Chapitre 2
Théo se réveilla avec le cœur qui battait bien trop vite. C’était le jour des résultats du bac alors il évita le café au petit-déjeuner. Thomas le récupéra chez lui et les emmena jusqu’au lycée pour voir leurs résultats. Habitué au stress de Théo, il posa une main sur son épaule en sortant de la voiture.
— Tu sais que tu l’as et tu sais déjà que tu es pris dans ta fac, tout va bien.
Théo se retint de préciser qu’il n’avait pas validé définitivement la proposition qu’on lui avait fait, c’était pourtant son premier choix, mais quelque chose le retenait.
— Mais imagine…
Thomas plaqua sa seconde main contre sa bouche, l’empêchant de continuer.
— Non, sourit-il.
Théo abdiqua et Thomas plaça un bras autour de ses épaules pour le diriger vers le tableau d’affichage. Leur groupe d’amis était déjà sur place et leur faisait de grands signes. Inconsciemment, Théo se redressa, bomba le torse et le bras de Thomas glissa de ses épaules pour saluer d’un check les autres.
Pris d’une assurance nouvelle, Théo s’approcha du tableau. Une main venant de derrière lui pointa une feuille.
— T’es là mec, mention assez bien, GG.
Théo haussa les épaules, manière de faire croire qu’il n’était pas si stressé que ça. Déjà, son pouls avait ralenti. Il se retourna pour trouver Alex, un de ses amis de longue date.
— Cool. Et toi ?
— Je l’ai tout juste mais je l’ai !
Théo scanna les autres noms jusqu’à trouver celui de Thomas : mention très bien, évidemment. Il se retourna pour le rejoindre, le gratifiant d’une tape de la main sur l’avant-bras.
— T’as géré !
— J’ai ma mention ?
— Et pas qu’un peu.
Le sourire de Thomas laissa éclater ses dents blanches et il attira Théo dans une accolade bien méritée.
— Libres pour de bon !
Le noyau dur du groupe monta ensuite en voiture avec Thomas pour se rendre à Montpellier où ils passèrent la fin de la matinée et une bonne partie de l’après-midi.
— Eh les mecs, ça vous dit de sortir cette semaine ? proposa Théo avant que chacun ne rentre chez soi. J’ai mon jeudi soir de libre.
— T’as ton jeudi entier de libre, non ? demanda Thomas.
— Tous mes mardis et tous mes jeudis, confirma-t-il. On pourrait sortir mercredi et je pourrais décuver jeudi tranquille mais il n’y a jamais personne le mercredi soir et ça fait longtemps qu’on en parle de cette soirée bar.
— Ouais, chaud, répondit Alex.
— Je viendrai squatter chez toi l’aprem, dit Thomas. Faudrait qu’on s’organise pour faire nos sessions de course en même temps d’ailleurs, ajouta-t-il en réfléchissant. Ça nous motivera.
Quand Thomas déposa finalement Théo chez lui, il ne demanda pas à rester même si ses parents n’étaient pas là et Théo lui en fut reconnaissant. Il avait un autre plan pour ce soir : retourner aux ruines.
Heureusement, il y avait toujours du pain au congélateur et toujours du jambon blanc au réfrigérateur. Cette fois, il rajouta des cornichons. Puis, il sortit son vélo et suivit la route qu’il connaissait par cœur, esquivant les ornières par automatisme. Il espérait qu’elle serait là, il ne pouvait pas en être sûr, mais il se disait qu’elle devait l’être.
L’univers dut l’entendre car, quand il arriva sur place, elle était allongée au même endroit que quelques jours plus tôt. Ça avait quelque chose d’apaisant de la voir allongée sur ce rocher, les cheveux en auréole autour de son visage, le soleil en fond et les arbres en contrebas. Son sac était à ses pieds, entrouvert.
— Il fait encore sacrément lourd, t’as pas chaud ? lui demanda-t-il en s’approchant.
Elle entrouvrit un œil pour le voir s’approcher et se contenta de secouer la tête.
— Ouais, il y a de l’air c’est vrai, se répondit-il à lui-même.
Elle sourit faiblement. Il posa son sac avant d’entreprendre de s’approcher davantage et peina à se trouver un coin confortable sur les rochers d’à côté. Elle était sur le meilleur spot.
