté, sourit Théo.

 Un mouvement dans son champ de vision attira son attention : un pote lui faisait signe au niveau de la table où se déroulait un bière-pong. Il leva la main en réponse et reporta son attention vers les nouveaux arrivants.

 — Les boissons sont dans la cuisine, les toilettes dans le couloir, première porte à droite. Je vous laisse profiter de la soirée, je crois qu’on m’attend !

 Son ami hocha la tête. Théo s’éloigna mais eut le temps d’entendre l’une des filles s’extasier devant la taille de la maison et des meubles. Il grimaça. Une grande maison vide, c’était génial pour les soirées, ça l’était moins pour y vivre. Théo secoua la tête et se dirigea vers le groupe qui préparait la table de bière-pong.

 — Théo ! Viens dans mon équipe, qu’on démonte tout ! s’exclama Thomas.

 Il sourit : c’était l’été, le bac était passé et il était entouré de tous ses amis, que demander de plus ? A présent, sa serpillière dans les mains, il aurait tout donné pour pouvoir revenir à cet état de la veille, remonter le temps et faire tout ce qui était en son pouvoir pour que cette pensée existe toujours.

 L’alcool devait commencer à monter car il n’avait jamais été aussi nul pour viser les verres d’en face. C’était bien aussi : ça faisait rire tout le monde. Et, à sa décharge, les changements de couleur des jeux de lumière n’aidaient pas à sa concentration. Lorsqu’il échoua à mettre le dernier point et que l’équipe adverse gagna, Thomas le souleva pour l’envoyer s’échouer au fond de la piscine. Théo émergea avec un grognement, les habits lourds d’eau.

 — Viens prendre ton shot de perdant ! entendit-il sans savoir qui lui parlait.

 Il s’appuya sur le rebord pour sortir de la piscine sous les sifflements de ceux qui étaient dehors. Ça le fit sourire. Il prit son shot cul sec puis retira son t-shirt collant. Un autre shot apparut sous ses yeux qu’il prit également, incapable de savoir ce qu’il était en train de boire. Thomas lui jeta une serviette qu’il noua autour de sa taille. Le rafraîchissement apporté par le passage dans la piscine fut de courte durée et, quand il rentra, il eut l’impression qu’il faisait encore plus chaud que dehors. Il allait devoir mettre la climatisation à fond le lendemain pour survivre à l’été montpelliérain.

 — Théo ! cria une fille. Viens jouer à Action ou Vérité avec nous ! On commence à s’ennuyer.

 Il leva les yeux au ciel, mais suivit docilement sa désormais ancienne camarade de classe jusqu’au salon. Il savait qu’il avait fini le lycée mais il n’avait pas encore pleinement réalisé, comme si seulement une partie de son cerveau était au courant.

 Un flash de cheveux roux entra dans son champ de vision : sa cousine se dirigeait vers lui. C’était ce moment où la soirée avait basculé, tout ça parce qu’il n’était plus capable de réfléchir.

 L’année précédente encore, elle se tenait droite, le menton haut, et mettait au défi qui que ce soit de la regarder de travers. Mais depuis quelques temps, son regard était vide, ses yeux plus gris que verts, ses épaules affaissées et son sourire peu convaincant. Elle tentait de faire bonne figure mais Théo voyait bien que ça lui coûtait.

 — Tu rentres, Cami ? lui demanda-t-il quand elle fut plus proche.

 — Ouais, je suis fatiguée…

 — Dommage… T’as passé une bonne soirée quand même ?

 Son regard était fuyant, dirigé quelque part dans le dos de Théo, d’où s’échappaient quelques rires de ceux qui s’étaient lancés dans un Action ou Vérité.

 — Ça va, finit-elle par répondre. C’était cool, merci d’avoir orga.

 Elle leva à nouveau les yeux derrière l’épaule de Théo au moment où il sentit une main s’y poser.

 — Bah ? Tu pars déjà poupée ?

 — L’appelle pas comme ça ! grogna Théo.

 Camélia ne répondit pas et se concentra sur Théo.

 — C’est dommage, tu devrais rester encore un peu, on joue à action ou vérité, les filles aiment ça non ?

 — Mec, t’es lourd, répondit Théo avec un rictus.

 — Et toi tu la laisses partir trop facilement, pense à tes potes un peu.

 L’information mis quelques temps à monter au cerveau de Théo, les shots étaient en train de faire effet.

 — Non mais ça va pas ? Tu touches pas à ma cousine !

 — Elle a pas attendu ton accord pour toucher aux mecs, ricana-t-il.

 Camélia baissa la tête et se racla la gorge.

 — Bon, ben, à plus !

 Elle fit mine de partir mais l’ami de Théo s’avança pour la retenir.