— C’est la première fois qu’on ose me prendre ma place comme ça, sourit-il.
— Faux.
Il dirigea son regard vers elle, ses longs cils retombant sur le haut de ses pommettes et son ventre se soulevant doucement.
— C’est vrai, c’est déjà arrivé en 2015, n’est-ce pas Clara ? Dans une certaine chapelle, si je me souviens bien…
Alors, elle ouvrit les deux yeux et retint un petit rire en croisant son regard fier.
— Effectivement. J’ai cru que tu ne m’avais pas reconnue.
— Pas tout de suite, c’est vrai, avoua-t-il. Mais toi, c’est pire, tu n’as même pas essayé que je me souvienne de toi !
— Pourquoi faire ?
Son ton était si sérieux qu’il en fut déstabilisé. Il chercha ses mots mais, finalement, ne répondit rien. Elle se redressa, reposant au passage son chapeau de paille sur ses cheveux.
— Il va s’envoler avec le vent.
— Tu me le rattraperas si ça arrive.
Il soupira, sachant très bien qu’elle avait raison. C’était déjà arrivé. Il le referait le nombre de fois qu’il le faudrait. Malgré les années.
— Bon, alors, tu étais où pendant tout ce temps ?
— Chez mes parents.
— Bordeaux, c’est ça ?
Elle acquiesça.
— Les dernières vacances où on s’est vus, c’était été 2018 je crois ? réfléchit-il le regard tourné vers le ciel. C’était trop cool ces vacances-là, on avait fait du canoë et tout, tu te rappelles ? Pour moi, tout allait bien, tout était parfait. Et puis, après, tu n’es plus jamais venue et tu ne m’as jamais rien dit. Je me rappelle avoir fait une crise à mes parents. Ils avaient dû appeler tes grands-parents pour qu’ils me disent eux-mêmes que tu n’étais pas là et ne viendrai plus. J’ai dû finir par me faire une raison…
Il tourna son regard vers elle. Elle l’observait.
— Je t’ai pas reconnue tout de suite, c’était trop absurde pour être possible, mais tu n’as pas vraiment changée.
— Que tu crois, sourit-elle.
C’était un sourire distant, un peu hautain. Le genre qui dit : tu es mignon mais tu ne sais pas de quoi tu parles.
— Enfin, c’est cool de te revoir, mon acolyte est de retour.
Elle ne partagea pas son enthousiasme mais eut la bonté de ne pas le reprendre.
— Tu as eu les résultats du bac aujourd’hui aussi ?
Elle hocha la tête.
— Mon père m’a envoyé en photo les pages. J’ai eu ma mention très bien.
— Cool ! Moi, assez bien. Alors, tu as fait quoi pendant tout ce temps ?
— Rien de spécial.
— Et est-ce que tu me diras pourquoi tu es partie il y a 4 ans sans rien me dire ?
— Un jour, peut-être.
Appuyé en arrière sur ses mains, il leva le visage pour trouver un réconfort dans les nuages mais le ciel était désespérément bleu, sans rien sur quoi fixer son attention.
— Et tu ne comptais pas me dire que tu revenais ?
Elle haussa les épaules. Il lui fut reconnaissant de ne pas enfoncer davantage son égo en répétant un « pourquoi faire ? ». Il soupira.
— On faisait tellement de choses pendant les vacances en vrai… Les randos, les pique-niques, la piscine, le canoë, le paddle… Tu m’étonnes que j’étais plus fit avant.
Il n’osa pas lui proposer d’en faire à nouveau.
— Alors, qu’est-ce que tu fais dans le coin ? Tu restes longtemps ? demanda-t-il en se tournant à nouveau vers elle.
— Je passe mes dernières vacances chez mes grands-parents.
— Dernières ?
Elle passa une mèche de ses cheveux derrière son oreille, les autres voletaient autour d’elle, remontant au-dessus de son chapeau.
— Tu fais toujours de l’athlétisme ?
Il acquiesça, ne réalisant pas tout de suite qu’elle changeait de sujet.
— J’ai entraînement tous les dimanches, et j’essaye d’aller courir régulièrement, développa-t-il, je m’y suis mis à fond depuis…
Depuis que tu es partie. Il ne finit pas sa phrase.