 — Reste j’te dis, on n’a même pas eu le temps de discuter, wallah t’abuses.

 Elle leva les yeux vers Théo qui ne broncha pas, au contraire il regarda l’heure et remarqua :

 — C’est vrai que c’est même pas minuit en fait, tu peux rester jusqu’à une heure non ? Ça te changera les idées.

 Deux mois auparavant, Camélia aurait sûrement gueulé et serait partie la tête haute. Ce ne fut pas le cas : elle soupira et accepta de rester un peu plus avec eux, pour Théo.

 — Allez, venez jouer avec nous, ça va être cool.

 Théo passa un bras autour des épaules de Camélia et accepta de suivre son ami.

 — Tu seras mieux là qu’à tourner dans ton lit sans dormir, lui chuchota-t-il dans l’oreille.

 Pour qui s’était-il pris au juste, alors que ça faisait deux mois qu’il trouvait des excuses pour éviter d’être seul avec elle ?

 — Tu pues l’alcool et t’es trempé.

 Il rit, secouant la tête comme le ferait un chien mouillé puis galéra à s’asseoir dans le cercle avec sa serviette autour de la taille.

 Le Action ou Vérité avait muté en Action ou Action. Cette version n’était probablement même pas drôle, mais pris dans l’ambiance de la soirée, l’alcool coulant dans ses veines, Théo se prit à rire franchement aux défis plus débiles les uns que les autres. Sa cousine était à ses côtés et souriait de le voir heureux.

 — Tu regrettes pas d’être restée Cami ?

 Elle secoua la tête, la peau successivement violette, bleue et rouge des lumières ambiantes, mais il ne sut pas déchiffrer l’expression de son visage.

 — Je suis content que tu sois venue tu sais.

 — Oh mec, arrête de faire le fragile là, l’apostropha un ami. Allez, c’est à toi. Action ou action ?

 — J’ai comme l’impression que je n’ai pas le choix.

 Le sourire en coin de son ami aurait peut-être dû mettre la puce à l’oreille de Théo mais il sentait son esprit s’embrumer davantage. D’ailleurs, il avait un verre dans les mains qu’il ne se rappelait pas avoir demandé. Il but une gorgée, ne sut pas ce que c’était, haussa les épaules et retourna son attention vers son ami.

 — Allez, va pour ton action.

 — Pas mon action mais mes actions, ricana-t-il. C’est la nouveauté, tu choisis : embrasse la personne à ta gauche ou bois la moitié de ton verre et renverse l’autre moitié sur la personne à ta droite.

 Théo tourna la tête vers sa gauche pour y trouver une fille de sa classe qui avait toujours été très collante, à sa droite pour y trouver sa cousine. Clairement, son ami le piégeait. Théo n’avait aucune envie d’embrasser cette fille qui ne l’intéressait pas du tout. Il était encore assez conscient pour savoir que c’était foireux d’avoir son premier baiser en soirée, en plus avec une fille qui risquait d’en vouloir plus encore. La deuxième option semblait préférable, de toute façon il n’avait plus grand-chose dans son verre, ce ne serait pas si terrible, n’est-ce pas ? Cami avait ses aises à la maison, elle pourrait se changer facilement, n’est-ce pas ?

 Son esprit brumeux ne réfléchit pas plus longtemps et il leva son verre à ses lèvres sans entendre les protestations de sa cousine. Les encouragements de ses amis l’enveloppaient. Sa langue était lourde. Il se tourna vers Camélia, affichant ce qu’il pensait être un sourire désolé sur les lèvres, mais il ne ressentait plus son corps. Elle eut un mouvement de recul, vite arrêtée par un des mecs qui la retint par les épaules. Sa mâchoire tressauta.

 — Théo… supplia-t-elle.

 — Déso, murmura-t-il.

 Et il pencha son verre au-dessus de sa tête qu’elle baissa en signe d’abandon. Elle frissonna lorsque le liquide collant ruissela le long de ses cheveux et elle se releva sous les applaudissements.

 — J’y vais, amusez-vous bien, marmonna-t-elle, la voix tremblante.

 Théo la regarda partir, incapable de se lever pour la rattraper, lui proposer une douche, s’excuser… Son corps était lourd, son esprit brumeux, ses amis trop enthousiastes.

 Le reste de la soirée disparut derrière un voile.

***

Le matin :

 Théo se réveilla avec un mal de tête carabiné, ses yeux s’ouvrant difficilement et la bouche pâteuse. Il mit quelques instants à s’adapter à la luminosité, ses volets n’étaient pas fermés. Il ne savait pas comment il avait atterri dans sa chambre, en travers de son lit. Avec une grimace, il se redressa. Son radio réveil indiquait 9 heures 15 mais son portable n’était pas en vue. Il fronça les sourcils en réalisant qu’il était torse nu ; ce n’était pas son habitude.

 Une fois qu’il eut revêtu un t-shirt, il descendit pour retrouver la table de la cuisine couverte de cadavres de bouteilles, de verres, vides ou pleins, et le sol accueillant ceux qui n’avaient pas eu le courage de trouver une chambre. Thomas sortit de la salle de bain, une brosse à dents dans la bouche, pour saluer Théo. Il avait un peu de dentifrice sur son début de barbe.

 — Sois un peu pudique et mets un t-shirt mec, soupira Théo.

 Les yeux bleus de Thomas pétillèrent d’un sourire qui n’atteignit pas ses lèvres et il retourna dans la salle de bain. Il en ressortit quelques secondes plus tard, habillé, passant une main dans ses cheveux blonds qui commençaient à devenir un peu longs, retombant parfois sur ses yeux.

 — Que t’es mignon, rit-il.

 Théo se détourna en sentant ses joues rougir et entama le grand nettoyage en récupérant verres et bouteilles, slalomant autour des corps au sol qui commençaient à s’agiter.

 — Ta cousine est bien rentrée ?

 Théo se stoppa dans ses mouvements. Camélia… Ses souvenirs lui revinrent rapidement et il pâlit.

 — J’ai bien merdé non ? dit-il en se tournant vers son ami.

 Thomas haussa les épaules : question rhétorique.

 — Putain, je sais pas, j’ai même pas mon tel.

 Avec un sourire, Thomas le sortit de sa poche et lui tendit.

 — Qu’est-ce que je ferais sans toi, soupira Théo.

 Il reçut une tape amicale sur l’épaule et échangea un regard complice avec son ami.

 — Il va falloir que je m’excuse… fort.

 Il avait des notifications dans tous les sens, mais aucune de Cami. Il ouvrit leur conversation Messenger, fixant quelques secondes sa photo de profil où elle riait aux éclats, le vert de ses yeux et le roux de ses cheveux ressortant avec le soleil, son visage fin surmonté d’une casquette. C’était lui qui avait pris cette photo l’été précédent.

Théo – 02/07 – 09h28

 Coucou, tu es bien rentrée hier soir ? Je suis désolé, j’ai merdé…

 Il vit sa petite tête apparaître mais pas de petits points indiquant qu’une réponse était en train d’être tapée, et il eut beau fixer son écran, la conversation resta telle quelle. Il soupira.

 — Ouais… J’ai bien merdé…

 Après cela, il s’était lancé dans le grand ménage de lendemain de soirée, servant à chacun de ses amis un « non non, c’est bon, je m’en occupe, repose-toi ». Comme si nettoyer seul allait effacer ses péchés.

***

 — Ça va mec ? survint la voix de Thomas dans son dos. Ça fait trois fois que tu repasses au même endroit.

 Théo sursauta et secoua la tête. Il avait fini de nettoyer – à son grand malheur – et il traîna la serpillère dans ses pas jusqu’au canapé avant de la laisser reposer là.

 — Tu joues ?

 Il refusa la manette qu’on lui tendait et ne protesta pas quand Thomas se décala pour s’asseoir à ses côtés et qu’il força sa tête sur son épaule. Théo ferma les yeux, se concentrant sur les légers mouvements de l’épaule de Thomas lorsqu’il appuyait sur la manette.

 Finalement, tout le monde partit à 18 heures, laissant Théo dans le silence de sa maison vide de vie. Il décongela une baguette, se fit un sandwich à la va-vite – histoire de manger quelque chose dans la journée – et enfourcha son vélo pour se rendre aux ruines. Il allait toujours là-bas quand il avait besoin d’air et de penser.

 Il ne vit pas passer les 20 minutes de trajet jusqu’à sa destination car il ressassait encore et encore la soirée dans sa tête. Au croisement du chemin de randonnée, il déposa son vélo au sol et commença son ascension. Il avait beau avoir l’habitude, les cigales lui tapaient sur les nerfs ce soir-là.

 Il faisait encore chaud malgré l’heure et son t-shirt était plein de sueur lorsqu’il atteignit le point bas des ruines. Il se posait toujours à cet endroit-là, vers la pointe, là où les rochers étaient assez grands pour donner l’impression d’être plats, après les ruines. Mais, ce jour-ci, il y avait déjà quelqu’un d’allongé, pile sur son rocher. Il claqua de la langue. Son sac sur une épaule, il étudia la silhouette : une fille, sûrement de son âge, blonde, en short en jean et t-shirt long, qui semblait endormie. A ses pieds, il y avait un sac à dos noir duquel dépassait un carnet en cuir. Comme elle semblait bien installée, il se résigna à monter jusqu’au sommet des ruines : là où restait le plus gros morceau, ce qui devait être la structure principale du château, montée sur le piton rocheux. Il aimait moins aller là-haut, c’était pratique pour le lever de soleil mais les murs restants empêchaient de voir le coucher de soleil. Et puis, c’était là-haut que se rendaient des groupes particulièrement bruyants. Heureusement, ce jour-là, il n’y avait personne d’autre que lui et la fille.