Elle avait le regard perdu dans le ciel ou dans le vide, il n’aurait su le dire. Repensait-t-elle comme lui à tout ce qu’ils avaient vécu ensemble ?
— Je n’ai jamais refait de canoë depuis, ajouta-t-elle, songeuse.
— On se chamaillait beaucoup mais on se débrouillait bien quand même.
Le soleil commençait à décliner et, au loin, apparaissaient de longs nuages proches de la brume. La chaleur était toujours aussi écrasante.
Théo se releva pour récupérer son sandwich dans son sac et chercha une position plus confortable. Elle l’imita. Son sandwich à elle était bien plus élaboré, avec une feuille de salade, de la tomate et un peu de comté. Il ricana en désignant son repas.
— Ça se voit que t’es une fille.
— Parce que je mange mieux que toi ? C’est stupide, lui fit-elle remarquer. Toi non plus, t’as pas trop changé, ça manque toujours d’une étape de réflexion.
Il laissa quelques secondes s’écouler. Les nuages défilaient, portés par le vent qui leur sifflait dans les oreilles.
— C’est gratuit mais c’est vrai.
Elle n’avait vraiment pas changé. Et il aimait tout autant qu’il détestait ce fait.
— Alors, c’était comment le lycée à Bordeaux ?
— Normal.
— Et donc t’aimes pas assez Bordeaux pour venir passer tes vacances d’été ici après toutes ces années sans le faire ou tes grands-parents t’ont menacée ?
— Et toi, t’aimes trop Montpellier pour ne jamais en partir ?
— Pourquoi faire ? demanda-t-il en écho.
Elle haussa les épaules.
— Ne pas partir me permet de te revoir, alors je suis content de les passer ici mes vacances, compléta-t-il.
Elle ne répondit pas. Il sortit son portable et lui demanda :
— T’as Snap ?
— Non, ça pue, grogna-t-elle.
— Messenger ?
— Tu connais mon nom.
Il hocha la tête et se débrouilla.
— Je t’ai envoyé un message.
— J’y répondrai peut-être, annonça-t-elle.
Il sourit et s’apprêta à continuer la conversation mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle se redressa en soupirant.
— J’y vais.
— Bah attends-moi !
— Nope, il fait pas nuit, je peux descendre comme une grande, à la prochaine.
Et, juste comme ça, elle était partie et il resta sur son rocher, le papier aluminium du sandwich dans ses mains et son sac un peu plus loin. Elle n’en faisait toujours qu’à sa tête. Était-il un lourd qu’elle ne voulait plus voir ou était-elle toujours la même Clara qui ne laissait jamais rien transparaître ? Si elle était toujours la même et si elle ne voulait pas lui parler, elle lui aurait explicitement demandé de dégager, il en était à peu près sûr.
La revoir était étrange. Elle appartenait au passé quelques jours plus tôt, pourtant il venait de la voir en chair et en os. Et voilà qu’il lui avait pardonné 4 ans de silence en venant aux ruines ce soir, sans qu’elle ne lève le petit doigt. Si c’était à refaire, il le referait.
Il serra son portable contre lui, au moins il avait un moyen de la contacter maintenant.
Quand il redescendit plus tard, son vélo n’était plus au sol comme il l’avait laissé mais soigneusement posé contre un arbre. Il sourit et l’enfourcha pour rentrer.
Ils allaient pouvoir se revoir comme avant et rien ne pouvait le rendre plus heureux. Quand ses potes ne seraient pas disponibles pour sortir et quand il n’aurait pas à travailler, il aurait Clara et il pensa que c’était la meilleure chose qui puisse lui arriver. Ne lui restait plus qu’à fendiller la carapace qu’elle s’était construite.
Une fois chez lui, il retrouva ses parents qui, pour une fois, étaient à la maison. Lui qui se plaignait qu’ils ne lui donnaient pas assez d’attention et qu’ils étaient toujours partis, il n’en profita pas pour autant. Il les salua en vitesse et fila à la douche avant de se glisser dans son lit en caleçon, son portable à la main.