 Une fois en haut, il pénétra dans la structure via ce qui laissait plus penser à une fenêtre qu’à une porte et s’installa au niveau de l’une des anciennes sorties, les pieds presque dans le vide, le pic Saint-Loup en face de lui. Il sortit son casque de son sac à dos et lança la bande son de Pirates des Caraïbes, rien de mieux qu’une musique réconfortante pour se remettre de sa connerie en paix. Il finit par se décaler pour s’appuyer contre les pierres, laissant sa tête partir en arrière. Il resta longtemps ainsi. Son ventre finit par gargouiller et il récupéra son sandwich dans son sac, soupirant en réalisant qu’il n’avait même pas mis de cornichons.

 Son portable indiqua l’arrivée d’une notification et il l’ouvrit pour découvrir le tableau d’horaires de son job d’été. Il commençait le lundi suivant. Il partagea ses horaires à Thomas et rangea son téléphone dans sa poche.

 Le soleil était couché quand il redescendit mais la nuit était encore claire. La fille n’avait pas bougé.

 — Hé, l’interpella Théo. Tu devrais penser à rentrer avant qu’il fasse trop sombre.

 Comme elle ne répondait pas, il s’approcha, s’arrêtant à quelques mètres de son rocher, difficile d’accès à cause d’un bloc de décombres à escalader. Il sursauta presque quand elle secoua la main d’un air nonchalant.

 — Merci, mais je t’ai pas sonné.

 — Oh…

 Il regarda autour de lui, cherchant un sujet de conversation.

 — Tu viens souvent ici ? Je ne t’ai jamais vue.

 Elle ouvrit les yeux, plongeant son regard perçant dans le sien et, malgré la luminosité basse, ses yeux bleus ressortaient dans la nuit. Un sourire fleurit sur ses lèvres.

 — C’est la première fois que je viens aux ruines.

 Elle se redressa et passa une main dans ses cheveux lisses, récupérant de l’autre un chapeau posé à ses côtés.

 — Tu es du coin ? demanda Théo.

 — Nope, mes grands-parents oui.

 — Oh ok, là que pour les vacances alors ?

 — Je ne me souviens pas avoir dit que je voulais faire connaissance.

 — Ah…

 Il se dandina sur ses pieds le temps qu’elle récupère son sac à dos. Elle descendit avec souplesse la zone rocailleuse qui rejoignait sa position, le frôla presque quand elle passa à ses côtés et, comme elle ne lui demanda pas de partir, il la suivit lorsqu’elle entama sa descente, hypnotisé par le mouvement de balancier de ses cheveux en antiphase avec celui de ses hanches.

 — Tu restes là longtemps ?

 — L’été.

 — Et… Tu es dans le coin où, alors ?

 — J’ai une voiture.

 — Oui ? répondit-il incertain de la signification de sa réponse.

 Comme elle ne répondait plus, il reprit :

 — Moi je suis de Valflaunès, je sais pas si tu vois ?

 Elle ne pipa pas mot du reste de la descente et il ne tenta plus non plus d’engager la conversation. Elle trébucha à un moment et il tendit le bras pour la retenir mais elle s’était déjà rattrapée à un arbre et continuait son chemin. Il soupira, résigné.

 Il récupéra son vélo au croisement et elle daigna lui parler :

 — Tu vas l’abîmer à faire ça.

 — Faire quoi ?

 Elle fit un geste vague vers le vélo.

 — Le poser en vrac comme ça.

 Il regarda alternativement son vélo et la fille, confus.

 — Il va bien, répondit-il.

 Elle haussa les épaules et il continua de la suivre, son vélo à ses côtés. Quand ils atteignirent la grande route, elle déverrouilla sa voiture sur le parking et s’engouffra dedans, accordant à Théo un V avec les doigts mais pas un regard.

 Il l’observa partir, attendant que sa voiture disparaisse au loin pour enfourcher son vélo. Quelque chose le perturbait mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

 Bien plus tard ce soir-là, quand il se fut allongé dans son lit et qu’il eut posé son portable – non sans avoir proposé à son meilleur ami de passer le lendemain –, une image passa sous ses paupières : il était assis dans la chapelle du pic Saint-Loup et une petite fille blonde aux yeux bleus perçants et aux sourcils froncés, un bonnet trop grand sur la tête, lui expliquait pourquoi il ne devait pas écraser les insectes sans raison.

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