Il fixa la conversation quelques instants : l’émoticône des doigts en V qu’il avait envoyé à Clara, puis ses doigts s’activèrent sur le clavier.
Théo - 05/07 – 21h37
Je pensais, je sors avec des potes jeudi soir, ça te dit de venir ? On va sur Montpellier, ça peut être cool !
Peu importe avec quelle force il fixait la conversation, aucune réponse ne vint, alors il se résolut à poser son portable et récupéra son ordinateur pour lancer YouTube. Il était en retard sur les vidéos de ses abonnements et c’était le bon moment pour tout rattraper.
Quand il regarda à nouveau son téléphone avant de dormir, une notification attira son attention :
Clara – 05/07 – 23h11
Déso, déjà un truc jeudi
Il fit la moue et répondit rapidement avant de passer en revue les autres notifications qui s’affichaient. Il prit le temps de répondre à chacune d’elle : des potes, des connaissances, des gens demandant des nouvelles du bac, de ses plans de l’été, etc.
Il programma son réveil en grimaçant : il devait être à 8 heures à l’épicerie du Pic le lendemain, et il enfonça son visage dans son oreiller.
***
Quand Théo sortit de l’épicerie à la fin de sa journée, Thomas l’attendait, appuyé contre la portière côté conducteur. Il pianotait sur son téléphone, la tête penchée en avant, quelques mèches retombant devant son visage. Il faisait tout aussi chaud qu’en début d’après-midi et Théo se demanda comment il supportait de rester au pic du soleil comme ça.
— C’est demain la sortie, pas besoin de te faire aussi beau aujourd’hui, remarqua-t-il.
Thomas releva la tête et glissa son téléphone dans sa poche.
— Toujours prêt, on ne sait jamais, il ne faudrait pas manquer une occasion. Allez, en voiture Simone !
— Et mon vélo ? Je le mange ?
Thomas haussa les épaules. Il passa une main sous son t-shirt pour se gratter les côtes et le regard de Théo resta un peu plus longtemps que nécessaire sur son bas-ventre. Il se reprit en s’installant dans la voiture, bouclant sa ceinture pendant que Thomas faisait de même.
— Tu m’emmènes au taf vendredi matin, alors.
— Ça tombe bien, je dois rester sobre pour pécho, plaisanta Thomas.
Ils passèrent la soirée chez Théo à jouer à la Switch. Le lendemain matin, le réveil les fit grogner et Thomas dû chatouiller Théo pour le forcer à se lever. Hors de question de ne pas aller courir sous peine de trop souffrir à l’entraînement d’athlétisme du dimanche. Et la coach ne les louperait pas si elle remarquait une baisse de performance.
Leurs amis du lycée les rejoignirent en début d’après-midi pour profiter de la piscine, élément principal de survie à un été montpelliérain.
Quand il fut l’heure de se mettre en route parce que Théo habitait à 20 minutes en voiture de Montpellier, Thomas se glissa derrière le volant de sa voiture, non sans un regard désapprobateur pour la tenue de Théo.
— Un problème ?
— T’es habillé comme un pouilleux, mec, fit remarquer Alex.
— C’est pour pas trop attirer l’attention des filles, comme ça Thomas a une chance.
— Tu perds rien pour attendre, menaça le principal intéressé.
— Après, Théo, t’abuses, laisse-lui les meufs et prend les mecs, non ? relança Alex.
— Et si je veux une meuf ?
— Laisse en aux autres, tu veux ?
— Si vous étiez plus aimables, tout irait mieux, sourit Théo.
Thomas se gara sous les consignes de Théo qui payait le parking, à défaut de places libres dans la rue de la gare. Ils se rendirent à la place de la Comédie, bondée de monde.
— Allez, allons nous rafraîchir avec une bonne bière, proposa Thomas.
Entouré de ses amis qui chahutaient dans tous les sens, Théo se sentait bien. Et tous étaient bien déterminés à rendre leur été mémorable avant de se séparer, même s’ils étaient peu à partir à l’autre bout de la France. C’était la fin d’un chapitre et il fallait une fin digne de ce nom.
— Bon, quand est-ce que tu revois Clara alors ? demanda Thomas pendant qu’ils marchaient dans les rues de Montpellier.
— Qui est Clara ? intervint un ami derrière eux.
— Son ancienne crush qui l’a ghost, si j’ai bien suivi, répondit Thomas. J’y crois pas qu’il aura fallu attendre 4 ans d’amitié pour que tu me parles d’elle, ajouta-t-il à destination de Théo.
Théo secoua la tête sans se fatiguer à le reprendre.
— Je sais pas, je lui avais proposé de venir ce soir mais elle avait déjà un truc. Je lui proposerai sûrement de se voir ce week-end.
— Mec, fais-la venir à l’entraînement.
— Oh, belle ! s’exclama Alex
— Mode séduction lancé, première étape : le mâle en sueur, ricana Thomas.
— Mais je cherche pas à la séduire, soupira tout de même Théo. On est potes déjà, on verra après. Je suis content de retrouver mon amie, pas ma crush ou je sais pas quoi.
— Un jour faudra que t’arrêtes de sacraliser l’amour comme ça.
Théo se contenta d’hausser les épaules, ça ne valait pas la peine de se prendre la tête avec son meilleur ami, mais il n’en pensait pas moins. Le sujet avait déjà été abordé et ils arrivaient en vue de leur bar habituel.
Un ami de Théo passa son bras sur ses épaules, lui demandant :
— Tu viens à ma soirée demain ?
— Tu fais soirée ?
— Ouais, juste comme ça. Et une soirée sans toi, c’est pas une vraie soirée.
Théo rigola.
— Comme on ne peut pas se passer de moi, je viendrai. Mais je travaille samedi, donc je t’aiderai pas à coucher tout le monde.
— Franchement, je pensais pouvoir compter sur toi, je suis déçu.
Théo s’apprêtait à rétorquer mais, alors qu’ils allaient entrer dans le bar, une chevelure blonde dans la rue attira son regard et il se stoppa. La fille était de dos, un t-shirt un peu large et un chapeau de paille sur la tête, c’était bien Clara. Elle ne se retourna pas quand il l’interpela.
— Allez-y les gars, je vous rejoins après, lança-t-il à la volée avant de trottiner jusqu’à Clara.
Elle était accompagnée d’un grand mec baraqué qui ne semblait pas très intéressé par la conversation.
— Clara ! appela-t-il quand il fut plus proche. Hé, ça va ? C’te coïncidence qu’on se croise !
Elle lui sourit en réponse mais ce n’était pas très sincère.
— Salut. La fameuse sortie bar ?
— Et le fameux truc prévu ? demanda Théo en lorgnant le gars.
Elle haussa les épaules et quelques secondes de blanc suivirent.
— Vous voulez nous rejoindre ? proposa Théo. Je suis avec les potes du lycée, ça peut être cool.
— C’est gentil mais je crois qu’on va passer, lui répondit le gars.
— Ok… Ben… Ça marche, n’hésitez pas en tout cas, on est à côté. Et puis ben à plus Clara !
Elle lui adressa un signe de tête et il repartit la queue entre les jambes rejoindre ses potes.
— Je me suis fait proprement recaler, admit-il à Thomas une fois assis avec ses amis. C’était pas agréable.
— Elle était avec un mec, grand génie.
— Bah ouais mais c’est personne.
— Qu’est-ce que t’en sais ?
Théo ne répondit pas et préféra se laisser embarquer dans les discussions moins sérieuses à côté. Mais la discussion moins sérieuse tourna rapidement à un sujet qu’il aurait préféré éviter :
— Alors, Théo, c’était qui cette meuf ? T’essayes d’avoir la seule qui veut pas de toi ?
— Nan, c’est une pote. Du collège, se défendit-il.
— Mais il me semble que je la connais, remarqua un autre.
— Ça m’étonnerait, elle était pas venue à Montpellier depuis 4 ans.
— Non mais elle est dans le coin depuis quelques jours déjà, non ? Je me trompe peut-être mais je crois l’avoir vue à une soirée…
— Tu vas à des soirées sans nous toi ?
— Je vais à toutes les soirées que je trouve oui.
— Clara c’est pas trop son truc les soirées, intervint Théo.
— Mec, ça fait longtemps que tu l’as pas vue, lui dit Thomas, tu sais pas.
— Elle était pas à la soirée pour la soirée mais pour l’hôte de ce que j’en ai vu, ricana leur ami.
Ça ne fit pas rire Théo.
Quand ils ressortirent du bar après avoir grignoté entre les tournées de bière, ils trainèrent un peu place de la Comédie, puis le groupe se dissout. Ce fut à ce moment-là que Théo croisa le regard de sa cousine, assise à l’arrêt de tram avec une amie. Elle soutint son regard, ne montrant aucun signe qu’elle l’aurait reconnu puis se reconcentra sur son amie.
La voix de Thomas qui lui proposait de rentrer le ramena sur Terre et il hocha la tête d’un air absent. La situation avec sa cousine n’avait pas avancé, il l’avait presque oubliée.
— J’suis vraiment un con, marmonna-t-il.
Thomas fronça les sourcils mais ne le reprit pas.
Quand il fut chez lui, Théo se retourna longtemps dans son lit avant de s’endormir.
***
Des messages l’attendaient le lendemain matin mais pas ceux qu’il espérait. Il prit le temps de répondre à tous en prenant son petit-déjeuner puis Thomas l’emmena à l’épicerie. Ce ne fut qu’à la pause qu’il put reprendre son portable pour envoyer un message à Clara.
Théo – 08/07 – 12h41
Yo, t’as passé une bonne soirée hier ?
Puis, il hésita sur la conversation de sa cousine. Est-ce qu’il s’excusait à nouveau ? Est-ce qu’il envoyait quelque chose du style « Est-ce qu’on peut parler ? ». Finalement, la fin de la pause arriva et il glissa son téléphone dans sa poche avant de retourner à l’intérieur.
La journée de travail fut compliquée à assumer à cause de la fatigue de la veille. En rentrant, il se jeta dans la piscine pour évacuer toute la sueur produite sur son trajet retour à vélo.
Il était allongé sur le dos, les pieds trempant dans l’eau, cramant au soleil, désespérément seul chez lui mais trop fatigué pour faire quoi que ce soit. La coach allait l’engueuler dimanche s’il ne dormait pas suffisamment la nuit qui venait. Elle le sentirait et il allait devoir annuler la soirée de son ami. La vibration de son portable le fit presque sursauter. Il tâtonna derrière sa tête pour le retrouver et plissa les yeux pour voir son écran malgré le soleil qui inondait sa piscine en fin de journée.
C’était Clara qui lui répondait enfin.
Clara – 08/07 – 18h33
Pas si ouf. Et toi ?
Il ne perdit pas de temps à lui répondre.
Théo – 08/07 – 18h34
C’était cool
Théo – 08/07 – 18h34
Alors c’était qui ce gars ?
Les trois petits points apparurent, disparurent, et Théo observa leur petite danse. Finalement, il ne reçut que :
Clara – 08/07 – 18h35
Un date
Clara n’était pas très bavarde par messages. Puis, il se rappela qu’elle n’était pas très bavarde non plus en face-à-face. Quoique…
Théo – 08/07 – 18h36
Que tu ne referas pas donc ?
Clara – 08/07 – 18h37
Peu de chances.
Théo – 08/07 – 18h38
Si tu veux juste voir des gens, il y a un certain Théo qui a plein de temps libre, wink wink
Clara n’aimait pas assez les gens pour avoir envie de « juste voir des gens » mais son but était de faire à nouveau partie de ceux qu’elle laissait s’approcher.
Clara – 08/07 – 18h40
Cool pour lui
Théo – 08/07 – 18h41
Plus sérieusement ça te dirait de venir dimanche ? J’ai entraînement d’athlé
Clara – 08/07 – 18h42
J’y gagne quoi ?
Théo – 08/07 – 18h42
Mmh
Théo – 08/07 – 18h42
Ma douce présence ?
Clara – 08/07 – 18h43
Essaye encore.
Théo – 08/07 – 18h44
Difficile à satisfaire je vois, il y a plein de gens à qui ça aurait suffit
Clara – 08/07 – 18h45
Je ne suis pas les gens
Théo – 08/07 – 18h45
Oui, tu es bien meilleure
Il se surprit de son audace.
Clara – 08/07 – 18h46
Est-ce que tu es en train d’essayer de me draguer ?
Théo – 08/07 – 18h46
Pas spécialement, mais si c’était le cas ça marche ?
Clara – 08/07 – 18h47
Non
Théo – 08/07 – 18h47
Pff
Théo sourit tout seul en agitant les pieds dans l’eau.
Théo – 08/07 – 18h47
Alors ?
Clara – 08/07 – 18h48
Ben je suis toujours pas convaincue
Théo – 08/07 – 18h49
Je t’offre une glace après ?
Clara – 08/07 – 18h49
Ça se négocie
Théo – 08/07 – 18h50
Et un tour dans ma piscine ?
Théo – 08/07 – 18h50
Je sais que t’en as pas
Clara – 08/07 – 18h51
Tu marques un point mais arrête d’essayer de me draguer stp
Théo – 08/07 – 18h52
Mais je te drague pas !
Clara – 08/07 – 18h53
J’espère, j’ai pas envie de devoir te briser le cœur
Son sourire se fana et il prit une grande inspiration.
Théo – 08/07 – 18h54
Tu le feras si tu ne viens pas ☹
Clara – 08/07 – 18h54
Fine
Théo – 08/07 – 18h54
Yes !
Il se redressa et serra le poing en signe de victoire avant de lui envoyer l’adresse et l’heure. Il avait hâte d’y être. Il ne s’en était pas rendu compte mais elle lui avait manqué. Ils avaient tous les deux grandi mais la dynamique restait la même. Elle s’était peut-être juste renfermée depuis, elle mettait plus de distance entre eux. Mais ça faisait longtemps, il trouverait le moyen de se rapprocher comme ils étaient avant. Il voulait retrouver cette connexion et ce petit quelque chose de stabilité libérée qu’elle lui apportait : elle le faisait réfléchir, ne mâchait pas ses mots, n’avait pas peur de dire ce qu’elle pensait et ça le rassurait.
***
L’entraînement avait commencé depuis 10 minutes et Théo passait son temps à regarder vers l’entrée du terrain. Clara n’était toujours pas là. Thomas le fit sursauter en posant une main sur son épaule.
— Fais pas ça quand je m’étire !
— T’attends qui aussi désespérément ? Clara ?
Théo grogna plus qu’il ne répondit.
Leur coach les fit se rassembler au centre de la piste, empêchant Thomas d’aller plus loin dans cette conversation.
— Aujourd’hui on va travailler sur du 300 mètres ! Je veux 200 mètres à allure soutenue et 100 mètres relâchés, on détend les épaules et on repart sur 200 mètres ainsi de suite. Vous avez les marquages au sol, vous connaissez votre vitesse, qu’est-ce que vous attendez ?
Théo attendait Clara, voilà ce qu’il attendait. Mais il dut se résoudre à s’élancer lui aussi.
Clara ne l’avait pas oublié : elle arriva en bordure de piste, son chapeau de paille sur la tête, quand Théo fut sur la deuxième moitié de son deuxième tour. Il lui fit une courbette en passant près d’elle assortie d’un sourire rayonnant. Elle ne lui rendit pas mais ses yeux s’adoucirent et, finalement, ça revenait au même.
Sa coach ne le laissa pas se relâcher et il dut tenir le rythme jusqu’à ce que l’exercice soit terminé et qu’elle leur laisse 5 minutes de pause. A ce moment-là, il n’attendit pas les consignes et rejoignit Clara qui était accoudée à la barrière.
— T’es venue !
— Je mets pas de lapins, c’est contraire à mon règlement.
— Ah oui ? Et ça s'applique à tous, ce règlement ? Je ne me rappelais pas cette règle, madame je mets des lapins à tout va, répliqua-t-il, joueur.
Elle fit mine de réfléchir.
— Ça ne s’applique qu’à toi et les jours impairs.
— Il me semblait bien.
Ils échangèrent un sourire entendu. La voilà la Clara qui se laissait approcher, elle était toujours là, seulement cachée par sa carapace.
Théo était dégoulinant de sueur. Il était 18 heures et il faisait encore très chaud mais il avait l’habitude. Il s’écarta de Clara pour récupérer sa gourde posée au sol.
— Mais ce serait pas Clara ? s’exclama une voix derrière Théo.
— Vous vous connaissez ?
— On peut dire ça, répondit son ami.
Clara montrait une moue ennuyée.
— Tu pourrais mieux choisir tes fréquentations, Théo.
— Je fais bien ce que je veux, grogna-t-il. Ça veut dire quoi ça ?
Son ami haussa les épaules et retourna vers la coach qui les appelait. Théo le suivit du regard puis se tourna vers Clara.
Après les potes du lycée, voilà que les potes de l’athlétisme s’y mettaient aussi. Il craignait de revivre le même type de discussion. Avec un peu de chance, Thomas, qui appartenait aussi aux deux groupes d’amis, apporterait une touche de légèreté au sujet pour cette fois. Il ne comptait pas sur Alex pour ça.
— J’dois y retourner mais… fais pas gaffe à lui.
Elle haussa les épaules et il repartit au petit trot.
Théo passa ses pauses à rejoindre Clara pour échanger quelques mots, les chuchotements des gars en arrière-plan. A la fin de l’entraînement, son taux de patience était proche de zéro.
— Bon, c’est quoi ton problème avec Clara ? demanda-t-il en entrant dans les vestiaires.
L’ami concerné haussa les épaules.
— Bah, c’est juste une meuf relou qui a fini dans mon lit mais qui est vraiment trop cassante, impossible d’avoir une discussion tranquille avec elle. Je sais pas ce que tu lui trouves.
— Justement elle elle a pas de faux-semblants…
— Mais tu fais ce que tu veux BG, sache juste que tu t’attaques pas à facile.
— Je la connais ! se défendit-il. Et pas de mon lit !
— Cette meuf est capable de se faire des amis ?
— Connard, grogna Théo.
— Relax mec, c’est une blague. Tant mieux si ça se passe bien, écoute. Va roucouler, nous on se fait une bouffe ce soir les gars ?
L’incident sembla vite oublié et Théo ne chercha pas à le raviver, il ne voulait pas spécialement s’embrouiller avec ses potes.
Il fit un check à tout le monde avant de partir, même s’il l’avait en travers de la gorge, et offrit une accolade à Thomas qu’il reverrait rapidement.
— Pas cool, mec, lui chuchota-t-il au passage.
— C’est pas ma guerre.
Théo haussa les épaules et rejoignit Clara, adossée au mur du gymnase.
— On va chez moi ?
— Vraiment ? lui demanda-t-elle un sourcil relevé.
— Bah quoi ? C’est ce qui était prévu ?
— C’est quoi le plan ?
— Tu me ramènes, sourit Théo, on prend des glaces et on se baigne et après je te laisse t’enfuir si c’est ce que tu veux.
— Et je me fais pas traiter de tchouin dans l’affaire ?
— Pourquoi ce serait le cas, soupira Théo. Tu fais ta vie et mes potes sont des cons. Je te connais, Clara. Et je t’aime bien. Allez, on y va ?
— Regardez-moi ce canard, retentit la voix d’Alex qui sortait du vestiaire.
Théo lui leva son majeur et se dirigea vers la sortie, accompagné de Clara.
— C’est vraiment impressionnant cette capacité que tu as à aimer tout le monde, même les cons.
Théo repensa à la soirée de début de vacances et grimaça.
— Pour le coup, avec ça, je commence à remettre en question quelques amitiés et moi-même avec.
— Les remises en question, ça peut éviter de foncer dans des murs, répondit sagement Clara.
Il sourit et ils entrèrent dans la voiture de Clara, direction chez Théo. Il fit le tour du propriétaire à Clara avant de plonger pour se rafraîchir. Elle le rejoignit rapidement. Ils mangèrent ensemble une salade de tomates fait à la va-vite par Théo avec du pain, puis dégustèrent leur glace au bord de la piscine, couverts de citronnelle pour repousser les moustiques. Théo aurait aimé que Clara reste un peu plus longtemps mais elle ne tarda pas à se lever pour rentrer.
— On se retrouve aux ruines mardi ? proposa-t-il.
Elle haussa les épaules : ça voulait dire oui, pourquoi pas. Il la regarda partir en souriant, un salut de la main l’accompagnant jusqu’à ce qu’elle tourne à l’intersection de la rue.
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